2.2. Une vie après la mort ?
Dans les dernières décennies, la recherche médicale a fait des efforts considérables pour cerner de plus près le phénomène de la mort. Des récits faits par des hommes qui ont pu être réanimés, après s'être trouvés dans un état de coma avancé, ont fait sensation. Leur expérience semble montrer qu'habituellement, l'entrée dans la mort n'est pas vécue dans l'angoisse, comme une torture, mais qu'elle est enveloppée de joie et de lumière. Cela pourra peut-être préserver certains de l'angoisse devant la mort. Mais cela ne nous apprend rien sur ce qui se passe dans la mort elle-même, ni à plus forte raison la mort. Aucun de ceux qui ont été ainsi ramenés à la vie n'étaient réellement morts. Tous se sont trouvés au bord de la mort, mais ils n'en ont pas franchi le seuil.
À la suite de Platon, beaucoup de philosophes ont tenté de démontrer rationnellement l'immortalité de l'âme humaine. Parce que l'âme est une réalité spirituelle, disent-ils, elle est par nature indestructible. Cet argument est souvent repris aujourd'hui sous une autre forme. On peut montrer qu'il y a dans l'homme une soif insatiable de vie et de bonheur, et une dynamique qui tend vers un au-delà de la mort. Le fait que nos désirs ne soient jamais pleinement satisfaits en cette vie, ou encore l'exigence d'une justice parfaite, pose inévitablement la question d'une vie après la mort. Il y a surtout l'amour, par lequel un homme et une femme veulent se lier pour toujours l'un à l'autre. L'amour ne peut pas s'accomoder de la séparation provoquée par la mort ; il aspire à une communon totale et définitive. C'est dans cette soif d'une vie pleinement épanouie et parfaitement réussie que s'enracine l'idée de l'éternel. L'éternité ne signifie pas une vie qui se prolonge indéfiniment, et dans laquelle, par le fait même, nous ne serions jamais comblés ; s'il fallait la comparer à une réalité de notre expérience terrestre, ce serait plutôt à un des ces rares moments de plénitude et de parfait bonheur om nous voudrions que le temps s'arrête, pour que notre joie soit sans fin.
Tous ces indices prouvent que l'espérance d'une vie définitvement comblée après la mort est riche de sens. Il ne s'en dégage pas pour autant une certitude définitive. Parler de la mort, c'est poser la question du sens de toute la vie ; on ne peut répondre à cette question qu'en prenant en considération l'ensemble formé par la vie et la mort. Pour le chrétien, la réponse à la question de la survie après la mort ne peut venir que de Dieu, le maître de la vie, qui est seul capable de nous donner la plénitude de la vie. La réponse définitive ne peut donc être trouvée que dans la foi.
Les premières représentations que l'Ancien Testament donne de la vie après la mort sont celles d'une existence diminuée dans le royaume de la mort (shéol). Le défunt y apparaît tel un exilé, séparé de sa famille, de ses amis, de son peuple ; il ne peut plus louer Dieu avec ses frères. Cependant, la foi en un Dieu qui est le Dieu des vivants, et non des morts, ne pouvait pas à la longue se satisfaire de telles représentations. Lentement, mais sûrement, s'imposa la conviction que Dieu est fidèle à l'homme qu'il aime, jusque dans la mort. Même si, dans la mort, toutes les relations sociales sont rompues, la relation à Dieu subsiste. Différents psaumes expriment magnifiquement cette confiance :
"J'ai toujours été avec toi :
tu m'as saisi la main droite,
tu me conduis selon tes vues,
tu me prendras ensuite, avec gloire.
Qui aurais-je au ciel,
si, étant avec toi,
je ne me plais pas sur la terre ?
J'ai le corps usé, le coeur aussi ;
mais le soutien de mon coeur, mon patrimoine,
c'est Dieu pour toujours" (Ps 73,23-26 ; cf. 49,16).
"Je sais bien, moi, que mon rédempteur est vivant,
que le dernier, il surgira sur la poussière.
Et après qu'on aura détruit cette peau qui est la mienne,
c'est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu.
C'est moi qui le contemplerai, oui, moi !
Mes yeux le verront, lui, et il ne sera pas étranger.
Mon coeur en brûle au fond de moi" (Jb 19,25-27).
L'auteur de ces textes a compris que notre communion avec Dieu n'est pas atteinte par la désagrégation du corps et des relations terrestres. La communion avec Dieu est l'unique réalité qui subsiste même dans la mort. À partir de la foi au Dieu de la Bible et indépendamment de toute mythologie, certains croyants de l'Ancien Testament sont donc parvenus à la conviction que l'homme continue de vivre après sa mort. Ce Dieu ne garantit pas seulement le triomphe final de son peuple sur les puissances du mal, au terme de l'histoire ; il nous donne aussi l'assurance que chaque individu aura part à cette vistoire, et que la mort ne pourra le séparer de Dieu. Aucune description de l'au-delà n'est donnée. Il suffit de savoir que la vie éternelle, c'est Dieu lui-même qui nous aime d'un amour infini et qui nous accuelle auprès de lui pour toujours.
Brepols/Centurion/Cerf 1987, p. 396 s.