Non, mes frères, ne différons plus de retourner à Dieu ; les temps présent et à venir doivent nous faire trembler.
D'abord, le temps présent : si malheureusement nous sommes en état de péché mortel, nous sommes dans un danger imminent d'y mourir. L'Esprit-Saint nous dit : « Celui qui s'expose au danger y périra (Si 3, 27). » Ainsi, en vivant dans la haine de Dieu, nous avions bien lieu de craindre que la mort ne nous y surprenne. Puisque Dieu vous offre aujourd'hui sa grâce, pourquoi n'en profitez-vous pas ? Dire que rien ne presse, que vous avez le temps, n'est-ce pas, mes frères, raisonner comme des insensés ? Voyez, de quoi êtes-vous capables quand vous êtes malades ? Hélas ! de rien du tout ; vous ne pouvez pas seulement faire comme il faut un acte de contrition, parce que vous êtes tellement absorbés par vos souffrances, que vous ne pensez nullement à votre salut.
Eh bien, mes frères, ne sommes-nous pas trop malheureux d'attendre à la mort pour nous convertir ? Faites du moins pour votre pauvre âme ce que vous faites pour votre corps qui n'est cependant qu'un monceau de pourriture et qui, dans quelques moments, sera la pâture des plus vils animaux. Lorsque vous êtes dangereusement blessés, attendez-vous six mois ou un an pour y appliquer les remèdes que vous croyez être nécessaires pour vous guérir ? Lorsque vous êtes attaqués par une bête féroce, attendez-vous d'être à moitié dévorés pour crier au secours ? N'implorez-vous pas, de suite, le secours de vos voisins ? Pourquoi, mes frères, n'agissez-vous pas de même lorsque vous voyez votre pauvre Ame souillée et défigurée par le péché, réduite sous la tyrannie des démons ? Pourquoi n'employez-vous pas aussitôt l'assistance du ciel et n'avez-vous pas recours à la pénitence ?
Oui, mes frères, quelque grands pécheurs que vous soyez, vous ne voudriez pas mourir dans le péché. Eh bien puisque vous désirez quitter un jour le péché, pourquoi ne le quitteriez-vous pas aujourd'hui, puisque Dieu vous donne le temps et les grâces pour cela ? Croyez-vous que, dans la suite, Dieu sera plus disposé à vous pardonner, et que vos mauvaises habitudes seront moins difficiles à rompre ? Non, non, mes frères, plus vous différerez votre retour à Dieu, plus votre conversion sera malaisée. Le temps, qui affaiblit tout, ne fait que fortifier nos mauvais penchants.
Peut-être que vous vous rassurez sur le temps à venir. Hélas ! mes frères, ne vous y trompez pas : les jugements de Dieu sont si redoutables que vous ne pouvez pas différer votre conversion d'une seule minute, sans vous exposer à être perdus pour jamais. L'Esprit-Saint nous dit, par la bouche du Sage, « que le Seigneur surprendra le pécheur dans sa colère (Si 5, 9). » Jésus-Christ nous dit lui-même « qu'il viendra comme un voleur de nuit, qui arrive dans le moment où l'on n'y pense pas (Mt 24, 50). » Il nous répète aussi ces paroles : « Veillez et priez continuellement, de crainte que quand je viendrai, je ne vous trouve endormis (Mc 13, 36). » Jésus-Christ veut nous montrer par ces paroles que nous devons constamment veiller à ce que notre âme ne soit point trouvée en état de péché, quand la mort nous frappera. Faisons, mes frères, comme les vierges sages, qui firent leurs provisions d'huile pour attendre l'arrivée de l'époux, afin d'être prêtes à partir lorsqu'il les appellerait. De même, faisons provision de bonnes œuvres, avant que Dieu nous appelle devant son tribunal. N'imitons pas ces vierges folles, qui attendirent l'arrivée de l'époux pour aller chercher de l'huile ; lorsqu'elles furent arrivées, la porte était fermée ; elles eurent beau prier l'époux de leur ouvrir, il leur répondit qu'il ne les connaissait pas (Mt 25). Figure triste, mais bien sensible, mes frères, du pécheur qui renvoie son retour à Dieu de jour en jour. Arrivé à la mort, il voudrait encore profiter de ce moment, mais il est trop tard, il n'y a plus de remède.
Oui, mes frères, la seule incertitude du moment où Dieu nous citera à paraître devant lui, nous devrait faire trembler et nous engager à ne pas perdre un seul instant pour assurer notre salut. D'ailleurs, mes frères, savons-nous le nombre de péchés que Dieu veut souffrir de nous, la mesure des grâces qu'il veut nous accorder, et enfin, jusqu'où doit aller sa patience ? Ne devons-nous pas craindre que le premier péché que nous commettrons ne mette le sceau à notre réprobation ! Puisque nous voulons nous sauver, pourquoi différer plus longtemps ? Combien d'anges et de millions d'hommes, qui n'ont commis qu'un seul péché mortel ! Cependant, ce seul péché sera cause qu'ils souffriront pendant toute l'éternité. Non, mes frères, les voleurs ne sont pas punis également ; les uns vieillissent dans le brigandage ; d'autres, au premier crime, sont surpris et punis. Ne devons-nous pas craindre que la même chose ne nous arrive ? Il est vrai que vous vous rassurez sur ce que Dieu ne vous punit pas, quoique vous l'offensiez continuellement. Mais aussi, peut-être que c'est au premier péché que vous commettrez, qu'il vous attend pour vous frapper et vous précipiter dans les abîmes. Voyez un aveugle qui marche vers un précipice, le dernier pas qu'il fait n'est pas plus grand que le premier ; cependant, c'est ce pas qui le jette dans le précipice. Non, mes frères, pour tomber en enfer, il n'est pas nécessaire de commettre de grands crimes, il suffit de continuer à vivre dans l'éloignement des sacrements pour être perdu à jamais. Allons, mes frères, ne lassons plus la patience de Dieu, hâtons-nous de correspondre à sa bonté, qui ne veut que notre bonheur. Mais voyons, d'une manière encore plus particulière, ce que nous devons faire pour correspondre aux desseins que la miséricorde de Dieu a sur nous.