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Publié par Walter Covens

    J'ai passé un demi-siècle à étudier les Évangiles de l'enfance (Mt 1-2 et Lc 1-2, et le reste). J'ai toujours entrevu la richesse de ces Évangiles, nourris de tout l'Ancien Testament, qu'ils réactualisent de manière lumineuse, et inspirateurs de la joie de Noël depuis deux millénaires.

    Et, pourtant, je restais envoûté par l'iconoclasme culturel ambiant, issu du rationalisme libéral: ces premiers chapitres étaient des légendes tardives, des theologoumena; c'est-à-dire des récits fictifs fabriqués pour exprimer des idées théologiques chères aux croyants, répétait-on.

    Mes premiers travaux, qui manifestaient la richesse biblique de ces Évangiles, rallièrent une large estime dans le monde exégétique à l'échelle oecuménique; Je caractérisais ces Évangiles comme des Midrashim. On en induisait que je les tenais pour fabulation, ce qui était versé à mon actif "progressiste". De fait, je n'osais trop poser le problème de l'historicité, largement mis en doute. J'en faisais largement abstraction. Celle de Luc avait bien des raisons de me convaincre: son prologue d'historien, son souci de se fonder sur des témoins "ocurlaires" (1, 3), ses références transparentes à ces témoins, etc. Mais je larguais Matthieu.

    J'en étais là, en 1966, lorsque la Congrégation de la foi me nomma membre d'une commission chargée d'évaluer l'historicité de ces premiers chapitres, si décriés. Mon jugement resta en suspens, comme il sied.

    C'est en 1980 que j'osai border l'étude spécifiquement historique de ces Évangiles. Elle dissipa les doutes malsains qui obscurcissaient ma pénétration du texte, en la déracinant. L'exégète anglican R.T. France m'y a beaucoup aidé (...). J'ai été ainsi libéré de cette déstabilisation qui fait dire à certains prêtres:
- Je n'ose plus prêcher les Évangiles de Noël, puisque ce sont des légendes.

    Au-delà des soupçons artificiels de notre culture brillante et créatrice, je n'ai plus de difficulté à évoquer la vérité humaine (et divine) de Jésus ni de la crèche de Bethléem, car l'artifice est dans nos subtilités culturelles, non dans l'Évangile.

    Ce retour à l'évidence a nui a ma réputation. Je me trouvai classé fondamentaliste: auteur à déconseiller. Je ne regrette pas trop cette perte de prestige, car, ainsi libéré de doutes débilitants, je mesure plus objectivement la qualité, l'originalité, la profondeur des Évangiles. Je me sens de plus en plus dépassé, submergé, émerveillé par leur expression, à la fois neuve, limpide et profonde, du mystère indicible de l'Incarnation. J'en discerne davantage la densité, surtout dans les pages essentielles où Dieu a concentré sa Lumière et son Amour.

    Les évangélistes eux-mêmes étaient dépassés par ce qu'ils écrivaient. C'est ce qui fait leur présence. Si on sait lire et analyser les Évangiles en ce dépassement même, on y découvre objectivement des profondeurs humaines et divines qui ne sont point projections extérieures, mais pénétration du texte même, discernement de sa densité insoupçonnée.

    Chacune des méthodes scientifiques ainsi appliquées aux Évangiles de l'Enfance m'a fait découvrir, dans la teneur littérale des textes, des valeurs et une cohérence insoupçonnées. On fait cette heureuse expérience quand on utilise les sciences humaines comme des instruments, dans la lumière de la foi, et non comme des scalpels, pour une dissection destructrice à la lumière du rationalisme. Françoise Dolto avait soumis l'Évangile au risque de la psychanalyse. Mieux eût valu soumettre la psychanlyse au risque de l'Évangile. F. Belo avait soumis l'Évangile de Marc au matérialisme dialectique de Marx et réduisait ainsi l'Évangile à un sous-produit des moyens de production. C'était l'amputer de l'essentiel. Mieux eût valu soumettre Marx à la critique de l'Évangile, dont il utilisait et inversait les valeurs messianiques, pour forger son messianisme humanitaire et matérialiste. Si les sciences humaines aident à pénétrer l'Évangile, réciproquement l'Évangile, intégralement compris, oblige à réviser, à affiner, à perfectionner toute méthode qu'on lui applique: qu'elle soit littéraire, historico-critique, sémiotique ou autre.

    Ainsi les Pères grecs ont-ils dû approfondir et réviser l'instrument culturel qu'était la philosphie grecque, pour rendre compte de l'unité personnelle du Christ: "Un en deux natures", ou l'Unité de Dieu dans une Trinité de personnes (R. Laurentin, Comment concilier la foi et l'exégèse?, Paris, Oeil, 1984).

    Hélas, cette redécouverte objective des Évangiles n'est pas reconnue. Elle est considérée, a priori et sans examen, comme naïveté, subjectivité, marginalité. Quiconque perçoit l'authenticité des Évangiles est étiqueté "fondamentaliste", même s'il est étranger au simplisme qu'on stigmatise sous ce vocable.

    Les fruits merveilleux de l'objectivité scientifique, aujourd'hui retrouvée par beaucoup, au-delà des idéologies, sont méconnus. Si mes premiers travaux exégétiques ont été unanimement appréciés, y compris par R.E. Brown, tant que je n'ai pas abordé l'historicité des Évangiles, lorsque, en 1983, j'ai réhabilité cette authenticité, j'ai été marginalisé ou attaqué. R.E. Brown n'a d'ailleurs pas discuté mes arguments, mais s'est borné à des banderilles sans intérêt pour la progression du débat, dans ses divers livres, articles et conférences contre ma personne.

    En revanche, ma persévérante réhabilitation des Évangiles de l'Enfance m'a valu beaucoup d'amis dans toutes les couches sociales et à tous les niveaux: professeurs de faculté, artisans ou telle fermière, qui gardent en bonne place Les Évangiles de l'enfance (1982) et Les Évangiles de Noël (1985) comme livres de chevet. Car l'intimité et la connaturalité avec le Christ suppléent souvent au manque de formation technique pour permettre d'accéder à la compréhension essentielle des textes inspirés, selon l'adage du Christ Lui-même:

Je te rends grâces, ô Père, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux savants et que tu les as révélées aux tout-petits (Mt 11, 25-27, et Lc 10, 21-22).

    Cette Vie de Jésus a été écrite pour faire découvrir Jésus, enseveli sous nos inculturations réductrices, et détruit par tant de best-sellers plus ou moins dominés par les influences rationalistes, anticléricales, antichrétiennes ou antireligieuses d'aujourd'hui, qui veulent bien lui garder une figure sympathique (merci!) pourvu qu'il soit un zéro parmi les zéros d'ici-bas.

Vie authentique de Jésus Christ. Fondements, preuves et justification, Éd. Fayard 1996, p. 14-17
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