Pour le moment nous envisageons l'alititude du but à atteindre. Et cette espérance théologale dont nous parlons, elle porte sur un bien que saint Thomas désignera par ces mots admirables: non minus aliquid sperandum est a Deo quam sit ipse (S. Th. II-II q. 17 a. 2), rien de moins que Dieu lui-même, que ce qu'Il est lui-même. C'est complètement fou, vous voyez: attendre Dieu lui-même! Mais ce Dieu est infini et moi je suis fini, comment voulez-vous? Il y a disproportion radicale, distance infinie! Je peux bien connaître Dieu d'en bas, avoir pour lui une vénération de par la raison, voir qu'il est le Créateur et me tenir dans sa dépendance, mais Lui-même étant toujours hors de toute la sphère que peut embrasser l'horizon humain, en dessus de tout. Mais aller le rencontrer! Dans l'endroit où Il est! Rien de moins que cela, rien de moins que ce qu'Il est lui-même. Et la raison c'est que sa bonté n'est pas moins grande que son essence, c'est-à-dire infinie; et que c'est sa Bonté qui va venir à notre secours pour nous donner la rencontre avec le Bien infini qu'il est lui-même.
Ce ne sont pas des choses rêvées, mais bien des choses révélées, que je vous dis là. Dans tout l'horizon de l'Évangile, c'est cela. Je vous lis seulement quelques textes. Celui-ci est pris de la 1re Épître de saint Jean (3, 2): "Voyez quel grand amour nous a donné le Père, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu, car nous le sommes. Dès maintenant nous dommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous Lui serons sempblables, parce que nous Le verrons tel qu'Il est." Complètement fou! C'est pourquoi le mot d'"amour fou" c'est le vrai mot. Les saints l'ont compris. Quant à nous, nous pouvons au moins sentir la splendeur de ces choses-là, et cela déjà nous fait du bien.
Vous savez que Bergson, dans son dernier livre, Les deux sources de la morale et de la religion, parlant de l'appel du héros, qui est pour quelques-uns seulement, dit qu'il y a un second plan de grandeur, celui de ceux qui comprennent la grandeur du héros. Avec plus de perspicacité que beaucoup, il prévoyait déjà qu'un jour pourrait arriver où l'on trouverait un moyen d'esterminer l'humanité tout entière. Et alors, disait-il, à cette puissance de l'hommes ur l'univers qui se déploie avec une accélération étonnante, il faudrait un supplément d'âme. Au moyen âge il y avait comme un climat de la contemplation qui faisait considérer comme inférieures les choses de la technique. Maintenant c'est l'autre versant. Et alors, dit-il, si après une période de mécanique comme la nôtre il n'y a pas une période de mystique, nous sommes perdus. Il pensait bien que ce serait trop de demander que tous soient des mystiques; il faudrait cependant qu'il y en eût suffisamment. Et à nous autres, disait-il, il nous ouvriraient la route. C'est un peu, vous le voyez, bien qu'il n'y pense pas à ce moment-là, l'histoire de Sodome et Gomorrhe: s'il y a dix justes, j'épargnerai la ville. Maintenant il y a toujours "dix justes" dans l'humanité, puisqu'il y a l'Église, toujours.
"Nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'Il est." C'est ce qui se réalisera pour nous si nous avons tenu dans l'exaltation de cette attente de rien de moins que Dieu.
Au verset 12 du chapitre 13 de la 1re aux Corinthiens, - qui traite des trois vertus théologales (...) - vous avez: "Quand j'étais enfant je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant; une fois devenu homme j'ai fait disparaître ce qui était de l'enfant..." ("À toutes les époques de l'histoire, a écrit Dietrich von Hildebrand, l'humanité a considéré qu'elle arrivait à l'âge adulte!") "Aujourd'hui nous voyons comme dans un miroir et en énigme, mais alors ce sera face à face", visage contre visage. "Aujourd'hui je connais d'une manière imparfaite", dans la foi, "mais alors je connaîtrai comme je suis connu." Je Le connaîtrai comme je suis connu par Lui, Il me transperce.
Dans saint Jean, dans ce grand chapitre 17 qu'on appelle la "prière sacerdotale", vous avez, au verset 24: "Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis ils soient eux aussi avec moi, pour qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, parce que tu m'as aimé avant la création du monde."
Qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée... Bien sûr c'est fou! Mais si vous ne voulez pas de cette folie, vous aurez celle d'en bas, avec tous ses déchaînements. Dans cette grande apostasie actuelle il y a comme la marque du démon, avec ce délire de la sexualité. Aucun doute. Le démon commence toujours par les choses spirituelles, vous dira un contemplatif, qui regarde tout du point de vue de Dieu. Puis il y a des descentes d'escalier, peu à peu; et tout le monde finit par être intoxiqué, et ce qui apparaissait comme un mal apparaît comme naturel, comme un besoin de l'humanité. C'est la tromperie. Après c'est le désespoir, le suicide, les divorces, les haines, et l'enfer qui commence sur la terre. Ce n'est par là qu'il faudra chercher la joie d'un saint François d'Assise!