Monique Vincent, Saint Augustin, maître de prière, Beauchesne 1990, p. 45-49 (1e partie)
À côté de ce double rôle que soulignent également les sermons, le Christ en joue un troisième qui nest pas le moins important pour les conséquences quon peut en tirer en ce qui regarde la prière chrétienne, ainsi quon le verra. Non seulement le Christ est prié par nous et prie pour nous, mais Il prie en nous. Le commentaire du psaume 85 comporte en son début une formule qui résume très clairement la triple fonction du Christ dans la prière : " Il prie pour nous en tant que notre prêtre ; Il prie en nous en tant que notre tête ; Il est prié par nous en tant que notre Dieu. "
Cest ici que la doctrine du Christ total trouve son accomplissement le plus parfait. Si le Christ est vraiment la tête du corps, Il nest plus extérieur à nous comme lest un intercesseur par rapport à celui pour qui il intercède (lavocat et son client), ou celui qui reçoit les prières par rapport à celui qui les lui adresse (le juge et laccusé). Si le Christ et son Église ne font plus " quune seule chair ", ils ne sont plus deux à prier, il ny a plus quun priant : le Christ total. On ne sépare pas la prière du Christ de celle de lÉglise. Ils nont plus quune seule voix. Lenarratio (= commentaire de S. Augustin) sur le psaume 56 le dit excellemment : " Il na pas voulu parler séparément, Il na pas voulu être séparé de nous, selon ce quIl nous a dit : Voici que je suis avec vous jusquà la consommation du siècle. Sil est avec nous, Il parle en nous, Il parle de nous, Il parle pour nous, car nous aussi nous parlons en lui. "
Il parle en nous, nous parlons en Lui. Les esprits trop rationalistes risquent dêtre déconcertés par ces formules augustiniennes. Dans lenarratio sur le psaume 85 aussi, après avoir dit que " le Christ prie pour nous
en nous
est prié par nous ", Augustin conclut son développement en disant : " Nous lui adressons donc nos prières par Lui, en Lui. " Est-ce donc Lui qui prie en nous ? ou nous qui prions en Lui ? A. de Bovis croit pouvoir conclure de son étude sur Le Christ et la prière
dans les commentaires sur saint Jean : " Augustin ne dit pas : le Christ prie en nous, mais reprenant le texte de Jean : Si vous demeurez en moi
montre les chrétiens insérés dans la Christ, et faisant lever de leur cur les vrais désires et la vraie prière. Bref, au lieu de regarder le Christ priant en nous, on nous montre plutôt les chrétiens priant dans le Christ. "
Faut-il en conclure que les commentaires sur saint Jean sont, comme il est normal, plus influencés par la pensée du Disciple bien-aimé tandis que les Enarrationes bénéficieraient en même temps de linfluence de Paul qui a mis davantage laccent sur la doctrine du Christ intérieur ? Ou bien Augustin, par lune comme par lautre de ces formules quil emploie simultanément, voudrait-il tout simplement marquer que le Christ et les chrétiens ne font plus quun, quel que soit leur mode de relation ? Cest là sans doute la réponse quil convient de faire à cette question. Quoi quil en soit, les conséquences, en ce qui regarde la doctrine augustinienne de la prière, sont immenses. (À suivre)
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