Depuis que Robert Prévost a été nommé préfet du Dicastère des évêques en 2023, les tentatives pour effacer les traces de sa couverture de deux prêtres accusés de pédophilie dans son diocèse de Chiclayo, au Pérou, se sont multipliées. Jusqu'à la « persécution » de l'avocat des victimes présumées. Et avec la nomination d'un évêque « amical ». Nouveau scandale au Vatican.
Rapports d'abus contre deux prêtres et accusations contre l'évêque de les avoir dissimulés. En soi, ce n’est malheureusement pas un fait nouveau. Mais si l’évêque en question, au milieu du scandale, est appelé à Rome comme préfet du Dicastère des évêques, l’affaire devient objectivement très grave. Et si alors, comme préfet des évêques, un de ses amis est nommé évêque dans son ancien diocèse, qui commence à effacer les traces, la chose devient plus que suspecte.
Et c'est exactement le cas qui concerne le cardinal Robert Francis Prevost, augustinien , évêque de Chiclayo (Pérou) jusqu'à ce que le pape François le nomme le 30 janvier 2023 pour diriger le Dicastère qui préside à la nomination de tous les évêques du monde, un office effectivement assumé le 12 avril suivant, en même temps que celui de président de la Commission pontificale pour l'Amérique latine. La toque de cardinal est ensuite arrivée au Consistoire du 30 septembre 2023.
Mais procédons dans l'ordre : selon les témoignages sous serment de trois victimes, dont Bussola est entré en possession, les événements rapportés se sont produits entre 2006 et 2010 et les responsables seraient deux prêtres du diocèse de Chiclayo, à environ 600 kilomètres au nord de la ville. capitale Lima : le Père Eleuterio Vàsquez Gonzales, dit Père « Luth », et le Père Ricardo Yesquen. Les victimes qui ont porté plainte sont trois jeunes femmes, âgées de 10 à 14 ans au moment des abus : trois sœurs, qui ont décidé de porter plainte après avoir découvert des années plus tard qu'elles avaient toutes subi des abus similaires.
La plus entreprenante des trois était Ana Maria Quispe Diaz, qui déjà dans les premiers mois de 2020 avait contacté par téléphone Mgr Robert Prevost pour lui signaler le comportement des deux prêtres et surtout du Père Lute, curé de San José Obrero (St . Giuseppe l'Ouvrier), dans le quartier de Vittoria, et très connu dans le diocèse. Le mode opératoire du Père Vàsquez est similaire envers les trois : il est accompagné dans une mission dans des paroisses éloignées, où il doit passer la nuit et, par hasard, il n'y a qu'un seul lit à partager et là commencent les câlins, les tâtonnements et les frottements des parties génitales. .
Les restrictions dues à la pandémie empêchent la rencontre en personne entre Ana Maria et l'évêque, une rencontre qui aura finalement lieu le 5 avril 2022 au siège épiscopal de Chiclayo, en présence des trois sœurs. Prévost, qui curieusement est aussi l'auteur des Lignes directrices de la Conférence épiscopale péruvienne pour le traitement des cas d'abus sexuels, oriente les femmes vers le centre d'écoute qu'il vient de créer et - selon les témoignages des victimes présumées - les invite à porter plainte. plainte auprès des autorités publiques car «dans l'Église, ils n'avaient aucun moyen d'enquêter et seules les enquêtes civiles pouvaient être utilisées par l'Église pour sanctionner» les responsables. Ce qui, comme nous le savons, n’est pas vrai, les enquêtes canoniques sont indépendantes des enquêtes civiles. Mais le signalement à la police locale ne mène à rien car le délit éventuel est prescrit (le délai de prescription pour ces délits, au Pérou comme dans une grande partie de l'Amérique latine, est de 4 ans). Entre-temps, en juin 2022, le Père "Lute" a été transféré dans sa paroisse natale de Santa Cruz, officiellement pour des raisons de santé. Quant au Père Yesquen, rien ne pouvait être fait car il souffrait de démence sénile et était déjà admis depuis un certain temps dans une maison de retraite.
Pour la défense de Prévost, le diocèse de Chiclayo, dans un communiqué du 10 septembre 2024, suite à une enquête de l'émission Cuarto Poder diffusée le 8 septembre sur América Television, affirme que l'évêque a immédiatement « adopté des mesures de précaution », ouvrant des « enquêtes préliminaires ». et destituer le Père Lute avec « interdiction d'exercer le ministère sacerdotal ». Une circonstance immédiatement démentie le lendemain par les trois jeunes femmes qui dans une lettre ouverte ( texte intégral ICI) témoignent photographiquement de la présence du Père Vàsquez à diverses célébrations eucharistiques entre mars et avril 2023 (photo ci-dessus), même à la messe chrismale du diocèse., alors que Prévost a déjà été nommé préfet et administrateur apostolique du diocèse, en attendant de s'installer à Rome.
Le diocèse indique également que tous les documents relatifs aux enquêtes diocésaines ont été envoyés à Rome au bureau compétent du Dicastère pour la doctrine de la foi, qui a ensuite classé le dossier. Mais les trois jeunes femmes affirment qu'elles n'ont jamais été interrogées par aucun "enquêteur" et qu'il n'y a aucune trace de cette enquête ni d'un éventuel interrogatoire du Dicastère du Vatican. La seule fois où ils ont pu raconter leur histoire devant un enquêteur officiellement nommé par le diocèse, c'est lorsque l'administrateur apostolique qui a succédé à Prevost, Mgr Guillermo Cornejo Monzón, a ouvert (« rouvert » selon le diocèse) l'enquête en décembre 2023 après Ana María Quispe Díaz, exaspérée par le silence du diocèse, a rendu publique son histoire sur les réseaux sociaux, découvrant également, selon ses dires, au moins sept autres cas de filles maltraitées par les deux prêtres.
Cependant, selon le diocèse, les documents concernant le cas ont été de nouveau présentés au Dicastère pour la doctrine de la foi, où ils sont toujours en attente d'examen.
L'affaire reste donc à clarifier , notamment la responsabilité de Mgr Prévost dans la prétendue dissimulation ; mais il y a des faits incontestables et ce qui se passe après la nomination de Prévost comme Préfet est pour le moins inquiétant et rappelle d'autres événements peu édifiants de ce pontificat, du cas de Mgr Gustavo Zanchetta (ICI et ICI) à celui du Père Marko Rupnik.
Ce qui est sûr, c’est que depuis le premier rapport en 2020, Prévost n’a fait aucune démarche pour clarifier la cohérence des accusations et les restrictions dues à la pandémie ne justifient certainement pas l’inaction. Et même après la plainte formelle d’avril 2022, rien de concret n’a vraiment été fait, étant donné que le diocèse n’a pas encore pu démontrer qu’une enquête canonique avait été ouverte et que les trois victimes présumées avaient témoigné.
Mais surtout, le timing de la nomination de Prévost comme préfet du Dicastère des Évêques est surprenant : en janvier 2023, l'affaire n'avait pas encore été exposée à la presse internationale mais dans l'Église péruvienne l'histoire était déjà connue et selon ce qui a été constaté par Bussola aussi le Pontife aurait été prévenu du risque. Pas assez, on connaissait déjà deux cas embarrassants concernant Mgr Prévost à l'époque où il était supérieur général des Augustins (mandat qu'il exerça de 2001 à 2013), la dissimulation de deux prêtres augustins accusés d'abus sexuels : l'abbé Richard J. McGrath (affaire devenue publique en 2018 et pour laquelle l'ordre augustin a versé 2 millions de dollars d'indemnisation à la victime) ; et le père James Ray, réduit ensuite au statut laïc en 2012, mais dont le lien avec Prévost a été révélé par la presse début 2021. Il est à noter que dans ces deux cas, l'actuel archevêque de Chicago était également impliqué auprès de Prévost, le cardinal Blaise Cupich, notoirement très proche du pape François.
Compte tenu du contexte, la nomination de Prévost apparaît donc pour le moins risquée, voire carrément inappropriée dans un poste aussi délicat que celui du choix des évêques du monde entier. Mais le pire arrive plus tard : peu après que l'administrateur apostolique Mgr Cornejo Monzón ouvre l'enquête sur l'affaire (décembre 2023), le nouvel évêque de Chiclayo est nommé. Le 14 février 2024, le Pape a nommé Mgr Edinson Farfán Córdova évêque de la prélature de Chuquibambilla pour seulement 4 ans. Quel est le problème ? Simplement que Farfán est un augustinien comme Prevost, un de ses amis personnels et que Prevost lui-même a participé à la consécration épiscopale de Farfán. De plus, à Chuquibambilla, Mgr Farfán avait été accusé d'avoir dissimulé les abus commis contre un autre prêtre augustinien, Don Juan Carlos Olaya.
En pratique, le cardinal Prévost se fait désigner pour lui succéder un ami et frère qui s'emploie d'ailleurs immédiatement à « faire le ménage » dans le passé du préfet. Non seulement il a dressé un mur de silence contre les journalistes qui tentaient d'enquêter sur les allégations contre le père Lute, décidant finalement de publier le 10 septembre une déclaration que les trois victimes présumées ont aussitôt contestée . Mais il a entravé de toutes les manières l'activité du chanoine, Mgr Ricardo Coronado Arrascue, qui, depuis le 6 mai 2024, a assumé la protection juridique des trois femmes qui accusent le père Lute et le cardinal Prévost : d'abord en refusant de le rencontrer, puis en rejetant la la légitimité de sa position (photo ci-dessous), afin de pouvoir lui refuser l'accès aux documents relatifs à l'enquête.
De plus, une véritable attaque concentrique a commencé contre Coronado : le 24 août, la Conférence épiscopale péruvienne a annoncé que Mgr Coronado ne pouvait plus exercer comme avocat canoniste au Pérou et ne pouvait donc pas continuer à défendre ses clients actuels. Une décision qui anticipait curieusement la lettre du 29 août par laquelle l'évêque de Cajamarca (le diocèse auquel appartient le canoniste) l'informait qu'un dossier avait été déposé contre lui au Dicastère du Clergé du Vatican pour un crime présumé non précisé "contra sextum" (mais les sources de Compass parlent d’une relation stable avec un adulte consentant) ; et que le même Dicastère lui offre la possibilité de formuler une demande volontaire auprès du Pape pour demander la dispense du sacerdoce sous peine de « l'ouverture d'un procès administratif pénal ». Puis une déclaration du Conseil permanent de la Conférence épiscopale publiée le 14 septembre (photo ci-dessous) justifie avec le début du procès pénal la décision d'interdire à Coronado l'activité dans les tribunaux ecclésiastiques annoncée le 24 août. Si l’on pense à la lenteur et à la réticence du Vatican face aux récents scandales d’abus sexuels, la rapidité et la sévérité des mesures contre Mgr Coronado (qui nie également toutes les accusations) sont surprenantes et bien plus que suspectes, d’autant plus que ce n’est pas le cas. traite des abus mais éventuellement des relations entre adultes consentants.
Bref, il y a de quoi demander que toute la lumière soit faite sur la question et s'il convient en attendant de maintenir le cardinal Prévost à sa place.