Andrea Cionci
Historien de l'art, journaliste et écrivain, traite de l'histoire, de l'archéologie et de la religion. Spécialiste de l'opéra, créateur de la méthode "Mimerito" testée par Miur et promoteur du projet "Plinio" de renommée internationale, il a été reporter en Afghanistan et dans l'Himalaya. Il vient de publier son roman "Eugénie" (Bibliotheka). A la recherche de la beauté, de la santé et de la vérité - aussi inconfortables soient-elles - il entretient une relation compliquée avec l'Italie, qu'il aime à la folie, même si elle lui brise souvent le cœur.
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22 juillet 2021
Cher et estimé Massimo Franco,
Vous avez publié l'année dernière un ouvrage intéressant et documenté intitulé "L'enigma Bergoglio" (éd. Solferino).
Permettez-moi de soumettre à votre réflexion quelques faits inexplicables qui pourraient être bien rassemblés dans un autre livre intitulé, peut-être, "L'énigme Benoît".
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Par souci de concision, je vais rapporter ces faits objectifs de manière synthétique, presque comme s'il s'agissait d'un index, en vous renvoyant aux liens connexes pour toute étude plus approfondie.
Depuis 2013, différents canonistes se sont affrontés avec des interprétations opposées de la Déclaration de renonciation du pape Ratzinger. Vous semble-t-il normal qu'un acte juridique d'une telle ampleur suscite de tels doutes, ce qui en soi le rendrait invalide ? Curieusement, en effet, cette renonciation a été rédigée de manière si "maladroite" qu'elle permet de remettre en cause tous les articles possibles du Code de droit canonique : 124, 332 § 2, 188, 41, 17.
Par une curieuse distraction, Benoît XVI a inversé les entités munus et ministerium, renonçant au ministerium (exercice pratique) et non au munus pétrinien (titre d'origine divine) comme l'exige le Code de droit canonique dans son article 332.2 : "Si contingat ut Romanus Pontifex MUNERI suo renuntiet, ad validitatem requiritur ut renuntiatio libere fiat et rite manifestetur, non vero ut a quopiam acceptetur". Ceci, selon un certain nombre de canonistes, rend son abdication notoirement nulle et non avenue. ICI
Autre bizarrerie, Ratzinger a décidé de reporter l'entrée en vigueur de son abdication au 28 février 2013 à 20 heures. Il fait ses adieux au monde à 17 h 30 ce jour-là, depuis Castel Gandolfo, mais bien qu'il puisse changer d'avis jusqu'à 20 heures (puisqu'il est encore pape en plein pouvoir), après cette heure, il ne ratifie ni ne confirme rien. Selon certains théologiens et canonistes, le report, la non-simultanéité de l'acte et l'absence de confirmation de la Declaratio rendent à nouveau la renonciation invalide. ICI et ICI
En plus d'être objectivement un véritable "cocktail de pièges juridiques", la Declaratio comporte deux erreurs grossières de latin et 20 autres imperfections linguistiques qui ont été dénoncées "sur le vif" par les latinistes Luciano Canfora (dans le Corriere) et Wilfried Stroh dans la presse allemande : selon certaines interprétations, ces erreurs ont été insérées par Benoît XVI pour attirer l'attention sur un acte juridiquement invalide. ICI
Trois ans plus tard, en 2016, dans le Corriere, Ratzinger répète inexplicablement ce qui a été publié dans le livre-interview de Peter Seewald "Dernières conversations" : "C'est moi qui ai rédigé le texte de la renonciation. Je ne peux pas dire exactement quand, mais au maximum deux semaines avant. Je l'ai écrit en latin parce qu'une chose aussi importante se fait en latin. De plus, le latin est une langue que je connais si bien que je pourrais écrire de manière décente. J'aurais pu aussi l'écrire en italien, bien sûr, mais je risquais de faire des erreurs." ICI
N'est-ce pas un peu étrange ? Il faut savoir que Ratzinger lui-même admet dans "Ein Leben" de Seewald que la Declaratio (de 1700 caractères seulement) a été écrite par lui en pas moins de deux semaines et qu'elle a été soumise à l'examen de la Secrétairerie d'État (sous le sceau du secret papal) pour la correction des éventuelles erreurs juridiques et formelles. ICI
N'est-il pas également très curieux que Benoît XVI répète depuis huit ans qu'"il n'y a qu'un seul pape" sans jamais expliquer explicitement lequel des deux ICI ? Ceci est confirmé par l'archevêque Gänswein lui-même : pas une seule fois, en huit ans, il n'a glissé nonchalamment : "Le pape est unique et c'est François".
Ratzinger est considéré comme l'un des hommes les plus instruits de l'Église actuelle. Pourtant, il semble qu'en plus de ne pas bien connaître la langue latine et le droit canonique, il ait également de grandes lacunes en histoire ecclésiastique. Dans "Dernières conversations", il déclare à propos de sa propre démission : "Aucun pape n'a démissionné depuis mille ans et même au cours du dernier millénaire, c'était une exception." Étant donné que six papes ont démissionné au cours du premier millénaire et quatre au cours du second, soit Ratzinger ne se souvient pas bien, soit, comme le confirme l'historien de l'Église de l'université de Milan Francesco Mores, il fait référence au pape Benoît VIII qui, au cours du premier millénaire, a été contraint de renoncer au ministerium (tout comme Ratzinger) parce qu'il avait été évincé par un antipape. En substance, Benoît XVI nous dit qu'il a "démissionné" en renonçant à des fonctions pratiques comme les très rares papes qui n'ont jamais abdiqué au cours du premier millénaire. ICI
En effet, dans "Ein Leben", Ratzinger confirme à nouveau le fait en affirmant que la renonciation de Célestin V, l'abdicateur par excellence, ne pouvait en aucun cas lui être associée comme un précédent. ICI . Il est d'ailleurs curieux que le même volume ne parle toujours que de "démission" (Rücktritt) pour lui et d'abdication (Abdankung) seulement pour les papes qui ont réellement renoncé, comme Célestin V.
N'est-il pas étrange, alors, que Benoît XVI continue à s'habiller en pape, à donner la bénédiction apostolique, à se signer P.P. - Pater Patrum et à jouir de prérogatives si typiquement papales qu'elles déconcertent des millions de fidèles et suscitent les critiques du Cardinal Pell ? ICI et ICI
Comment se fait-il que l'institution du pape émérite soit contestée par tous les grands canonistes (Boni, Fantappiè, Margiotta-Broglio, de Mattei) et semble ne reposer sur rien ? En gros, ils disent tous qu'il n'y a pas de pape émérite, mais qu'il est toujours LE pape. ICI
Et que dire du fait qu'avant le conclave, Benoît XVI a promis de jurer obéissance à un "successeur" non identifié et ne l'a jamais fait pour François ? En effet, en 2016, il répondait ainsi à la question de Seewald : "En prenant congé de la curie, comment pourrait-il ensuite jurer une obéissance absolue à son futur successeur ?".
La réponse de Benoît XVI : "Le pape est le pape, peu importe qui il est". ICI
En bref, est-il possible que le grand latiniste Joseph Ratzinger, ICI , l'un des intellectuels les plus cultivés et significatifs du XXe siècle, théologien adamantin, scrupuleux et teutoniquement rationnel, à partir de 2013, malgré la lucidité de ses publications ultérieures, se soit transformé soudainement - et par moments - en un extravagant ecclésiastique, non préparé en latin, en droit canonique, en histoire de l'Église, "revanchard" et ambigu au point de jeter des millions de fidèles dans l'angoisse et l'incertitude ?
D'autre part, vous avez vous-même identifié dans "L'énigme Bergoglio" d'énormes criticités dans le pontificat de François, culminant ces derniers jours dans un acte qui a soulevé une énorme controverse, comme l'abolition de la messe en latin par un motu proprio qui abroge le Summorum Pontificum de Benoît XVI.
Ici, nous avons essayé de réarranger les pièces de ce difficile puzzle dans une possible reconstruction générale ICI bien que choquante, elle répond en théorie à toutes ces questions en les composant dans un cadre unitaire et logiquement cohérent. Le soi-disant "plan B" confirmerait ce qui a été dit, en termes abstraitement généraux, par le plus important philosophe italien, Giorgio Agamben, à savoir que "la démission de Ratzinger serait une préfiguration de la séparation entre "Babylone" et "Jérusalem" dans l'Église : au lieu de s'engager dans la logique du maintien du pouvoir, avec sa démission, Benoît XVI aurait souligné son autorité spirituelle, contribuant ainsi à son renforcement".
La reconstruction du soi-disant "Plan B" a été reprise et commentée également par les vaticanistes italiens les plus autorisés comme Marco Tosatti ICI et Aldo Maria Valli ICI et traduite en cinq langues à l'initiative de sites et de blogs étrangers. Récemment, elle a également été confirmée dans son intégralité par le professeur Antonio Sànchez Saez, professeur de droit à l'université de Séville ICI .
Je suis très surpris que des questions aussi importantes soient soigneusement évitées par des collègues, des ecclésiastiques et des intellectuels à qui l'on a proposé une discussion cordiale ICI, au point de laisser entendre qu'il s'agit d'un véritable tabou. C'est assez troublant.
Par conséquent, je serais très heureux si vous aviez la curiosité d'examiner ce matériel et de nous fournir votre commentaire autorisé pour aider à faire la lumière sur une question qui, en plus d'impliquer 1,285 milliard de catholiques, si elle n'est pas clarifiée, pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour l'Église.
Je vous enverrai la bibliographie citée, afin que vous puissiez vous-même vérifier chaque affirmation.
Merci beaucoup, avec des salutations cordiales,
Andrea Cionci