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Praedicatho homélies à temps et à contretemps

Praedicatho homélies à temps et à contretemps

C'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Crédit peintures: B. Lopez


Dédicace, oeuvre de Dieu oubliée (dernier dimanche d'octobre)

Publié par Walter Covens sur 29 Octobre 2021, 23:09pm

Catégories : #homélies (patmos) Année B - C (2006 - 2007)


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    Aujourd'hui, en France et en Belgique, nous célébrons la solennité de la dédicace des églises dont on ignore la date de consécration (le 25 octobre, ou bien le dernier dimanche d'octobre). 

    Permettez-moi de commencer en vous posant quatre questions. Attention: seuls ceux qui pourront répondre aux quatre questions auront gagné!
 
Première question: Connaissez-vous votre date de naissance?

Deuxième question: Connaissez-vous votre date de bapême?

Troisième question: Connaissez-vous la date de construction de votre église paroissiale?

Quatrième question: Connaissez-vous la date de la dédicace de votre église paroissiale?

    Je sais déjà que, sauf révélation de dernière minute, personne n'a gagné. Car la quatrième question, je vous l'ai déjà posée il y a plusieurs mois, et je n'ai eu aucune réponse, sauf celle d'une paroissienne, qui s'est renseignée un peu partout, même à l'archevêché, et qui n'a pas trouvé la réponse. Cette personne mérite donc une mention honorable.

    Trouvez-vous cela normal? Et je n'ose pas imaginer le nombre de personnes qui ne connaissent pas non plus la date de leur baptême. Quand, de temps à autre, je pose la question, on me répond: - Mais, mon Père, j'étais tout(e) petit(e), et je ne m'en souviens pas!... Merci de me le rappeler, mais je sais fort bien que l'être humain n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé durant les deux à trois premières années de son existence. Mais il y a un évènement qui a précédé notre baptême, et dont pourtant, je pense, tout le monde connaît la date: c'est la naissance. Pourquoi tout le monde connaît-il sa date de naissance? Parce que nos parents nous l'ont dit, parce que c'est inscrit sur nos papiers d'identité, et parce que déjà tout petits, nous ne manquions pas de fêter chaque année notre anniversaire.

    Si nous ne connaissons pas la date de notre baptême, c'est donc qu'aucun de ces aide-mémoire n'a fonctionné:

- nos parents, parrains et marraines ne nous ont jamais rien dit;

- le livret de famille n'a pas été complété ou consulté, ou a été égaré;

- et on n'a jamais non plus fêté l'anniversaire de son baptême.

    Mais en tout état de cause, nous avons une responsabilité personnelle. Car si nous nous étions inquiété de savoir, on aurait su. Il aurait suffi de demander à ceux qui ont participé à la célébration de notre baptême et qui, eux, avaient plus de trois ans. Et si aucune de ces sources de renseignements ne peut répondre, vous pouvez toujours vous adresser au bureau paroissial ... si, du moins, vous connaissez l'endroit où vous avez été baptisé.

    Si on a le courage de se demander sincèrement pourquoi on ne connaît pas la date de son baptème, alors qu'on connaît celle de sa naissance, qui était pourtant antérieure, on est obligé de répondre en gros ceci: - C'est parce que je vis comme un païen! Qu'est-ce que j'entends pas "vivre comme un païen"? Cela ne veut pas dire que vous êtes méchants (il y a des païens très genitls); non plus que vous n'allez pas à la messe (vous y êtes). Par "vivre comme un païen", j'entends d'une manière générale: accorder plus d'importance à ce que fait l'homme qu'à ce que fait Dieu.

    Je ne peux pas développer cela comme il faudrait dans le cadre de cette homélie, cela nous emmènerait trop loin. Je vous rappelle seulement ceci: David dit à Dieu (au prophète Nathan): - Je vais te construire une maison. - Fort bien, félicitations! lui répond le prophète. Mais ensuite le Seigneur dit à Nathan ce qu'il en pense, lui. - C'est moi qui te construirai une maison, lui dit-il. C'est Salomon, son fils et successeur sur le trône, qui entreprendra ce travail. Et David est obligé d'abandonner son idée, si généreuse pourtant, pour se concentrer sur un autre travail, tellement plus important: croire que Dieu fera ce qu'il a promis. À quoi cela servirait-il de faire des tas de choses "pour Dieu", si on n'accueille pas dans la foi ce que Dieu fait "pour nous"? Cela ne servirait qu'à nous éloigner de Dieu, et à nous enfoncer encore davantage dans notre orgueil. Et on finit pas penser que c'est nous qui allons sauver Dieu, alors que c'est lui qui nous sauve.

    Le Temple bâti par Salomon sera profané puis détruit lors de l'Exil, reconstruit une première fois sous Esdras, profané à nouveau sans être détruit sous Antiochus IV Épiphane, purifié ensuite par Judas Macchabée. Il était en cours de reconstruction au temps de Jésus par l'initative d'Hérode (une manière comme une autre de bien se faire voir par le peuple et les autorités religieuses).

    Revenons à nos moutons (nous ne les avons pas quittés, d'ailleurs): faire un enfant, même pour Dieu, c'est bien. Et on ne peut pas faire un enfant sans lui, seulement avec lui. Mais si on le fait réellement pour lui, en ayant conscience de le faire avec lui, et si, en plus, on est chrétien, on ne pourra pas faire autrement que de demander pour cet enfant la grâce du baptème le plus tôt possible. Et le baptème, ce n'est pas tant ce que nous faisons pour Dieu; c'est surtout ce que Dieu fait pour nous. Et si on est baptisé, mais qu'on n'y accorde aucune importance (puisqu'on ne se souvient même plus de la date), alors cela veut dire que ce qu nous faisons pour Dieu nous paraît tellement plus important que ce que Dieu fait pour nous.

    J'ai dit il y a un instant: Revenons à nos moutons. "Nos moutons", ce n'est pas seulement le baptême. Nos moutons, c'est aussi la dédicace de notre église. Eh bien, c'est la même histoire! Attention: je n'ai pas dit que la dédicace d'une église, c'est un baptême. Il y en a qui confondent tout: baptême, consécration, bénédiction... Mais passons... Je dis qu'il y a une analogie, une analogie entre naissance et baptême, d'une part, et construction d'une église et dédicace de cette église, d'autre part. La construction d'une église, c'est l'oeuvre des hommes. La dédicace d'une église, c'est l'oeuvre de Dieu. En gros, on peut dire cela. Alors, vous voyez l'analogie?

    En vertu de cette analogie, je peux vous dire que, de même que beaucoup d'entre nous ne connaissent pas la date de leur baptême, alors que tout le monde connaît celle de sa naissance (même quelqu'un qui est aujourd'hui centenaire connaît la date de sa naissance...), de même personne, même pas à l'archevêché, ne connaît la date de la dédicace de notre église, alors que l'on connaît très bien la date de sa construction. Pour la construction, on a très bien pu me fournir les renseignements. Notre église n'est pas même centenaire1. On se souvient que la construction de cette église a commencé en 1930. On connaît les noms des personnes qui ont été à l'origine de cette initiative, avec force détails que je ne peux pas reprendre ici: M. Morinière, qui travaillait alors à l'usine du Robert et qui habitait le Vert-Pré, où il construira une distillerie dont les ruines sont restés encore visibles longtemps sur le "terrain des ananas", aujourd'hui devenue la "Cité des Ananas"; deux Bretons ensuite: M. Leray, un pionnier de l'installation de l'école au Vert-Pré, et M. Maignan, qui était propriétaire des terres où se dresse aujourd'hui l'église. Le récit que j'ai lu et dont je tiens ces renseignements, et qui date de 1994, dit entre autres encore ceci:

    Quant à la construction de l'église elle-même, elle fût le résultat d'une solidarité exemplaire (l'évêché, qui avait été sollicité pour une aide financière avait répondu qu'il ne faillait pas y compter) comme malheureusement on n'en voit presque plus aujourd'hui au Vert-Pré. Il est vrai qu'à cette époque on s'entraidait sans calcul, sans aririère-pensées. Les pierres qui allaient servir à la construction étaient rassemblées dans chaque quartier. Puis le soir, quand la pile était devenue conséquente, tous les habitants - une cinquantaine environ - allaient les chercher pour les ramener, qui dans les mains, qui sur la tête, en chantant gaiement des cantiques religieux. C'était une immense procession d'hommes et de femmes, heureux de ce qu'ils faisaient, qui travaillaient jusqu'à épuisement de la pile. On passait alors la pile au quartier suivant. quels travaux d'Hercule quand on pense à la distance parcourue et aux sentiers boueux de l'époque!

    Et les travaux avançaient. Des charpentiers bénévoles s'attelaient pendant ce temps à la construction des bancs. (...) Et l'argent? Eh bien quelques rares personnes ont pu donner quelques francs et sous mais il faut bien savoir qu'à l'époque on n'était pas riche à la capagne...

    Dans ces conditions difficiles, il aura fallu quatre ans pour la construire, cette église. C'est admirable, et tout cela, on le sait très bien, même si beaucoup aussi l'ont oublié aujourd'hui. Mais de la dédicace, rien du tout! Voilà l'anomalie. On a vite fait d'oublier que pour les préparatifs du baptême de son enfant, Dieu s'y est pris depuis avant la création du monde, en passant par Abraham, Moïse, les Prophètes... pour arriver à Jésus Christ qui est descendu du ciel, est né de la Vierge Marie et qui a versé son sang pour nous sous Ponce Pilate. On a vite fait d'oublier qu'ensuite les Apôtres, aidés de beaucoup d'autres sont parti annoncer cette Bonne Nouvelle dans le monde entier, et que, finalement, la foi catholique a été implantée ici il y a cinq cents ans environ, au prix de tant de sang et de sacrifices, de renoncements, jusqu'à aujourd'hui encore ... Tout cela, c'est le travail de l'Esprit Saint, sans lequel les hommes travaillent en vain. Mais on n'oublie pas le repas de fête qu'on a préparé à l'occasion d'un baptême pour tout une liste d'invités, avec une sono assourdissante et avec tout ce qu'on juge indispensable "pour qu'il y ait de l'ambiance".

    Or, quand ce que fait l'homme devient plus important à nos yeux que ce que fait Dieu, cela a les mêmes conséquences qu'il y a deux mille ans dans le Temple de Jérusalem, quand Jésus est obligé d'intervenir manu militari pour remettre de l'ordre dans la maison de son Père, parce qu'elle est devenue une maison de trafic. Entre la première lecture (la dédicace du Temple, avec la prière de Salomon - il faudrait la lire tout entière) et la scène de l'évangile, quelle différence, quelle déchéance! Et à ceux qui ne sont pas contents, Jésus dira: "Détruisez ce Temple, et en trois jours, je le rélèverai." Ce à quoi ses adversaires répliquent: "Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple (c'est encore frais dans toutes les mémoires, mais cette reconstruction, que valait-elle aux yeux de Dieu?), et toi, en trois jours tu le relèverais!" Vous voyez l'oeuvre de l'homme (quarante-six ans: c'est bien plus que pour l'église du Vert-Pré!) et l'oeuve de Dieu (trois jours) en qui on ne croit pas quand il envoie son Fils unique.

    Je terminerai cette homélie en citant un extrait du Cardinal Ratzinger qui date de 1975 dans sa version originale allemande (je publierai le texte en entier tout au long de cette semaine):
 
"C'est l'Esprit qui édifie les pierres, non l'inverse. L'Esprit ne peut être remplacé par l'argent ou par l'histoire. Là où ce n'est pas l'Esprit qui construit, les pierres en deviennent muettes. Là où l'Esprit n'est pas vivant, où il n'agit et ne règne pas, les cathédrales deviennent des musées, des monuments commémoratifs du passé (ou des salles de concert...; on a appris ces derniers jours que la Sainte Chapelle à Paris est même devenue le "théâtre" d'un défilé de mode!), d'une beauté triste parce que morte. (...) La grandeur de notre histoire et nos possibilités financières ne nous apportent pas le salut; elles peuvent devenir gravats sous lesquels nous étouffons. Si ce n'est pas l'Esprit qui construit, l'argent construit en vain (les efforts humains aussi). La foi seule peut garder vivante les cathédrales et la cathédrale millénaire nous interpelle: avons-nous la force de la foi, qui seule peut donner présent et avenir? En fin de compte, ce n'est pas le service de protection des monuments - quelque important et précieux qu'il soit - qui pourra entretenir la cathédrale, mais bien l'Esprit qui l'a créée."

    Ce qui vaut pour les cathédrales vaut aussi pour les églises: "Toutes les églises sont fondamentalement interchangeables et d'égale dignité" (Card. Ratzinger). Permettons donc à l'Esprit d'édifier notre église en nous aidant à croire en Jésus, la pierre rejetée par les bâtisseurs, mais devenue pierre d'angle.
 
 
1. À l'époque où j'ai prononcé cette homélie, je desservais la paroisse du Vert-Pré (Martinique)
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