La prole implique la voix, la communication. En parlant, je vous communique - du moins j'essaie! - ce que j'ai contemplé, ce que j'ai pensé. UNe parole vivante est toujours reliée à la source, qui est la pensée.
Le "verbe" est le contenu de la pensée, le fruit de la connaissance. Nous pourrions donc dire que logos, ici, devrait se traduire par "secret". Dans l'ordre de la connaissance affective, en effet, le fruit de notre connaissance aimante (le verbe intérieur, le verbe du coeur - verbum cordis, comme disent saint Augustin et saint Thomas), c'est le secret. Et dans l'ordre de la connaissance affective, en effet, qui est plus proche de nous que la connaissance spéculative, intellectuelle, nous comprenons bien la différence: communiquer un secret et le garder sont deux choses tout à fait différentes.
Quand quelqu'un que nous aimons, et qui a confiance en nous, nous confie un secret, il nous dit: "je te confie un secret, mais surtout n'en parle pas, ne le dis à personne, c'est un secret. J'ai confiance en toi, je te confie ce secret". Communiquer un secret sans la permission de celui qui nous l'a confié est une trahison, et c'est ce qui brise le plus la confiance. Il faut être très attentif à cela, parce qu'aujourd'hui on vit une ère de communication, de journalisme, et on croit qu'on peut tout communiquer. Non, pas du tout! Le secret est une chose très profonde, et communiquer un secret est une faute grave, au sens fort, parce que c'est briser la confiance. Évidemment il y a des secrets de polichinelle, des secrets de concierge; ceux-là ne sont pas de vrais secrets. Le vrai secret est quelque chose de beaucoup plus profond.
Rappelons-nous la première fois qu'on nous a confié un secret. Si nous appartenons à une famille dont nous sommes le benjamin ou la benjamine, le frère aîné, un jour, nous a peut-être confié quelque chose en nous disant: "Je n'ai encore dit cela à personne, même pas à nos parents, je te le confie parce que toi... c'est différent. Garde cela, c'est un secret." Ou bien un ami nous a communiqué comme un secret, une décision qu'il a prise, l'orientation de sa vie, son amour... Le premier secret, ordinairement, c'est quand on commence à aimer. Et dès qu'on commence à aimer on devient capable de porter un secret, parce que c'est l'amour qui "secrète" un secret. Et le grand secret, c'est la personne qu'on aime, qu'on porte en soi. C'est elle qui est le secret de notre vie, la perle intérieure que nous "secrétons" intérieurement. Et c'est vrai: un secret, nous le "secrétons" intérieurement. C'est la vie de notre vie, le coeur de notre coeur: c'est quelque chose que nous portons en nous, au plus intime de nous-mêmes. Dès que nous aimons quelqu'un, nous le portons en nous-mêmes comme notre secret, comme ce qui est essentiel à notre vie. Et nous sentons ien que ce secret nous met dans le silence. C'est par le secret que nous entrons dans le silence intérieur. C'est très simple, il n'y pas d'autre porte. Le silence extérieur est un acte de volonté: "Je veux me taire", c'est une question de volonté. Nous pouvons tous nous taire une demi-heure. Pas beaucoup plus, parce que, au bout d'une demi-heure, notre volonté est fatiguée, ça chauffe, !a soulève le couvercle et sa déborde - et on se met à bavarder. Le silence extérieur est une question ascétique. Le silence intérieur, lui, provient de l'amour et il s'impose à nous. Il y a des âmes silencieuses (heureusement!): elles gardent l'amour. Le silence est gardien de l'amour. Dès qu'on aime on sait cela. Les Pères de l'Église avaient cette comparaison merveilleuse du parfum (et c'est juste puisque le parfum, selon le symbolisme de l'Écriture, est toujours lié à l'amour) qui, s'il n'est pas très bien gardé, s'évapore (toutes les choses très bonnes, très qualitatives, sont subtiles, elles s'évaporent). Notre coeur, s'il n'est pas tenu par un secret, s'évapore... Au fond, notre vraie personnalité se noue dans le secret, dans les vrais secrets. Notre force intérieure, c'est le secret, c'est de porter un secret.