Benoît XVI, La nouveauté de la foi biblique
  Il sagit avant tout de la nouvelle image de Dieu. Dans les cultures qui entourent le monde de la Bible, limage de Dieu et des dieux reste en définitive peu claire et en elle-même contradictoire. Dans le parcours de la foi biblique, à linverse, on note que devient toujours plus clair et plus univoque ce que la prière fondamentale dIsraël, le shema, reprend par ces paroles : "Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est lUnique" (Dt 6, 4). Il existe un seul Dieu, qui est le Créateur du ciel et de la terre, et qui est donc aussi le Dieu de tous les hommes. Deux éléments sont singuliers dans cette précision : le fait que, en vérité, tous les autres dieux ne sont pas Dieu, et que toute la réalité dans laquelle nous vivons remonte à Dieu, quelle est créée par lui. Naturellement, lidée dune création existe aussi ailleurs, mais cest là seulement quapparaît de manière absolument claire que ce nest pas un dieu quelconque, mais lunique vrai Dieu, lui-même, qui est lauteur de la réalité tout entière; cette dernière provient de la puissance de sa Parole créatrice. Cela signifie que sa créature lui est chère, puisquelle a été voulue précisément par Lui-même, quelle a été "faite" par Lui. Ainsi apparaît alors le deuxième élément important: ce Dieu aime lhomme. La puissance divine quAristote, au sommet de la philosophie grecque, chercha à atteindre par la réflexion, est vraiment, pour tout être, objet du désir et de lamour en tant que réalité aimée cette divinité met le monde en mouvement , mais elle-même na besoin de rien et naime pas; elle est seulement aimée. Au contraire, le Dieu unique auquel Israël croit aime personnellement. De plus, son amour est un amour délection : parmi tous les peuples, il choisit Israël et il laime, avec cependant le dessein de guérir par là toute lhumanité. Il aime, et son amour peut être qualifié sans aucun doute comme eros, qui toutefois est en même temps et totalement agapè.
  Les prophètes Osée et Ézéchiel surtout ont décrit cette passion de Dieu pour son peuple avec des images érotiques audacieuses. La relation de Dieu avec Israël est illustrée par les métaphores des fiançailles et du mariage; et par conséquent, lidolâtrie est adultère et prostitution. On vise concrètement par là, comme nous lavons vu, les cultes de la fertilité, avec leur abus de leros, mais, en même temps, on décrit aussi la relation de fidélité entre Israël et son Dieu. Lhistoire damour de Dieu avec Israël consiste plus profondément dans le fait quil lui donne la Torah, quil ouvre en réalité les yeux à Israël sur la vraie nature de lhomme et quil lui indique la route du véritable humanisme. Cette histoire consiste dans le fait que lhomme, en vivant dans la fidélité au Dieu unique, fait lui-même lexpérience dêtre celui qui est aimé de Dieu et quil découvre la joie dans la vérité, dans la justice, la joie en Dieu qui devient son bonheur essentiel : "Qui donc est pour moi dans le ciel si je nai, même avec toi, aucune joie sur la terre ? ... Pour moi, il est bon dêtre proche de Dieu" (Ps72 [73] , 25.28).
  Leros de Dieu pour lhomme, comme nous lavons dit, est, en même temps, totalement agapè. Non seulement parce quil est donné absolument gratuitement, sans aucun mérite préalable, mais encore parce quil est un amour qui pardonne. Cest surtout le prophète Osée qui nous montre la dimension de lagapè dans lamour de Dieu pour lhomme, qui dépasse de beaucoup laspect de la gratuité. Israël a commis "ladultère", il a rompu lAlliance; Dieu devrait le juger et le répudier. Cest précisément là que se révèle cependant que Dieu est Dieu et non pas homme : "Comment tabandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël ? ... Mon cur se retourne contre moi, et le regret me consume. Je nagirai pas selon lardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car je suis Dieu, et non pas homme: au milieu de vous je suis le Dieu saint" (Os 11, 8-9). Lamour passionné de Dieu pour son peuple pour lhomme est en même temps un amour qui pardonne. Il est si grand quil retourne Dieu contre lui-même, son amour contre sa justice. Le chrétien voit déjà poindre là, de manière voilée, le mystère de la Croix : Dieu aime tellement lhomme que, en se faisant homme lui-même, il le suit jusquà la mort et il réconcilie de cette manière justice et amour.
  Laspect philosophique, historique et religieux quil convient de relever dans cette vision de la Bible réside dans le fait que, dune part, nous nous trouvons devant une image strictement métaphysique de Dieu: Dieu est en absolu la source originaire de tout être; mais ce principe créateur de toutes choses le Logos, la raison primordiale est, dautre part, quelquun qui aime avec toute la passion dun véritable amour. De la sorte, leros est ennobli au plus haut point, mais, en même temps, il est ainsi purifié jusquà se fondre avec lagapè. À partir de là, nous pouvons ainsi comprendre que le Cantique des Cantiques, reçu dans le canon de la Sainte Écriture, ait été très vite interprété comme des chants damour décrivant, en définitive, la relation de Dieu avec lhomme et de lhomme avec Dieu. De cette manière, le Cantique des Cantiques est devenu, dans la littérature chrétienne comme dans la littérature juive, une source de connaissance et dexpérience mystique, dans laquelle sexprime lessence de la foi biblique; oui, il existe une unification de lhomme avec Dieu tel est le rêve originaire de lhomme. Mais cette unification ne consiste pas à se fondre lun dans lautre, à se dissoudre dans locéan anonyme du Divin; elle est une unité qui crée lamour, dans lequel les deux, Dieu et lhomme, restent eux-mêmes et pourtant deviennent totalement un: "Celui qui sunit au Seigneur nest avec lui quun seul esprit", dit saint Paul (1 Co 6, 17).
  La première nouveauté de la foi biblique consiste, comme nous lavons vu, dans limage de Dieu; la deuxième, qui lui est essentiellement liée, nous la trouvons dans limage de lhomme. Le récit biblique de la création parle de la solitude du premier homme, Adam, aux côtés duquel Dieu veut placer une aide. Parmi toutes les créatures, aucune ne peut être pour lhomme laide dont il a besoin, bien quil ait donné leur nom à toutes les bêtes des champs et à tous les oiseaux, les intégrant ainsi dans son milieu de vie. Alors, à partir dune côte de lhomme, Dieu modèle la femme. Adam trouve désormais laide quil lui faut: "Cette fois-ci, voilà los de mes os et la chair de ma chair" (Gn 2, 23). À larrière-plan de ce récit, on peut voir des conceptions qui, par exemple, apparaissent aussi dans le mythe évoqué par Platon, selon lequel, à lorigine, lhomme était sphérique, parce que complet en lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir de son orgueil, Zeus le coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais toujours à la recherche de son autre moitié et en marche vers elle, afin de retrouver son intégrité. Dans le récit biblique, on ne parle pas de punition; pourtant, lidée que lhomme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la recherche, dans lautre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir lidée que cest seulement dans la communion avec lautre sexe quil peut devenir "complet", est sans aucun doute présente. Le récit biblique se conclut ainsi sur une prophétie concernant Adam : "À cause de cela, lhomme quittera son père et sa mère, il sattachera à sa femme et tous deux ne feront plus quun" (Gn 2, 24).
  Deux aspects sont ici importants: leros est comme enraciné dans la nature même de lhomme; Adam est en recherche et il "quitte son père et sa mère" pour trouver sa femme; cest seulement ensemble quils représentent la totalité de lhumanité, quils deviennent "une seule chair". Le deuxième aspect nest pas moins important: selon une orientation qui a son origine dans la création, leros renvoie lhomme au mariage, à un lien caractérisé par lunicité et le définitif; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde. À limage du Dieu du monothéisme, correspond le mariage monogamique. Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient licône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement: la façon dont Dieu aime devient la mesure de lamour humain. Ce lien étroit entre eros et mariage dans la Bible ne trouve pratiquement pas de parallèle en dehors de la littérature biblique.
  Les prophètes Osée et Ézéchiel surtout ont décrit cette passion de Dieu pour son peuple avec des images érotiques audacieuses. La relation de Dieu avec Israël est illustrée par les métaphores des fiançailles et du mariage; et par conséquent, lidolâtrie est adultère et prostitution. On vise concrètement par là, comme nous lavons vu, les cultes de la fertilité, avec leur abus de leros, mais, en même temps, on décrit aussi la relation de fidélité entre Israël et son Dieu. Lhistoire damour de Dieu avec Israël consiste plus profondément dans le fait quil lui donne la Torah, quil ouvre en réalité les yeux à Israël sur la vraie nature de lhomme et quil lui indique la route du véritable humanisme. Cette histoire consiste dans le fait que lhomme, en vivant dans la fidélité au Dieu unique, fait lui-même lexpérience dêtre celui qui est aimé de Dieu et quil découvre la joie dans la vérité, dans la justice, la joie en Dieu qui devient son bonheur essentiel : "Qui donc est pour moi dans le ciel si je nai, même avec toi, aucune joie sur la terre ? ... Pour moi, il est bon dêtre proche de Dieu" (Ps72 [73] , 25.28).
  Leros de Dieu pour lhomme, comme nous lavons dit, est, en même temps, totalement agapè. Non seulement parce quil est donné absolument gratuitement, sans aucun mérite préalable, mais encore parce quil est un amour qui pardonne. Cest surtout le prophète Osée qui nous montre la dimension de lagapè dans lamour de Dieu pour lhomme, qui dépasse de beaucoup laspect de la gratuité. Israël a commis "ladultère", il a rompu lAlliance; Dieu devrait le juger et le répudier. Cest précisément là que se révèle cependant que Dieu est Dieu et non pas homme : "Comment tabandonnerais-je, Éphraïm, te livrerais-je, Israël ? ... Mon cur se retourne contre moi, et le regret me consume. Je nagirai pas selon lardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car je suis Dieu, et non pas homme: au milieu de vous je suis le Dieu saint" (Os 11, 8-9). Lamour passionné de Dieu pour son peuple pour lhomme est en même temps un amour qui pardonne. Il est si grand quil retourne Dieu contre lui-même, son amour contre sa justice. Le chrétien voit déjà poindre là, de manière voilée, le mystère de la Croix : Dieu aime tellement lhomme que, en se faisant homme lui-même, il le suit jusquà la mort et il réconcilie de cette manière justice et amour.
  Laspect philosophique, historique et religieux quil convient de relever dans cette vision de la Bible réside dans le fait que, dune part, nous nous trouvons devant une image strictement métaphysique de Dieu: Dieu est en absolu la source originaire de tout être; mais ce principe créateur de toutes choses le Logos, la raison primordiale est, dautre part, quelquun qui aime avec toute la passion dun véritable amour. De la sorte, leros est ennobli au plus haut point, mais, en même temps, il est ainsi purifié jusquà se fondre avec lagapè. À partir de là, nous pouvons ainsi comprendre que le Cantique des Cantiques, reçu dans le canon de la Sainte Écriture, ait été très vite interprété comme des chants damour décrivant, en définitive, la relation de Dieu avec lhomme et de lhomme avec Dieu. De cette manière, le Cantique des Cantiques est devenu, dans la littérature chrétienne comme dans la littérature juive, une source de connaissance et dexpérience mystique, dans laquelle sexprime lessence de la foi biblique; oui, il existe une unification de lhomme avec Dieu tel est le rêve originaire de lhomme. Mais cette unification ne consiste pas à se fondre lun dans lautre, à se dissoudre dans locéan anonyme du Divin; elle est une unité qui crée lamour, dans lequel les deux, Dieu et lhomme, restent eux-mêmes et pourtant deviennent totalement un: "Celui qui sunit au Seigneur nest avec lui quun seul esprit", dit saint Paul (1 Co 6, 17).
  La première nouveauté de la foi biblique consiste, comme nous lavons vu, dans limage de Dieu; la deuxième, qui lui est essentiellement liée, nous la trouvons dans limage de lhomme. Le récit biblique de la création parle de la solitude du premier homme, Adam, aux côtés duquel Dieu veut placer une aide. Parmi toutes les créatures, aucune ne peut être pour lhomme laide dont il a besoin, bien quil ait donné leur nom à toutes les bêtes des champs et à tous les oiseaux, les intégrant ainsi dans son milieu de vie. Alors, à partir dune côte de lhomme, Dieu modèle la femme. Adam trouve désormais laide quil lui faut: "Cette fois-ci, voilà los de mes os et la chair de ma chair" (Gn 2, 23). À larrière-plan de ce récit, on peut voir des conceptions qui, par exemple, apparaissent aussi dans le mythe évoqué par Platon, selon lequel, à lorigine, lhomme était sphérique, parce que complet en lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir de son orgueil, Zeus le coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais toujours à la recherche de son autre moitié et en marche vers elle, afin de retrouver son intégrité. Dans le récit biblique, on ne parle pas de punition; pourtant, lidée que lhomme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la recherche, dans lautre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir lidée que cest seulement dans la communion avec lautre sexe quil peut devenir "complet", est sans aucun doute présente. Le récit biblique se conclut ainsi sur une prophétie concernant Adam : "À cause de cela, lhomme quittera son père et sa mère, il sattachera à sa femme et tous deux ne feront plus quun" (Gn 2, 24).
  Deux aspects sont ici importants: leros est comme enraciné dans la nature même de lhomme; Adam est en recherche et il "quitte son père et sa mère" pour trouver sa femme; cest seulement ensemble quils représentent la totalité de lhumanité, quils deviennent "une seule chair". Le deuxième aspect nest pas moins important: selon une orientation qui a son origine dans la création, leros renvoie lhomme au mariage, à un lien caractérisé par lunicité et le définitif; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde. À limage du Dieu du monothéisme, correspond le mariage monogamique. Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient licône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement: la façon dont Dieu aime devient la mesure de lamour humain. Ce lien étroit entre eros et mariage dans la Bible ne trouve pratiquement pas de parallèle en dehors de la littérature biblique.
Deus caritas est, 9-11