2.3. La résurrection des morts
Dieu veut, appelle et aime l'homme tout entier, qui est à la fois corps et âme. L'homme considéré dans sa totalité est nécessairement en relation avec le monde et les autres hommes, par l'intermédiaire de son corps. L'espérance en la résurrection corporelle des morts n'est donc pas une addition tardive et étrangère à la foi en Dieu, mais une conséquence intrinsèque de celle-ci.
À s'en tenir au témoignage de la Bible, la foi sait avec certitude que nous ressusciterons, mais la manière dont la résurrection se produira n'est pas décrite. Les croyants de l'Ancien Testament ont acquis cette certitude en pensant à Dieu dans les dures épreuves par lesquelles ils sont passés, surtout au temps des martyrs Maccabées.
Le roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle (2 M 7,9) ;
Nos frères, après avoir enduré maintenant une douleur passagère en vue d'une vie intarissable, sont tombés pour l'alliance de Dieu" (2 M 7,36 ; cf. Dn 12,2-3).
C'est seulement dans la littérature dite apocryphe, qui ne fait pas partie de la Bible, que se trouvent des descriptions hautes en couleur de la résurrection des morts, suivie de la récompense des bons et du châtiment des méchants. Cette imagerie parfois surréaliste, tributaire des conceptions de l'époque, prête aujourd'hui à sourire. Mais elle n'est pas nécessairement liée à la foi en la résurrection ; bien plus, Jésus s'en démarque formellement dans sa réponse aux sadducéens (cf. Mc 12,24-27). Lorsque ces gens, qui niaient la résurrection des morts, exposèrent à Jésus le cas d'une femme qui avait eu successivement sept maris, et lui demandèrent à qui elle appartiendrait après la résurrection, il leur répondit :
Vous ne connaissez ni les Écritures ni la puissance de Dieu, vous êtes dans l'erreur (Mc 12,24).
À la résurrection des morts, on ne prendra ni femme ni mari ; de la puissance créatrice de Dieu naîtra un autre monde. En fin de compte, la foi en la résurrection des morts repose sur la foi que Dieu "n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants" (Mc 12,27).
Pour l'Église primitive, la résurrection de Jésus constitue le fondement inébranlable de la foi en la résurrection des morts (cf. Ac 4,1-2 ; 17,18.32, etc.). Paul dit:
Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous (Rm 8,11 ; cf. l Co 15,12-22).
Dans l'évangile de Jean, nous voyons qu'il y a une relation intime entre l'eucharistie et la résurrection future ; Jésus dit :
Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour (6,54).
À un autre endroit, il est dit :
L'heure vient où tous ceux qui gisent dans les tombeaux entendront sa voix, et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection qui mène à la vie (5,28-29).
Jésus lui-même est "la Résurrection et la Vie" ; qui croit en lui vivra, même s'il est mort (cf. 11,25).
L'Évangile dit que tous ceux qui sont dans les tombeaux "en sortiront", ceux qui auront fait le bien pour la résurrection qui mène à la vie, ceux qui auront commis le mal, pour la résurrection qui mène au jugement (cf. Jn 5,29). La mentalité scientifique actuelle a peine à comprendre une telle formulation. Mais comment la Bible pourrait-elle exprimer le mystère du monde futur et de la résurrection des morts qui y est liée, autrement qu'avec les mots et les conceptions de son temps ? Nous ne sommes pas les premiers pour qui le message de la résurrection de la chair fait problème. À l'époque du Nouveau Testament, les difficultés étaient encore beaucoup plus grandes en dehors du monde juif, surtout dans le milieu hellénistique. Espérer en la résurrection de la chair apparaissait tout à fait insensé et scandaleux. Lorsque Paul en parla devant les sages de l'aréopage à Athènes, "les uns se moquaient, d'autres déclarèrent : Nous t'entendrons là-dessus une autre fois" (Ac 17,32). Aujourd'hui comme hier, la question est la même : comment concevoir cela ? Comment cela doit-il arriver ? Paul a déjà entendu cette question :
Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? (1 Co 15,35).
Il est évident que ces questions acquièrent une nouvelle dimension et prennent un caractère plus aigu au regard de notre vision moderne du monde, marquée par les sciences de la nature.
Pour répondre à ces questions, les théologiens ont déployé beaucoup d'ingéniosité et élaboré bien des théories, dont certaines paraissent aujourd'hui étranges. Deux extrêmes étaient à éviter : d'un côté, un matérialisme grossier, qui pense qu'à la résurrection des morts, nous reprendrons la même matière, la même chair et les mêmes os qu'en cette vie. Or, nous savons maintenant que déjà en cette vie, l'ensemble de la matière dont nous sommes constitués, se trouve renouvelé en un laps de temps d'environ sept ans. Le fait qu'il s'agisse d'une même personne dans cette vie et la vie future, ne peut donc pas dépendre du fait que la même matière se retrouve ici et là. Paul dit également que la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, parce que la corruption n'hérite pas de l'incorruptibilité. Nous serons, certes, les mêmes, et pourtant nous serons tous transformés (cf. 1 Co 15,50-51).
Il faut en effet que cet être corruptible revête l'incorruptibilité, et que cet être mortel revête l'immortalité (1 Co 15,53).
D'autre part, on ne doit pas comprendre cette transformation d'une façon purement spirituelle, comme le voudrait un spiritualisme totalement coupé du monde. Il s'agit d'une nouvelle corporéité, transformée et glorifiée par l'Esprit de Dieu, et d'une identité substantielle, non matérielle, du corps lui-même. C'est en ce sens qu'il faut entendre l'enseignement du quatrième concile du Latran (1215), selon lequel tous ressusciteront avec leur propre corps, qu'ils ont maintenant (DS 801; FC 30). Cette position intermédiaire entre le matérialisme et le spiritualisme peut être qualifiée de réalisme spirituel. Elle dit qu'à la fin, tout sera transformé et transfiguré par l'Esprit de Dieu. Nous ne pouvons pas nous représenter cela concrètement. Nous ne savons qu'une chose : nous, notre monde et notre histoire serons les mêmes, mais nous serons les mêmes d'une tout autre façon.
Il en est ainsi pour la résurrection des morts : semé corruptible, le corps ressuscite incorruptible ; semé méprisable, il ressuscite éclatant de gloire; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force; semé corps animal, il ressuscite corps spirituel (1 Co 15,42-44).
Si on entend par "corps", au sens de la Sainte Écriture, le rapport spécifique que toute personne humaine entretient nécessairement avec le milieu et le monde au sein duquel elle vit, la résurrection de la chair signifie que le rapport aux autres et au monde est restauré d'une manière nouvelle et complète. À la résurrection des morts, il ne s'agit donc pas simplement de l'accomplissement de l'individu, mais de l'accomplissement de toute réalité. À la fin des temps, le monde entier et l'histoire entière seront remplis de l'Esprit de Dieu. Jésus-Christ remettra alors la royauté à Dieu le Père, et Dieu sera tout en tous (1 Co 15,28). Alors également, le désir ardent de toute la création, qui "gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement" (Rm 8,22), sera comblé. Une nouvelle communion et une nouvelle solidarité entre frères et soeurs naîtra dans ce Royaume de liberté (cf. Rm 8,21 ; GS 32). Lorsqu'on engrangera la moisson de l'histoire, tout ce que les hommes ont réalisé au fil du temps sera récolté, et tout ce qu'ils ont accompli par amour se verra confirmé et entrera avec eux dans l'éternité. "La charité et ses oeuvres demeureront" (GS 39). Ainsi apparaîtra clairement ce qui est maintenant caché et perceptible seulement dans la foi, à savoir que Dieu est le maître de toute réalité ; sa gloire emplira tout l'univers
La foi ne nous enseigne pas tout cela pour nous consoler à peu de frais dans les épreuves que nous traversons ici-bas. Cet enseignement est avant tout une exhortation à nous engager au service de la vie et à lutter contre les puissances de la mort, contre ce qui diminue et rabaisse l'homme dans son corps ou dans son esprit, contre l'absence de relations entre les hommes, contre tout ce qui blesse, humilie et détruit la vie. La promesse de la vie future implique des obligations dans la vie présente et pour la vie présente, que cette promesse concerne. L'espérance en la résurrection de la chair signifie que le chrétien a également une responsabilité envers la création matérielle ; celle-ci aussi est destinée à être glorifiée. Mais ici, nous ne pouvons pas nous empêcher de poser une question. Est-ce que réellement, tout entrera dans le Royaume éternel de Dieu, même le mal? Pourrions- nous espérer, dans ces conditions, que justice sera vraiment rendue à tous les hommes.