Pourquoi donc cette espérance est-elle peu à peu trompée, brisée? C'est ici que se pose pour nous une question: l'homme est embarqué, non pas pour une course, un combat seulement humains, la vie ou la mort corporelle: l'issue de la course c'est ou le ciel ou l'enfer. Par conséquent il devra, au départ, être soulevé par une espérance orientée vers le Ciel, sinon viendront toutes sortes de déceptions dont nous parlons, et le désestpoir. Désespoir qui pourra prendre des formes muettes ou s'exprimer par des cris de violence, de blasphème. Et cela parce que l'élan n'a pas été pris assez haut.
La vie humaine s'en va à la rencontre du terme qui n'a pas été fixé par l'homme lui-même, mais par le Dieu d'amour qui l'appelle à s'en aller jusqu'à sa rencontre, et qui lui offre secrètement, qui offre à tout homme les poussées nécessaires qui viendront, d'étape en étape, secourir son impuissance. Surttout s'il le demande, le secours lui sera donné. Dieu donne aux êtres une réponse à leur désir, de façon très différente. Quand il s'agit des bêtes, "aux petits oiseaux il donne leur pâture, et sa bonté s'étend sur toute la nature", elles n'ont pas à prier: la nourriture dont elles ont besoin elles la trouveront, ou elles périront. Mais l'homme, qui a une intelligence, doit normalement demander pour recevoir. C'est sa dignité d'être providence à soi-même, de décider soi-même de sont trajet; et comme la route est difficile et qu'il sait qu'un secours peut lui être accordé, c'est sa dignité de se tourner vers Celui d'où vient le secours. S'il demande un peu, il recevra un peu; s'il demande beaucoup il recevra beaucoup; s'il demande quelquefois, il recevra quelquefois: aux moments diffciles le secours lui sera donné et il pourra échapper à la perdition. Mais s'il demande de façon continue, par un élan secret du fond de son coeur comme deux bras qui s'ouvrent vers l'Absolu, s'il demande toujours, de cette tendance-là, il recevra toujours. "À celui qui a, dit Jésus, on donnera davantage" (Mt 13, 12), parce qu'il aura demandé davantage.
À un moment donné, alors, pourra se présenter à lui l'appel à être non pas seulement un chrétien sauvé et qui pourra sauver quelques-uns autour de lui, mais à être dans la plénitude du mot un disciple. "Celui qui veut être mon disciple, qu'il quitte son père, sa mère, sa femme, ses enfants, sa maison et ses champs, et qu'il me suive" (Lc 14, 26). Qu'il quitte tout et qu'il me suive, et il lui sera donné, "avec des persécutions", d'être un disciple. C'est là une altitude qui n'est pas celle à laquelle tous s'élèvent, parce que tous n'ont pas demandé toujours. S'ils l'avaient fait, cela les aurait préparés à entrer dans la profondeur de cet amour qu'on a appelé l'amour "fou" de Dieu.
C'est bon de savoir ces choses, si misérables que nous soyons, pour que nous comprenions que le chemin n'est jamais barré. Il n'y a pas de plafond: au-dessus de chacune de nos têtes c'est l'infini du Ciel.
Alors, si le but de la vie c'est de s'en aller vers le Ciel, manquer le Ciel sera se mettre sur la voie de l'enfer. Les difficultés de la vie arriveront à user, briser un être, faire de lui comme une épave à qui tout apparaît comme absurde. (Je pense aux fins de vie de Becket, des choses comme cela, ce déspoir...)
Si donc l'élan vers le Ciel n'est pas pris suffisamment haut, parce qu'on n'aura pas accepté les invitations divines, - de soi on pourrait manquer le but et s'engager vers l'enfer , si... Oh! mais à ce moment pourront arriver des secours de provenance inconnue: les prières des saints, des âmes totalement données à Dieu, qui sont cachées dans le monde, ou dans des couvents, ou dans des cachots... là où personne ne peut les voir, cachées dans la "nuit" de Jésus. C'est sur ces secours d'innombrables êtres qu'il faut beaucoup compter. En sorte qu'il faut garder la confiance dans le grand nombre des élus, à cause des prières de l'Église unie à Jésus, de la prière constante de Jésus.
Ce serait la réponse à faire à l'intermède de la tauromachie de Landsberg: le jeu est truqué, oui il est truqué si votre espérance n'est pas assez grande. Si votre espérance est théologale, alors non, le jeu n'est pas truqué. Votre chemin pourra être barré par une contrariété, un échec, une hostilité, ou la maladie, ou ce que vous voudrez... ce sera pour que vous puissiez repartir sur un chemin plus haut. Il s'agit donc de prendre l'élan.
(Déjà dans l'amour humain il s'agit de prendre un bon départ. Pour ceux qui veulent se marier, il est bon qu'il y ait l'amour romantique "dont les initiales sont gravées sur tous les arbres du monde". Mais il ne faudra pas en rester là, sinon on dira que la mariage est un piège. Il faudra passer à ce que l'auteur que je cite (Jacques Maritain) appelle le "bel amour", où la grandeur spirituelle de l'âme triomphe des difficultés rencontrées. L'amour dans lequel on se cherchait inconsciemment devient alors l'amour véritable, le "bel amour", qui consiste à se donner.)
Mais, pour en revenir à l'espérance, cette espérance dont je vous disais (...), à la suite de saint Paul, qu'elle ne confond pas, comme la lumière de la foi elle est offerte secrètement, très secrètement, à toute âme humaine. Et si celle-ci ne dit pas non à cet amour de Dieu, qui même si on dit non pourra revenir soixante-dix fois - comme il nous est demandé de pardonner soixante-dix fois sept fois, - cet amour reviendra soulever au fond de l'être l'élan de l'espérance.