Fra Angelico, La Résurrection (Couvent San Marco, Florence)
Je disais qu'il fallait une grâce spéciale pour parler de la Résurrection. Nul ne peut dire : "Jésus est le Seigneur", ou "Jésus est ressuscité", ce qui est la même chose, si ce n'est "dans l'Esprit Saint" (cf. 1 Cor 12, 3). Devant la Résurrection, toute parole devient vaine. Celui qui, ayant annoncé la Croix, annonce ensuite la résurrection du Christ, ressemble à quelqu'un qui arrive en courant de la terre ferme au bord de la mer. Il doit s'arrêter tout d'un coup. Ses pieds ne sont pas capables de continuer et de marcher sur l'eau. Il doit se contenter de n'aller plus loin que par le regard, tandis que son corps reste sur la rive. Qui peut dire à quoi resssemblait le visage, les yeux, les gestes des femmes, quand elles sont entrées dans la salle devant Pierre et les autres apôtres? Avant qu'elles n'aient ouvert la bouche, Pierre avait compris que quelque chose d'inoui était arrivé, et tout son corps fut parcouru par un frisson; il en alla de même pour tous ceux qui étaient présents. Le sentiment du "numineux" les saisit tout d'un coup, la pièce et tous ceux qui étaient là en furent remplis.
Du reste, il n'est pas difficile d'imaginer la situation: les femmes parlant ensemble avec animation, et les apôtres devant peut-êtrre les disputer pour qu'elles se calment et qu'elles disent clairement de quoi il s'agissait. Tout ce que l'on devait comprendre de ce qu'elles disaient, c'étaient des exlamations incoérantes, accompagnées de gestes: "Vide, vide: le tombeau est vide ! Des anges, des anges: nous avons vu des anges! Vivant, vivant: le Maître est vivant!" Ce que je décris n'est pas une exagération rhétorique de mon cru: c'est au contraire un pâle reflet de ce qui est arrivé en réalité. La nouvelle dépassait trop les possibilités humaines de compréhension. C'était le vin nouveau qui rompait les vieilles outres, et se répandait de toutes parts. On doit dire de la résurrection du Christ ce que l'on dit de l'eucharistie dans l'hymne Lauda Sion: "Quantum potes tantum audes": "Ose autant que tu peux, car il est au-delà de tout langage, et tu ne le loueras jamais assez." Si le frisson de la résurrection pouvait nous aussi nous saisir ne serait-ce qu'une seule fois! Si sa charge numineuse pouvait nous ôter la parole et nous remplir - comme c'est dans sa nature - d' "amour et de terreur", nous faisant "brûler et frissonner tout ensemble", comme disait saint Augustin2!
(A suivre)
2. Cf. St. Augustin, Confessions, VII, 16; XI, 9.