À moins de considérer Mgr Viganó comme une girouette, c'est la seule explication...
L'article sur Monseigneur Viganò publié l'autre jour dans Libero (NDT : traduit en français ICI) a fait grand bruit. Malgré deux années de tentatives de contact inutiles, pour essayer de faire comprendre à Monseigneur Viganò et à ses partisans la réalité de l'empêchement du Siège du Pape Benoît, le vaticaniste Aldo Maria Valli, le professeur Viglione et d'autres du secteur tradi-sédévacantiste, ont tous dressé un mur de glace, ignorant totalement la Magna Quaestio. Inexplicable et masochiste : le Siège empêché, même si ce n'est qu'une hypothèse d'école (ce n'est pas un hasard si les canonistes de Bologne avec le groupe d'étude "sur le pape émérite et le pape empêché" s'y appliquent), offre la solution parfaite, cohérente sur le plan théologique, historique, canonique, documentaire et prophétique. Alors pourquoi ne pas au moins l'envisager ?
Cela fait deux ans que nous crions par-dessus les toits à propos d'une situation circonstanciée de manière encyclopédique et redondante : que Benoît XVI n'a pas abdiqué, mais s'est retiré in sede impedita, qui n'est pas une obscure argutie découverte en droit canonique, mais la réalité parallèle à la sede vacante.
Canon 335 : "Quand le siège de Rome devient vacant ou totalement empêché, rien ne doit être innové dans le gouvernement de l'Église tout entière;".
Ce n'est pas difficile : si le pape renonce au munus, il y a abdication, s'il renonce au ministerium, il y a empêchement. Et Benoît se trouve dans la deuxième situation, qui le laisse seul pape et fait de Bergoglio un antipape, et tout ce que Bergoglio fait devra être complètement annulé. C'est le plan parfait de la Discessio décrite par Tyconius ICI : un après-midi de liberté pour que "l'église du diable" puisse se manifester et ensuite, pouf, la combustion eschatologique. Parce qu'il y aura sûrement un jour où le pape ne sera plus in sede impedita, (vous pouvez imaginer cela) et alors il pourra "parler" librement.
Êtes-vous d'accord ? N'êtes-vous pas d'accord ? Comme vous voulez, mais parlons-en.
Vous comprenez bien que la question sede impedita oui/non est vitale, substantielle, incontournable : en effet, si Ratzinger est empêché, Bergoglio est antipape et un antipape ne peut pas nommer de cardinaux ; donc si 83 cardinaux non Bergogliens sur 132 (soit 62%) participaient à un futur conclave, ils éliraient un autre antipape. Comprenez-vous pourquoi on ne peut être indifférent à une telle question ?
Alors, comment se fait-il que Monseigneur Viganò et les siens n'y prêtent pas la moindre attention, mais refusent obstinément et de manière incompréhensible d'en discuter ? Pourquoi s'appuient-ils sur les écrits de Ratzinger, âgé de 25 ans, pour mettre en évidence les dérapages progressistes qui ont été ensuite publiquement rejetés par le même ?
Son Excellence devrait plutôt nous faire comprendre pourquoi il est en désaccord sur la question canonique, en laissant de côté les faits d'il y a un demi-siècle. Nous ne savons pas s'il prétend que l'utilisation de munus et ministerium était une bizarrerie littéraire, comme certains le disent, ou s'il favorise la théorie du "pape diable" du Père Curzio Nitoglia (qui oublie que le pape est le successeur de Pierre, et non de Judas), ou s'il pense, comme Mgr Schneider, que Bergoglio est pape parce qu'il vaut mieux un pape non-catholique que rien du tout.
Certains dénigrent le fait que le cas de Monseigneur Viganò n'est rien d'autre qu'une "dissidence contrôlée" par Bergoglio, au point qu'il n'a subi - effectivement et étrangement - aucune sanction canonique : bien qu'il se soit exilé, il n'a pas été suspendu a divinis, ni excommunié, ni réduit à l'état laïc, un sort qui a frappé Don Minutella et tous ceux qui ont mis le doigt sur le point sensible : à savoir que Bergoglio n'est pas le pape.
Nous refusons de croire à une telle possibilité, notamment parce que Monseigneur Viganò est certainement un critique féroce et pointu de Bergoglio et qu'il souligne tous ses aspects négatifs, sans toutefois mentionner l'essentiel qui "justifie" les autres : à savoir qu'il n'est pas le pape.
À l'inverse, nombre de ses admirateurs se bercent de l'illusion que l'archevêque est en fait secrètement du côté de Benoît XVI et qu'il le reconnaît comme le vrai pape, mais cela est démenti par les faits et "les faits sont têtus". Voici ce que l'archevêque a déclaré en 2021 :
"La soumission de Bergoglio à l'idéologie mondialiste est si scandaleuse qu'elle est comprise même par les fidèles ordinaires qui, en vertu du sensus Fidei, saisissent la nature subversive de ce "pontificat" et se réfugient dans l'idée que Benoît XVI est le vrai pape."
Pour confirmer cela, une position réitérée par Monseigneur Viganò également ces derniers jours est celle exprimée le 5 octobre au journaliste américain Michael Matt :
"Il faut dire aussi que la renonciation de Benoît XVI et le monstrum canonique auquel il a donné naissance de la "papauté émérite" ont porté un coup mortel à l'Église, rendant possible la réalisation du plan contre elle qui prévoyait l'élection d'un pape qui se plierait à l'agenda de l'élite".
Donc, si Bergoglio est le pape, Benoît a renoncé et nous, pauvres nigauds, nous nous faisons l'illusion qu'il est toujours le pape et, en publiant 350 articles d'investigation sur le sujet, avec des dizaines de spécialistes, et un essai best-seller de 340 pages "Codice Ratzinger" qui est présenté dans toute l'Italie grâce au mouvement spontané des fidèles, nous avons perdu notre temps. (A propos : présentation le 13 novembre à Gubbio, le 19 à Cosenza, le 27 à Catane, le 3 décembre à Pordenone [bis] le 4 à Bologne).
Donc, Mgr Viganò n'est ni avec le pape François ni avec l'ancien pape Benoît. Pourtant, ce n'est pas comme s'il pouvait y avoir quelqu'un qui "est un peu pape et un peu non". Soit on l'est, soit on ne l'est pas. Tu es Petrus. Pierre est celui qui a le munus, et puisque Benoît a le munus, il est le pape. Comment se fait-il qu'il ne gouverne pas ? Parce qu'il est empêché.
Revenons maintenant, à titre d'exemple, à 1559, lorsque la protestante Elizabeth I Tudor a usurpé le trône à la catholique Marie Stuart. Les lords se divisent, soit avec la première, soit avec la seconde, mais un Lord Smith émerge qui n'est ni avec l'une, ni avec l'autre. Au contraire, il considère que Marie Stuart n'est plus reine, mais coupable et à demi complice de l'usurpation du trône d'Angleterre. Il lui est révélé que Stuart a un plan parfait pour vaincre Elizabeth, mais le lord prétend le contraire. Quelle stratégie Smith pourrait-il adopter ? C'est assez intuitif : celui de se présenter comme le troisième pôle, comme le futur monarque qui - après ces deux reines incapables - remettra les choses en ordre.
Malheureusement, d'un point de vue logique, considérant que Monseigneur Viganò et les siens sont parfaitement capables, sur le plan cognitif, de comprendre la question de l'empêchement du Siège et de son évidente officialisation future, leur conduite ne peut s'expliquer, pour le moment (mais nous sommes ouverts à d'autres explications), autrement que par cet objectif : celui de devenir lui-même pape, après Bergoglio.
Peut-être que Monseigneur Viganò ferait un excellent pape. Le problème, cependant, est qu'il devrait être élu par un conclave valide, composé de "ceux à qui il appartient de le faire", c'est-à-dire les cardinaux d'avant 2013 mentionnés infailliblement par Benoît XVI dans sa Declaratio.
C'est ici que la stratégie de Viganò prend plausiblement forme : dire beaucoup de mal de Bergoglio, en faisant comprendre aux cardinaux non bergogliens que l'Église s'effondrera sur cette voie ; mais en même temps dire du mal de Benoît XVI, pour leur faire ignorer son brillant plan de sauvetage de l'Église, mis en œuvre à cause du Siège empêché et ainsi, dans un prochain conclave invalide, amasser des voix même parmi les vrais cardinaux ratzingériens d'avant 2013. (Même un non-cardinal âgé de plus de 80 ans peut être élu pape)
Ce n'est pas une coïncidence si, dans le même temps, tout en étant allié aux ramifications sédévacantistes, Mgr Viganò se garde bien de délégitimer tous les papes depuis 1958, sinon il serait lui aussi déchu de sa charge d'archevêque.
Résumons : Viganò reste dans l'Église en reconnaissant Bergoglio comme pape et en évitant ainsi l'excommunication ; il reconnaît les fausses positions des cardinaux bergogliens d'après 2013 pour ne pas se retourner contre eux ; il approuvera un conclave invalide incluant ces derniers, en conservant leur barrette et en essayant de recueillir le soutien des deux camps.
Son ouverture partielle du 5 avril 2021, chez Valli, qui restait alors lettre morte, lorsqu'il concédait que l'abdication de Benoît pouvait, peut-être, être invalide, apparaît ainsi sous un jour nouveau. Pourquoi n'a-t-il pas poursuivi l'enquête ? Logiquement, il ne peut y avoir qu'une seule explication, à savoir qu'il s'agissait d'un avertissement aux faux cardinaux bergogliens : "Si vous ne votez pas pour moi, nous ouvrirons la boîte de Pandore de l'abdication de Ratzinger et vous perdrez la pourpre".
À moins de considérer Monseigneur Viganò comme quelqu'un qui change d'avis au gré du vent, c'est la seule explication.
La stratégie d'un fin diplomate, comme l'est l'archevêque, semble donc plausible, mais une stratégie qui se passe de l'Hostie, c'est-à-dire qu'elle est menée avec l'indifférence la plus absolue pour l'aspect sacré de l'investiture papale, c'est-à-dire le munus, qui vient de Dieu et que Benoît XVI a gardé.
Et ce n'est pas une coïncidence si Bergoglio le laisse intact. Non pas parce que Viganò est son complice, mais parce qu'il exécute, sans le savoir, le propre plan de François : celui de laisser à la tête de l'Eglise un autre antipape dépourvu du munus. Même si, par un hasard absurde, le prochain faux conclave devait élire un cardinal traditionaliste, avant ou après 2013, il serait toujours un antipape, sans munus et donc sans l'assistance du Saint-Esprit.
Bergoglio y gagne de toute façon, puisque son objectif est spirituel et non politique, celui de livrer pieds et poings liés l'Église du Christ aux "autres". Pour Bergoglio, qu'ils élisent le non cardinal moderniste Zuppi ou le vrai bon cardinal Burke, un traditionaliste, ne fait finalement que peu de différence : l'important est qu'il ne soit pas un pape légitime, c'est-à-dire qu'il ne soit pas élu par de vrais cardinaux à la mort ou à l'abdication régulière de Benoît XVI. Ce qui compte, c'est que le prochain homme blanc n'ait pas le munus et donc qu'il n'y ait pas de Saint-Esprit pour l'assister. Le reste ira de soi, car Bergoglio croit - bien plus que Monseigneur Viganò, de toute évidence - que ces questions ne doivent pas être traitées par des hommes.
Maintenant, d'éventuels détracteurs, puisant toujours dans l'offense personnelle, diront que cet article est une calomnie malveillante et irrévérencieuse. Non : c'est logique et très respectueux de l'intelligence de Mgr Viganò qui, nous le croyons, n'écrit pas les choses juste pour les écrire. Méfiez-vous donc des objections superficielles, cette analyse est "aristotélicienne" : si vous n'êtes ni avec le roi ni avec l'usurpateur, si vous refusez même de considérer une stratégie de salut préparée par le monarque détrôné, si vous n'offrez pas d'explication crédible pour la rejeter, cela signifie que vous poursuivez un autre objectif qui n'a rien à voir avec la volonté d'être loyal au Royaume.
Maintenant, si les Viganiens daignent nous donner une explication claire et convaincante de ce qu'est le jeu de Monseigneur Viganò, nous l'accepterons avec plaisir, cependant, pour l'instant, c'est ce que dit la logique.
Mais ils ne parleront pas, ils joueront les mystérieux, nous laissant imaginer que "Monseigneur Viganò voit et prévoit avec des stratégies insondables et ingénieuses". Comme d'habitude, ils n'accepteront pas d'affronter la Magna Quaestio, car s'ils se glissaient dans le discours du Ratzinger Code, ils n'en sortiraient pas.
Tout au plus, ils diront que l'auteur est arrogant et ignorant, lui qui ose critiquer un archevêque, ou ils resteront silencieux. Mais Silentium est aureum et dit plus que bien des mots.
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