Élisabeth de la Trinité, Dernière retraite
" Comme la biche altérée soupire après les sources deau vive, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu ! Mon âme a soif du Dieu vivant ! Quand irai-je, et paraîtrai-je devant sa face ? " (Ps 41, 1-2) Et pourtant, comme " le passereau qui a trouvé un lieu pour sy retirer, comme la tourterelle qui a trouvé un nid pour y placer ses petits " (Ps 83, 3), ainsi Laudem gloriae (Louange de gloire) a trouvé en attendant dêtre transférée en la sainte Jérusalem, beata pacis visio (bienheureuse vison de paix) sa retraite, sa béatitude, son Ciel anticipé où elle commence sa vie déternité. " En Dieu mon âme est silencieuse ; cest de Lui que jattends ma délivrance. Oui, Il est le rocher où je trouve mon salut, ma citadelle, et je ne serai pas ébranlée !
" (Ps 61, 2-3).
Voilà le mystère que chante aujourdhui ma lyre ! Comme à Zachée, mon Maître ma dit : " Hâte-toi de descendre, car il faut que je loge chez toi
" (Lc 19, 5). Hâte-toi de descendre, mais où ? Au plus profond de moi-même : après mêtre quittée moi-même, séparée de moi-même, dépouillée de moi-même, en un mot, sans moi-même.
" Il faut que je loge chez toi ! " Cest mon Maître qui mexprime ce désir ! Mon Maître qui veut habiter en moi, avec le Père et son Esprit damour, pour que, selon lexpression du disciple bien-aimé, jaie " société " (1 Jn 1, 3) avec Eux. " Vous nêtes plus des hôtes ou des étrangers, mais vous êtes déjà de la maison de Dieu ", dit saint Paul (Ep 2, 19). Voilà comment jentends être de la maison de Dieu : cest en vivant au sein de la tranquille Trinité, en mon abîme intérieur, en cette " forteresse inexpugnable du saint recueillement " dont parle saint Jean de la Croix !
David chantait : " Mon âme tombe en défaillance en entrant dans les parvis du Seigneur " (Ps 83, 1). Il me semble que ce doit être lattitude de toute âme qui rentre en ses parvis intérieurs pour y contempler son Dieu et pour y prendre fortement son contact : elle " tombe en défaillance ", dans un divin évanouissement en face de cet Amour tout-puissant, de cette Majesté infinie qui demeure en elle ! Ce nest point la vie qui labandonne ; mais cest elle qui méprise cette vie naturelle et qui sen retire
Car elle sent quelle nest pas digne de son essence si riche, et elle sen va mourir et sécouler en son Dieu.
Oh ! quelle est belle, cette créature ainsi dépouillée, délivrée delle-même ! Elle est en état de " disposer des ascensions en son cur pour passer de la vallée des larmes " (cest-à-dire de tout ce qui est moindre que Dieu) " vers le lieu qui est son but " (Ps 83,6), ce " lieu spacieux " chanté par le psalmiste (Ps 17, 20), qui est, il me semble, linsondable Trinité : " Immensus Pater, immensus Filius, immensus Spiritus sanctus !
"
Elle monte, elle sélève au-dessus des sens, de la nature ; elle se dépasse elle-même : elle surpasse aussi toute joie comme toute douleur et passe à travers les nuages, pour ne se reposer que lorsquelle aura pénétré " en lintérieur " de Celui quelle aime et qui lui donnera Lui-même " le repos de labîme " (Ruysbroec). Et tout cela sans être sortie de la sainte forteresse ! Le Maître lui a dit : Hâte-toi de descendre
Cest encore sans sortir de là quelle vivra, à limage de la Trinité immuable, en un éternel présent, " ladorant toujours à cause dElle-même ", et devenant par un regard toujours plus simple, plus unitif, " la splendeur de sa gloire " (He 1, 3), autrement dit lincessante louange de gloire de ses perfections adorables. (Conrad De Meester, Dans le Ciel de notre âme, Éd. du Cerf, 1992, p. 154-157)
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