Je n'ai pas à réfuter ici les trop nombreux livres qui ont réduit Jésus à des caricatures assez diverses ou l'ont désintégré: d'Anthony Burgess à Jean-Claude Barreau (récidiviste), Gérard Messadié. Quant à Jacques Duquesne, assurément meilleur journaliste qu'exégète, son mérite est d'avoir vulgarisé la position d'assez nombreux exégètes officiels qui forment la foi des prêtres dans la relativité. Il a parfois durci les angles en bon journaliste, ou explicité ce qu'ils suggèrent plus prudemment. Certains ont protesté qu'en les démasquant, il les caricaturait.
Quoi qu'il en soit, cela fait autant de Jésus à divers degrés ratatinés, phagocytés, déformés, méconnaissables, plus ou moins remodelés au goût culturel du jour.
Les ressorts de ces entreprises - quels que soient le talent ou l'ingéniosité de leurs auteurs - se laissent résumer par ce titre d'une pièce d'Ionesco: Comment s'en débarrasser? Tout au long de ce drame cocasse, on voit avancer sur la scène les pieds immenses d'un cadavre, tandis que deux vieux époux se chamaillent de manière névrotique et grotesque. Le cadavre envahit leur demeure: c'est leur amour défunt. La mort grandit parfois, quand c'est la mort d'un amour essentiel. Un amour retourné en haine peut secréter douleur et malheur dans des proportions gigantesques. Les nouveaux Jésus qui grandissent encore en best-sellers juteux illustrent cette parabole à grande échelle.
La plupart des livres qui prétendent apporter "la vérité sur Jésus" sont sans valeur scientifique ni religieuse. Ils ne figurent pas dans les bibliographies et les bibliothèques universitaires, sinon au rayon "Musée des horeurs" et des illusions médiatiques. Ils sont tenus pour rien par les exégètes sérieux, qui s'en désolidarisent, si par hasard l'auteur les cite comme fondement de ses extrapolations plus ou moins dérilantes.
De grands noms universitaires illustrent cette réduction de Jésus à la culture ambiante: de Renan, prototype remarquable, à Dupont-Sommer, ex-dominicain de l'école biblique, promu à l'Institut, qui fit du Maître de Justice de Qumran un super-Christ avant le Christ: incarné, "crucifié comme lui", titrait Le Figaro du 24 février 1951. Renan évacuait celui qu'il priait au séminaire Saint-Sulpice; et Dhorme, celui auquel il avait d'abord consacré sa vie. Il n'était que trop tentant d'en débarrasser les autres après s'en être débarrassé soi-même.
Que reste-t-il des best-sellers de 1975, qui faisaient de l'apocryphe de Thomas (écrit gnostique de date incertaine, attesté seulement au IIIe siècle) un super-Évangile, primitif, source et matrice des autres, détenteur d'une tradition privilégiée. Ces illusions aussi furent vite dissipées (R. Laurentin, 'L'Évangile selon Thomas", in Études, décembre 1975, p. 733-752).
L'outrance des détracteurs fut telle qu'un large courant d'auteurs, de Constantin François de Volney (1791) à Paul-Louis Couchoud (1926), soutint que Jésus n'avait jamais existé, qu'il n'était qu'un mythe, solaire ou religieux. Cette absurdité, aujourd'hui périmée, a largement influencé l'opinion. Et les médias se réfèrent couramment à cette "incertitude scientifique fondamentale" sur l'existence de Jésus.