Les ouvertures du pape en matière d'utilisation du préservatif provoquent de vives réactions chez certains "ratzingeriens" fervents. Parmi eux, le jésuite Joseph Fessio, son éditeur aux États-Unis, et des membres influents de l'Académie Pontificale pour la Vie. Voici leurs critiques.
ROME, le 1er décembre 2010 – Comme on pouvait le prévoir, ce que Benoît XVI a dit du préservatif dans son livre-entretien
"Lumière du monde" a provoqué une discussion très vive au sein de l’Église catholique.
Dans deux précédents articles, www.chiesa a présenté les propos du pape d’une manière qui a suscité les réactions
immédiates de personnalités catholiques importantes dans le domaine de la morale sexuelle.
Les critiques ne se sont pas concentrées uniquement sur www.chiesa et sur le professeur Martin Rhonheimer, le théologien de
l’Université Pontificale de la Sainte Croix dont un essai avait été reproduit par www.chiesa.
Ni même sur "L'Osservatore Romano" ou sur le père Federico Lombardi, accusés d’avoir favorisé un malentendu sur la pensée
du pape.
Au-delà de tout, la véritable cible des critiques est Benoît XVI en personne.
"Le Saint Père devrait arrêter de parler de sexe aberrant et parler davantage de Jésus", nous a écrit péremptoirement
Christine Vollmer, présidente d’Alliance for Family, organisation basée à Miami aux États-Unis, et membre de l’Académie Pontificale pour la Vie.
Un autre membre influent de cette académie, le professeur Luke Gormally, ancien directeur du Linacre Centre for Healthcare
Ethics de Londres et enseignant à l’Ave Maria School of Law d’Ann Arbor, Michigan, a reproché au pape de vouloir parler en simple théologien de sujets "pour lesquels il n’a pas une compétence
particulière". Avec les conséquences suivantes :
"Beaucoup de personnes que je connais trouvent que c’est à la fois irresponsable, parce que cela crée dans l’esprit des
gens ordinaires une confusion quant à l'exercice du magistère pontifical, et trop commode, parce qu’on a là un pape qui se retire dans une 'zone tranquille' d’écriture et de parole et néglige les
devoirs urgents de son gouvernement".
Christine Vollmer et Luke Gormally furent de ceux qui, au printemps 2009, accusèrent Mgr Rino Fisichella, alors président
de l’Académie Pontificale pour la Vie, d’avoir été jusqu’à justifier dans "L'Osservatore Romano" le double avortement pratiqué sur une fillette-mère brésilienne. Avec d’autres membres de
l'académie, ils firent appel au pape contre Fisichella et obtinrent de la congrégation pour la doctrine de la foi une note d’éclaircissement.
Mais cette fois-ci, selon eux, c’est Benoît XVI qui crée des zones d’"ambiguïté" dans la morale catholique.
Une autre personnalité est intervenue dans la discussion et a catégoriquement contesté que le pape ait voulu introduire des
nouveautés dans la doctrine et la pratique pastorale en matière de préservatif. Il s’agit du jésuite Joseph Fessio, président d’Ignatius Press et, en tant que tel, éditeur de "Lumière du monde"
aux États-Unis, mais également membre du Schülerkreis, le cercle des étudiants qui ont eu Joseph Ratzinger comme professeur de théologie.
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Mais procédons avec ordre. Un premier type de critiques a porté sur la traduction des propos du pape relatifs au
préservatif initialement mise en ligne par www.chiesa, c’est-à-dire avant que le livre ne soit publié dans les différentes langues.
En effet, quand www.chiesa a diffusé en avant-première ce passage du livre, sa seule source était "L'Osservatore Romano",
qui l’avait publié – uniquement en italien – dans l’après-midi du samedi 20 novembre.
Les traducteurs de www.chiesa n’ont donc pu travailler que sur la version italienne (vaticane) du livre. Qui, en effet,
n’est pas parfaite. Et qui sera presque sûrement rendue plus proche du texte original en allemand dans une prochaine réédition de l’ouvrage.
Il y a deux inexactitudes dans la traduction italienne du passage.
La première : "una prostituta" au féminin au lieu de "un prostituto" au masculin, comme c’est le cas dans l'original en
allemand : "ein Prostituierter".
La seconde : "Vi possono essere singoli casi giustificati" d’utilisation du préservatif, où le mot "giustificati" apparaît
excessif par rapport à l'original en allemand : "Es mag begründete Einzelfälle geben…", mieux traduit dans l'édition américaine par : "There may be a basis in the case of some
individuals...".
Cependant il faut noter que ni la première ni la seconde inexactitude de la version italienne du livre n’ont été
considérées par l'auteur, c’est-à-dire Benoît XVI, comme portant atteinte à son raisonnement. Le père Lombardi a clarifié ce point d’une part dans le communiqué publié dimanche 21 novembre, qui a
été vu et approuvé personnellement par le pape, et d’autre part en indiquant, mardi 23, ce que le pape avait répondu à une question précise qu’il lui avait posée à ce sujet :
"Ce qui compte, c’est la responsabilité dans le fait de tenir compte de la mise en danger de la vie de la personne avec qui
on a le rapport. Que ce soit un homme, une femme, ou un transsexuel qui le fasse, c’est pareil".
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Une seconde série d’objections, plus consistantes, porte sur l'interprétation par www.chiesa des propos du pape. En
particulier dans deux passages.
Le premier : "Depuis longtemps déjà, beaucoup de cardinaux, d’évêques et de théologiens, mais surtout de prêtres de
paroisses et de missionnaires admettent paisiblement l'utilisation du préservatif pour beaucoup de personnes concrètes qu’ils rencontrent dans le cadre de leur 'charge d'âmes'. Mais qu’eux le
fassent est une chose et qu’un pape le dise à haute voix en est une autre".
Le second : "Si cette compréhension affectueuse s’applique à un pécheur, elle peut à plus forte raison s’appliquer au cas
classique que rencontrent en Afrique et ailleurs les prêtres et les missionnaires : celui de deux époux dont l’un est malade du sida et utilise le préservatif pour ne pas mettre la vie de l’autre
en danger".
En ce qui concerne le premier passage, la constatation est celle-là même qui apparaît dans la note publiée par le père
Lombardi dimanche 21 novembre et approuvée par Benoît XVI en personne :
"De nombreux spécialistes de la théologie morale et des personnalités ecclésiastiques faisant autorité ont soutenu et
soutiennent des points de vue analogues ; cependant il est vrai que nous ne les avions pas encore entendus avec autant de clarté dans la bouche d’un pape, même si c’est sous une forme familière
et non magistérielle".
En ce qui concerne le second passage, il est vrai que Benoît XVI, dans le livre, ne se prononce pas sur le cas évoqué ici.
Mais l'article du professeur Martin Rhonheimer reproduit par www.chiesa montre que, depuis des années, la licéité de l’utilisation du préservatif dans des cas comme celui-là est paisiblement
enseignée même dans les facultés romaines de théologie les plus fidèles au magistère de l’Église, comme l’Université Pontificale de la Sainte Croix. La condition indispensable pour que
l'utilisation du préservatif dans de tels cas soit admise est qu’elle ait des finalités autres que contraceptives.
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Bien entendu, la question reste l’objet de discussions. Dans son livre-entretien Benoît XVI a mis en évidence cette
controverse, encourageant tout le monde à la poursuivre.
De ce point de vue, les interventions critiques qui sont parvenues en grand nombre à www.chiesa sont bienvenues.
Dans les pages web indiquées ci-dessous, les lecteurs de www.chiesa trouveront les principaux commentaires critiques reçus,
dans leur intégralité.
Pour récapituler :
1. L’article de www.chiesa où figurent les passages de "Lumière du monde" publiés en avant-première par "L'Osservatore
Romano" dans l’après-midi du 20 novembre, avec, de plus, le texte original en allemand du passage relatif au préservatif :
> Le pape se raconte. Une avant-première
2. La première critique faite à chaud par le père Joseph Fessio sur le comportement de "L'Osservatore Romano", sur les
inexactitudes de la traduction et sur l'apparente "justification" par le pape de l'utilisation du préservatif :
> Fessio: Did the Pope "justify" condom use in some circumstances?
3. D’autres observations critiques de James Bogle, président de The Catholic Union of Great Britain, quant à la traduction
en italien des propos du pape :
> Bogle: "Light of the World",
the Pope, condoms and media inaccuracy
4. La note apportant des précisions qu’a publiée le 21 novembre le père Federico Lombardi :
> Lombardi : "À la fin du chapitre 11 du livre..."
5. La réaction critique de Steven A. Long, professeur de théologie et de philosophie à l’Ave Maria University de Naples,
Floride, aux textes de www.chiesa et du père Lombardi :
> Long: Remarks of Benedict XVI
Regarding Condoms
6. La seconde intervention critique du père Fessio, écrite avant que le père Lombardi n’annonce que sa note du 21 novembre
avait été lue et approuvée par le pape :
> Fessio: Gimme That Old Time
Religion. Part II
7. L’article de www.chiesa dans lequel est reproduit l'article du professeur Martin Rhonheimer, de l’Université Pontificale
de la Sainte Croix, en faveur de l’utilisation du préservatif à des fins non contraceptives :
> "Lumière du monde". Une première pour un pape
8. L'article de Rhonheimer a été publié dans "The Tablet" du 10 juillet 2004. Le professeur Luke Gormally, membre de
l’Académie Pontificale pour la Vie, y a répondu par une critique serrée qui a paru dans "The National Catholic Bioethics Quarterly" pendant l’été 2005 :
> Gormally: Marriage and the
Prophylactic Use of Condoms
9. Aujourd’hui cet article de Gormally est considéré par le père Fessio et d’autres comme la meilleure réfutation des
thèses favorables au préservatif dans des cas déterminés. Le même auteur en recommande la lecture, dans cette lettre qu’il a écrite à www.chiesa :
> Gormally: "Your commentary
seems to me even more irresponsible..."
Sandro Magister
www.chiesa
Traduction française par Charles de
Pechpeyrou.