Rien de moins que Dieu. Mais est-ce qu'on peut désirer Dieu, attendre une récompense? C'est Kant qui voudrait qu'on fasse le devoir d'une manière totalement désintéressée, sans attendre de récompense. La toute grande réponse, c'est la charité, qui n'a qu'un désir: Que Votre règne arrive! c'est ce que je désire par-dessus tout, sans me demander si je serai damné ou sauvé. Si je dis: que Votre Règne arrive! je suis tellement sûr de demander une chose sainte que je n'ai pas besoin de me soucier d'autre chose! Que Votre volonté soit faite sur la terre comme elle est faite dans le Ciel par les anges! L'âme est alors libérée de tout. Elle arrivera même - nous le verrons dans un instant - à des paradoxes étonnants sur la souffrance.
Et alors ose-t-on encore parler de récompense? Mais c'est dans l'Évangile! Après les Béatitudes: "Réjouissez-vous quand vous serez persécutés, haïs, à cause de Moi, car votre récompense est grande dans les cieux" (Mt 5, 11-12). Quelle récompense? La récompense de l'Amour, du désir de l'Aimé, c'est la rencontre avec l'Aimé. Est-il vil, ce désir? Égoïste? Pauvre morale kantienne, tendue, inhumaine! À force de vouloir diviniser l'homme, elle en fait une espèce de machine, sans cette humilité qui convient à la créature, qui met Dieu en elle, qui la fait divine.
L'espérance comporte une imperfection par rapport à la charité. Celle-ci s'oublie elle-même, l'espérance mendie. elle mendie cette Béatitude infinie qui est dans le coeur de Dieu. Il nous sera donné de nous emparer de Dieu, non certes pour le subordonner à nous comme moyen, ce serait insensé! mais pour nous subordonner à lui comme à notre Fin, comme le mendiant qui se subordonne à celui qui vient remplir son indigence. Soumission humble et adorante de la créature mendiante par la foi et l'espérance; soumission adorante de la créature extasiée par la charité qui ne pense plus à elle. Plus de chemin entre moi et Lui, parce qu'il n'y a plus de moi, mon moi est en Lui, il l'a pris. C'est le plus profond commentaire de la prière de Nicolas de Flue: "Mon Seigneur et mon Dieu, prends-moi à moi et donne-moi tout entier à Toi." Possession de Dieu, bien sûr, mais de Dieu qui débordera par son infinité ce que nous en pourrons puiser. Parce que Dieu seul est capable de contenir toute la divinité autant qu'elle peut être saisie. "Entre dans la joie de ton Seigneur." Je t'avais confié 5 talents, tu en as rapporté 2... Tu as été fidèle sur de petites choses. Les grandes choses d'ici-bas sont toujours petites par rapport à "Entre dans la joie de ton Seigneur" (Mt 25, 22-23).
Il faut espérer rien de moins que Dieu. Peut-on espérer cependant des choses créées? Oui, oui! Tout le paradis plus tard; et ici-bas toutes les choses créées, des plus humbles jusqu'aux plus hautes, pourront tomber sous l'attente de l'espérance dans la mesure où elles seront ordonnées à la béatitude substantielle et infinie. À Dieu de voir si elles sont vraiment pour nous des aides, ou s'il vaut mieux que nous en acceptions la privation. Cela fait penser au mot de la petite fille, qu'on m'avait cité comme authentique, et que j'ai souvent répété depuis lors parce que je l'aime beaucoup. C'est une petite fille pauvre qui avait demandé à Jésus une poupée pour Noël. Elle l'avait dit à ses amies. Et voici qu'il n'y a pas eu de poupée. Alors ses petites amies: Tu vois, tu as demandé à Jésus, il n'a pas répondu... - Si, il a répondu... Un moment de silence, puis elle ajoute: "Il a dit non". Que cette petite fille ait dit cela, c'était bien mieux que de recevoir un poupée de cire...