Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait.
"Il est grand le mystère de la foi !" C'est vrai de la foi tout court, de la foi théologale comme telle. La foi est un grand mystère. C'est le mystère de l'infini respect de Dieu pour notre liberté humaine, d'un Dieu qui, pourtant, n'a qu'un désir : que tous les hommes soient sauvés, mais qui ne veut pas que ce salut soit imposé. La foi est le remède proposé par le Médecin divin à tous ceux qui sont atteints par la maladie qui fait plus de victimes que le cancer, le Sida, la "Covid" et les accidents de la route réunis : la maladie du péché originel, qui nous éloigne du paradis, du bonheur que Dieu a préparé pour nous. Puisque la cause de la maladie est le doute, le remède doit être la foi.
La foi est un remède qui n'est pas seulement accessible aux riches, mais à la portée de tous. Il faut même un coeur de pauvre pour l'accueillir. C'est Dieu qui en a payé le prix, par amour pour nous. Répondre à son invitation, c'est abandonner toute complaisance en soi-même et dans le monde visible, et accepter de n'être aimé qu'au titre de sa misère, gratuitement. Les riches éprouveront plus de résistance que les pauvres avant de capituler devant la miséricorde.
On dit quelquefois que croire est un risque : "Au risque de croire", c'est le titre d'un livre. "Au risque d'aimer" aussi. Mais attention : ce n'est pas une loterie, surtout pas une loterie où on gagne même dans le désordre. Si Pascal a pu dire que croire est un pari, c'est pour débouter les libertins par un raisonnement à leur hauteur. Je ne crois pas en Dieu au risque de me tromper, car il ne peut ni se tromper ni nous tromper. La foi est un risque, oui, mais surtout pour Dieu, le risque d'être méprisé, ignoré, rejeté, trahi par ses créatures
Disons plutôt que, pour nous, la foi est une chance et, en même temps, une épreuve. Car Dieu demande la collaboration du malade. La foi obligatoire, cela n'existe pas. La foi évidente non plus, même si elle peut apparaître comme telle pendant un certain temps. La foi se donne à un Dieu qui se révèle progressivement en se faisant de plus en plus proche, jusqu'à s'incarner, jusqu'à donner sa vie pour nous, jusqu'à se donner à manger et à boire par des hommes qui, eux, doivent grandir peu à peu dans la foi. Plus la Révélation de l'Amour se fait intense, plus l'acte de foi demandé est grand. C'est toute la pédagogie de la Révélation divine. Benoît XVI faisait remarquer :
Un jour, dans l'église des Frères Mineurs de Foligno, la bienheureuse Angèle voit la Vierge Marie déposer Jésus Enfant dans ses bras en disant : "Ô toi qui aimes mon Fils, reçois Celui que tu aimes." Jésus dormait. Tout à coup, en s'éveillant, Jésus lui apparaît dans sa majesté immense, et lui dit : "Celui qui ne m'aura pas vu petit ne me verra pas grand." (Cf. dans l'évangile d'aujourd'hui : Et quand vous verrez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant ?) Et il ajoute : "Je suis venu à toi, et je m'offre à toi, pour que tu t'offres à moi." C'est pour cela aussi que l'on fait tout pour évacuer le mystère de l'Eucharistie : parce qu'il exige une réciprocité. Jésus se fait Eucharistie pour que nous menions une vie eucharistique.
C'est pourquoi l'Eucharistie est le mystère le plus difficile à croire, parce qu'il est le plus grand et le plus exigeant, celui qui incarne le plus la miséricorde de Dieu. Ce n'est pas moi qui vous le dis, c'est S. Bonaventure, docteur de l'Église. Et c'est Paul VI qui le réaffirme dans son encyclique sur l'Eucharistie (Mysterium fidei).
Mais la foi en l'Eucharistie suppose la totalité de la foi. Un lien très intime unit la foi théologale à l'Eucharistie. Jésus a d'abord parlé de croire au pain de la vie, et ensuite de le manger. Pour que le Corps et le Sang de Jésus nous transforment, il faut que nous soyons nourris des enseignements de Jésus. C'est l'intelligence de la foi. Nous, catholiques, nous ne faisons presque rien pour former notre intelligence au service de la foi. Le piétisme est une maladie de la foi aussi grave que le scientisme.
L'Eucharistie est le mystère de la foi par excellence. Le test le meilleur de la profondeur de notre foi au Christ, c'est notre foi en sa présence dans l'Eucharistie. Chaque fois que la foi en général s'affaiblit, on peut dire que s'affaiblissent par le fait même le respect de l'Eucharistie et le réalisme de la foi en la présence eucharistique. Selon un sondage récent, deux tiers des Français se déclarent catholiques. Or, dans ces deux tiers, ils sont moins de 5 % à déclarer participer à la messe chaque dimanche, alors qu'un quart se qualifie comme pratiquant. Les sociologues en concluent que l'on peut être catholique pratiquant sans aller à la messe. Voire...
On le voit dès le début, dès l'Évangile, dès le chapitre 6 de S. Jean : au début il y a une foule nombreuse. À la fin, il n'y a plus que les Douze dont le porte-parole est Simon-Pierre, qui dit : Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Les autres, ce n'est plus une foule nombreuse, ce sont les disciples, qui se caractérisent par leurs récriminations. Ils s'écrient : Ce qu'il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l'écouter !
Pourtant, en présence du scandale que cause son enseignement, Jésus ne réagit pas en sociologue, en faisant des distinctions spécieuses entre pratiquants et "messalisants". Il ne retire rien non plus de son enseignement, pour s'adapter à son époque ou à son auditoire. Je me souviens d'un prêtre (il est maintenant décédé - paix à son âme) qui s'est fait proprement "expulser" d'une paroisse à Lausanne. Motif invoqué par ses confrères : "Il dit des choses contraires à l'expression de la foi d'aujourd'hui !" Amalgame bizarre entre le fond ("des choses"), et la forme ("l'expression de la foi"). Jésus fait cette réponse : C'est l'Esprit qui fait vivre, la chair n'est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie (6, 63). Qu'est-ce que cela veut dire ? Ces paroles sont surprenantes dans la bouche de celui qui vient d'affirmer la nécessité de manger sa chair. Elles ne le sont que si on les interprète de travers. Il n'y a que deux manières légitimes de les comprendre (selon le Père Feuillet) :
Première interprétation : la chair du Christ ne servirait de rien sans l'Esprit divin qui l'anime. La nourriture eucharistique n'est pas la chair du Christ dans son état terrestre (nous serions des cannibales !), mais dans sa Résurrection et son Ascension. L'action de l'Esprit Saint est ici essentielle. Elle est signifiée au cours de la liturgie de la messe par l'épiclèse avant la consécration, l'invocation qui a pour but d'obtenir le don de l'Esprit Saint pour la transformation du pain et du vin dans le corps et le sang du Christ.
Deuxième interprétation : ici le mot chair n'est pas la chair du Christ, c'est l'homme réduit à ses seules forces naturelles, l'homme charnel, ne peut que trouver absurdes les paroles de Jésus. Les paroles de Jésus sur l'Eucharistie sont esprit et vie. Elles présupposent pour être reçues l'action de l'Esprit Saint. La communion eucharistique elle-même ne portera aucun fruit sans l'assistance de l'Esprit Saint. C'est pourquoi, après la consécration, une deuxième épiclèse invoque l'action de l'Esprit Saint sur l'assemblée. Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. Et le don du Père, c'est l'Esprit.
Terminons en donnant la parole à Jean Paul II (Ecclesia de Eucharistia, 59) :