Tout style de direction est personnel et en conséquence limité ; on peut toujours le critiquer en lui opposant son contraire. Si un pape voyage pour rencontrer ses ouailles à travers le monde, la curie ou la Conférence épiscopale italienne lui reprochera de ne pas s'occuper suffisamment des affaires locales ; en revanche, s'il s'y consacre, on lui reprochera d'être étranger au monde ; bref, quelle que soit son attitude, on la jugera mauvaise ! À quoi bon ici énumérer les innombrables critiques à l'encontre du Saint-Siège celles de la gauche ou celles de la droite, plus ou moins triviales, allant de la légende de l'emprisonnement du vrai Paul VI dans les "caves du Vatican" (en français dans le texte) jusqu'aux requêtes de la Fatima Crusader (d'Ottawa) au nom de Notre Dame, impliquant les papes dans un traité secret avec Moscou. Il en va de même, mutatis mutandis, pour les préfets des diverses congrégations romaines, et ce, d'autant plus qu'elles sont importantes et exposées.
Les différentes voies d'accès au mystère central du salut sont également limitées en elles-mêmes, mais ce caractère limité est relativisé par le fait que toute voie particulière peut fort bien déboucher dans le mystère infini. N'est-ce pas ce que font les encycliques comme Mystici Corporis, Redemptor Hominis ou encore Dives in Misericordia ? Les intuitions des grands ordres religieux sont elles aussi limitées et pourtant leur visée touche au mystère infini. L'humanité du Christ elle-même n'est-elle pas limitée, les paroles de l'Évangile elles-mêmes également ? Et pourtant elles contiennent l'illimité.
La "primauté damour" peut s'exercer de façon plénière et efficace dans une communio d'amour. Positivement, cela signifie que tout catholique, habité par l'amour, a un accès à Dieu libre et direct et qu'il manifeste sa liberté d'opinion dans l'Église, à la seule condition que tout se déroule dans un climat d'amour. Négativement cela implique qu'une "primauté dans l'amour" ne peut être féconde là où, au coeur de la communauté, la bienveillance de l'amour fait défaut. Ces deux pôles s'appellent réciproquement. Le pape prêtera l'oreille au sensus fidelium véritable, (à condition qu'il soit authentique et qu'il ne soit pas l'expression déformée par les médias) et la communauté des fidèles authentiquement unie écoutera les directives du chef de l'Église, même si, comme c'est inévitable, ces prescriptions sont véhiculées dans des termes limités et finis. Cette réciprocité s'oppose à tout papisme insensé (comment un "Mouvement pour le pape et l'Église" peut-il placer le pape avant l'Église ? Pourquoi, comme lors de ses voyages en Autriche ou en Belgique, des groupes de jeunes de l'Opus Dei l'accueillent-ils avec des hurlements hystériques ?). Cette confiance réciproque correspond bien plutôt à la possibilité d'un échange de vues amical avec le pape (l'actuel est un orfèvre de l'écoute) et les fidèles, y compris les théologiens, qui souvent devraient être davantage attentifs. En ce cas, Rome cesserait d'être assailli de problèmes (qui souvent se posent seulement au niveau d'une région ou d'une nation) ; on se rappellerait le proverbe "la patience vient à bout de tout" ; car Rome a besoin de temps pour procéder à un examen suffisant avant de déclarer si, en référence à la foi chrétienne, les thèses qui lui sont soumises sont incompatibles avec le Credo.
Certains outsiders, à qui les journaux, la radio et la télévision, dans leur travail de sape, ouvrent largement leurs portes, sillonnent leur pays en brandissant une série de questions en suspens, en vue de persuader chacun de la surdité de Rome et de son caractère archaïque. Il est vrai que le public actuel, rendu allergique aux vraies valeurs par les médias, préfère écouter ces originaux infatués d'eux-mêmes plutôt que de prêter attention à cet homme qui pose des gestes damour, jugés souvent répétitifs et ennuyeux, à l'égard des malades, des pauvres, des travailleurs de force, des pêcheurs, des tribus à moitié civilisées du Pérou ou de l'Océanie. Un spectacle bien onéreux ! (Jamais les catholiques n'ont calculé aussi bien que lors des voyages du pape !)
Tout ceci confirme le principe de Newman, selon qui, dans l'histoire universelle, le bien ne fait pas de bruit et passe inaperçu, alors que ce qui est tronqué et nocif se fait entendre à cor et à cris. Pensez à l'action de ces "personnages" qui font précéder leur nom de Grand, et qui ont causé des destructions dont l'importance est bien supérieure à celle des luxueux palais qu'ils ont pu faire construire. Que ce soit Saint-Pétersbourg, Potsdam, Versailles . Mais pour ce que nous qualifierons de comportement "autodestructeur" dans l'Église, l'enjeu est beaucoup plus tragique que dans ce théâtre de guignol de l'histoire mondiale : il s'agit de la profanation de ce qui est le plus sacré, du Corps du Christ qui est l'Église "éternellement vulnérable", et c'est ce que nous sommes ou en tout cas c'est ce que nous devons être.