Le cardinal Cottier, le juriste Ceccanti, le théologien Cantoni défendent les nouveautés de Vatican II. Mais les lefebvristes ne cèdent pas et les traditionalistes accentuent leurs critiques. Les derniers développements d'une controverse enflammée
ROME, le 17 octobre 2011 – La controverse relative à l'interprétation du concile Vatican
II et aux changements dans le magistère de l’Église a connu de nouveaux développements ces dernières semaines, y compris à haut niveau.
Le premier développement est le "Préambule doctrinal" que la congrégation pour la doctrine de la foi a remis, le 14 septembre dernier, aux lefebvristes de la
schismatique Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, comme base pour une réconciliation.
Le texte du "Préambule" est secret. Mais, dans le communiqué officiel qui l’accompagnait lorsqu’il a été remis, il est décrit de la manière suivante :
"Ce préambule énonce certains des principes doctrinaux et des critères d’interprétation de la doctrine catholique nécessaires pour garantir la fidélité au magistère
de l’Église et au “sentire cum Ecclesia”, tout en laissant ouvertes à une légitime discussion l’étude et l’explication théologique d’expressions ou de formulations particulières présentes dans
les textes du concile Vatican II et du magistère qui a suivi".
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Un second développement est l'intervention du cardinal Georges Cottier (photo) dans la discussion qui est en cours depuis quelques mois sur www.chiesa et sur
"Settimo cielo".
Cottier, 89 ans, Suisse, appartenant à l'ordre des dominicains, est théologien émérite de la maison pontificale. Son intervention a été publiée dans le dernier
numéro de la revue internationale "30 Jours".
Dans ce texte, il répond à la thèse qui a été soutenue sur www.chiesa par l’historien Enrico Morini, selon laquelle avec le concile Vatican II l’Église a voulu se
rattacher à la tradition du premier millénaire.
Le cardinal Cottier met en garde contre l’idée que le deuxième millénaire ait été pour l’Église une période de décadence et d’éloignement par rapport à
l’Évangile.
Toutefois il reconnaît, dans le même temps, que Vatican II a eu raison de redonner force à une manière de percevoir l’Église qui a été particulièrement vivante au
cours du premier millénaire : non pas comme sujet en soi, mais comme reflet de la lumière du Christ. Et il traite des conséquences concrètes qui découlent de cette perception juste.
Le texte du cardinal Cottier est reproduit intégralement sur cette page, on le trouvera ci-dessous.
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Un troisième développement de la discussion concerne une thèse de Vatican II qui est particulièrement contestée par les traditionalistes : la thèse de la liberté
religieuse.
En effet, il y a indiscutablement une rupture entre les affirmations de Vatican II à ce sujet et les précédentes condamnations du libéralisme formulées par les
papes du XIXe siècle.
Mais "derrière ces condamnations, il y avait en réalité un libéralisme spécifique, le libéralisme étatiste continental, avec ses prétentions à la souveraineté
moniste et absolue, qui était ressenti comme une limitation de l'indépendance nécessaire à la mission de l’Église".
Alors que, au contraire, "la réconciliation concrète qui a été menée à son terme par Vatican II a été réalisée à travers le pluralisme d’un autre modèle libéral, le
modèle anglo-saxon, qui relativise de manière radicale les prétentions de l’État, au point de faire de ce dernier non pas le responsable monopoliste du bien commun, mais un ensemble limité de
services publics qui sont mis au service de la communauté. À l’opposition entre deux exclusivismes a succédé une rencontre placée sous le signe du pluralisme".
Les citations rapportées ici sont tirées d’un essai que Stefano Ceccanti, professeur de droit public à l'Université de Rome "La Sapienza" et sénateur du Parti
Démocratique, s’apprête à publier dans la revue "Quaderni Costituzionali".
Dans cet essai, Ceccanti analyse les deux discours importants que Benoît XVI a prononcés le 22 septembre dernier au Bundestag à Berlin et le 17 septembre 2010 à
Westminster Hall, pour montrer que ces deux discours "sont en pleine continuité avec cette réconciliation opérée par le concile".
Dès que l’essai de Ceccanti sera publié dans les "Quaderni Costituzionali", www.chiesa ne manquera pas de le mettre à la disposition de ses lecteurs.
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Un quatrième développement est la parution en Italie du livre suivant :
Pietro Cantoni, "Riforma nella continuità. Vaticano II e anticonciliarismo", [Réforme dans la continuité. Vatican II et l’anticonciliarisme], Sugarco Edizioni,
Milan, 2011.
Le livre passe en revue les textes les plus controversés du concile Vatican II pour montrer que, dans ces textes, tout peut être lu et expliqué à la lumière de la
tradition et de la grande théologie de l’Église, y compris saint Thomas.
L'auteur, Pietro Cantoni, est un prêtre qui – après avoir passé, dans sa jeunesse, plusieurs années en Suisse dans la communauté lefebvriste d’Écône et en être
sorti – s’est formé, à Rome, à l’école de l’un des plus grands maîtres de la théologie thomiste, Mgr Brunero Gherardini.
Mais c’est précisément contre son maître que sont dirigées les critiques contenues dans son livre. Gherardini est l’un des "anticonciliaires" qu’il prend le plus
pour cible.
En effet, Mgr Gherardini a formulé dans ses derniers ouvrages de sérieuses réserves quant à la fidélité de certaines affirmations du concile Vatican II à la
Tradition : dans la constitution dogmatique "Dei Verbum" à propos des sources de la foi, dans le décret "Unitatis redintegratio" à propos de l'œcuménisme, dans la déclaration "Dignitatis humanae"
à propos de la liberté religieuse.
Rendant compte de l’un de ses livres au mois de septembre, "La Civiltà Cattolica", la revue des jésuites de Rome qui est n’imprimée qu’après avoir été contrôlée par
la secrétairerie d’état du Vatican, a reconnu à ce vieux théologien qui fait autorité un "sincère attachement à l’Église".
Mais cela n’empêche pas Gherardini d’égratigner de ses critiques Benoît XVI lui-même, coupable à ses yeux d’une exaltation du concile qui "rogne les ailes à
l'analyse critique" et "empêche de regarder Vatican II avec des yeux plus pénétrants et moins éblouis".
Cela fait deux ans que Gherardini attend en vain du pape ce qu’il lui a demandé dans une "supplique" publique : qu’il soumette les documents du concile à un
réexamen et qu’il clarifie de manière directive et définitive le point de savoir "si, en quel sens et jusqu’à quel point" Vatican II est ou non dans la continuité du précédent magistère de
l’Église.
Il a annoncé qu’il publierait en mars 2012, à propos du concile Vatican II, un nouveau livre, dont on prévoit qu’il sera encore plus critique que les
précédents.
En ce qui concerne le livre de Pietro Cantoni, on pourra en lire ci-dessous, après l'article du cardinal Cottier, un commentaire dû à Francesco
Arzillo.
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Une autre information est que, le 22 octobre prochain, le prix Acqui Storia sera remis à Roberto de Mattei pour son ouvrage "Il Concilio Vaticano II. Una storia mai
scritta" [Le concile Vatican II. Une histoire jamais écrite], publié aux éditions Lindau et dont www.chiesa a rendu compte en son temps.
Le prix Acqui est l’un des plus prestigieux dans le domaine des études historiques. Le jury qui a pris la décision de le conférer à de Mattei est composé
d’universitaires d’orientations diverses, catholiques et non catholiques.
Mais son président, le professeur Guido Pescosolido de l'Université de Rome "La Sapienza", a démissionné de sa charge justement pour se désolidariser de cette
décision.
D’après le professeur Pescosolido, le livre de de Mattei serait gâté par un esprit de militantisme anti-conciliaire incompatible avec les canons de
l’historiographie scientifique.
Le professeur Pescosolido a reçu, par le biais d’un communiqué, le soutien de la SISSCO, Société Italienne pour l’Étude de l’Histoire Contemporaine, qui est
présidée par le professeur Agostino Giovagnoli, représentant bien connu de la communauté de Sant'Egidio, et qui compte parmi ses dirigeants un autre représentant de cette même communauté, le
professeur Adriano Roccucci.
Et dans le "Corriere della Sera" le professeur Alberto Melloni – co-auteur d’une autre histoire bien connue de Vatican II, certainement "militante" elle aussi mais
du côté progressiste, celle qui a été écrite par "l’école de Bologne" du père Giuseppe Dossetti et de Giuseppe Alberigo et qui a été traduite en plusieurs langues – a carrément maltraité de
Mattei. S’il lui a bien reconnu le mérite d’avoir enrichi de documents inédits la reconstitution de l’histoire du concile, il a comparé son livre à "un ramassis d’opuscules anti-conciliaires" ne
méritant pas d’être pris en considération.
Par comparaison, le calme avec lequel le professeur de Mattei a supporté de tels affronts a été pour tous une leçon d’élégance.
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Enfin, toujours dans la ligne d’interprétation de Mgr Gherardini et du professeur de Mattei, un autre livre qui distingue déjà dans le concile Vatican II les
dysfonctionnements apparus après le concile est sorti en librairie le 7 octobre en Italie :
Alessandro Gnocchi, Mario Palmaro, "La Bella addormentata. Perché col Vaticano II la Chiesa è entrata in crisi. Perché si risveglierà", [La Belle endormie. Pourquoi
l’Église est entrée en crise avec Vatican II. Pourquoi elle se réveillera] Vallecchi, Florence, 2011.
Les deux auteurs ne sont ni historiens ni théologiens, mais ils soutiennent leur thèse avec compétence et avec une efficacité communicative, pour un public de
lecteurs plus large que celui qu’atteignent les spécialistes.
Du côté opposé aux traditionalistes, le théologien Carlo Molari a lui aussi élargi le cadre de la discussion par une série d’articles qui ont été publiés dans la
revue "La Rocca" de l’association Pro Civitate Christiana d’Assise et dans lesquels il a repris et discuté les interventions parues sur www.chiesa et sur "Settimo cielo".
Grâce à eux aussi, on peut donc prévoir que la controverse relative à Vatican II atteindra un vaste public. Et cela justement à la veille du cinquantième
anniversaire, en 2012, de l’ouverture de cette grande assemblée.
En vue de cet événement, qui sera célébré du 3 au 6 octobre de l'année prochaine, le Comité Pontifical des Sciences Historiques a mis en chantier un colloque
destiné à étudier comment les évêques qui ont participé au concile ont décrit celui-ci dans leurs journaux intimes et dans leurs archives personnelles.
Et le 11 octobre 2012, jour anniversaire de l’ouverture du concile, sera le début d’une "année de la foi" spéciale, qui se terminera le 24 novembre de l'année
suivante, en la solennité du Christ Roi de l'Univers. Benoît XVI l’a annoncé le 16 octobre, au cours de l’homélie de la messe qu’il a célébrée à la basilique Saint-Pierre devant plusieurs
milliers de responsables prêts à travailler à la "nouvelle évangélisation".
Sandro Magister
www.chiesa
CETTE PERCEPTION DE L'ÉGLISE COME "LUMIÈRE RÉFLÉCHIE" QUI UNIT LES PÈRES DU PREMIER MILLÉNAIRE ET LE CONCILE VATICAN II
par Georges Cottier
Le cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II tombera en 2012, année désormais proche. Un demi-siècle plus tard, ce qui a été un événement majeur de la vie de l’Église continue à susciter des débats – qui s’intensifieront probablement dans les prochains mois – sur la question de savoir quelle est l’interprétation la plus juste de cette assemblée conciliaire.
Les disputes de caractère herméneutique, importantes certainement, risquent pourtant de devenir des controverses pour spécialistes. En revanche, il peut intéresser tout le monde, dans le moment présent surtout, de redécouvrir la source de l’inspiration qui a animé le Concile Vatican II.
La réponse la plus commune reconnaît que cet événement est né du désir de renouveler la vie intérieure de l’Église et d’adapter sa discipline aux nouvelles exigences, pour proposer à nouveau, avec une nouvelle vigueur, sa mission dans le monde actuel, mission attentive dans la foi "aux signes des temps". Mais plus profondément, il faut chercher à saisir quel était le visage le plus intime de l’Église que le Concile se proposait de reconnaître et de représenter au monde, dans son dessein de mise à jour.
Le titre et les premières lignes de la constitution dogmatique conciliaire "Lumen gentium", consacrée à l’Église, sont en ce sens éclairantes dans leur limpidité et dans leur simplicité: "Le Christ est la lumière des peuples; réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile, répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église". Dans l’incipit de son document le plus important, le dernier Concile reconnaît que ce qui constitue la source de l’Église n’est pas l’Église elle-même mais la présence vivante du Christ qui édifie personnellement l’Église. La lumière qu’est le Christ se reflète dans l’Église comme dans un miroir.
La conscience de cette donnée élémentaire (l’Église est le reflet dans le monde de la présence et de l’action du Christ) éclaire tout ce que le dernier Concile a dit sur l’Église. Le théologien belge Gérard Philips, qui fut le principal rédacteur de la constitution "Lumen gentium", mit justement en évidence cette donnée dans son monumental commentaire du texte conciliaire.
Selon lui, "la constitution sur l’Église adopte dès le départ la perspective christocentrique, perspective qui s’affirmera fortement au cours de toute l’exposition. L’Église en est profondément convaincue: la lumière des peuples rayonne non à partir de l’Église mais de son divin Fondateur: et pourtant l’Église sait bien que, se reflétant sur son visage, ce rayonnement atteint l’humanité entière". Une perspective reprise jusque dans les dernières lignes du même commentaire dans lesquelles Philips répète que "ce n’est pas à nous de prophétiser sur l’avenir de l’Église, sur ses insuccès et ses développements. L’avenir de cette Église, dont Dieu a voulu faire le reflet du Christ, Lumière des Peuples, est dans Ses mains".
La perception de l’Église comme reflet de la lumière du Christ rapproche le Concile Vatican II des Pères de l’Église qui, dès les premiers siècles, recouraient à l’image du "mysterium lunae", le mystère de la lune, pour suggérer quelle était la nature de l’Église et l’action qui lui convient. Comme la lune, "l’Église brille non de sa lumière propre mais de celle du Christ" ("fulget Ecclesia non suo sed Christi lumine"), dit saint Ambroise. Tandis que, pour Cyrille d’Alexandrie, "l’Église est auréolée de la lumière divine du Christ, qui est l’unique lumière dans le royaume des âmes. Il y a donc une seule lumière: l’Église brille aussi cependant dans cette seule lumière, mais elle n’est pas le Christ lui-même".
En ce sens, mérite attention la réflexion présentée récemment par l’historien Enrico Morini dans une intervention recueillie sur le site www.chiesa.espressonline.it dont s’occupe Sandro Magister.
Selon Morini – qui est professeur d’Histoire du christianisme et des Églises à l’Université de Bologne –, le Concile Vatican II s’est mis "dans la perspective de la continuité la plus absolue avec la tradition du premier millénaire, selon une périodisation qui n’est pas purement mathématique mais qui porte sur le fond des choses, le premier millénaire d’histoire de l’Église étant celui de l’Église des sept Conciles, de l’Église encore indivise […]. En promouvant le renouvellement de l’Église le Concile n’a pas cherché à introduire quelque chose de nouveau – comme le désirent et le craignent respectivement les progressistes et les conservateurs – mais à retourner à ce qui s’est perdu".
Cette observation peut créer des équivoques si elle est assimilée au mythe historiographique qui voit le déroulement de l’histoire de l’Église comme une décadence progressive et un éloignement croissant du Christ et de l’Évangile. On ne peut pas non plus accréditer les oppositions artificieuses selon lesquelles le développement dogmatique du second millénaire ne serait pas conforme à la Tradition partagée durant le premier millénaire de l’Église indivise. Comme l’a souligné le cardinal Charles Journet, en se référant entre autres au bienheureux John Henry Newman et à son essai sur le développement du dogme, le "depositum" que nous avons reçu n’est pas un dépôt mort mais un dépôt vivant. Et tout ce qui est vivant se maintient en vie en se développant.
Il faut en même temps considérer comme un fait objectif la correspondance entre la perception de l’Église exprimée dans la "Lumen gentium" et celle qui était déjà partagée dans les premiers siècles du christianisme. C’est-à-dire que l’Église n’est pas présupposée comme un sujet distinct, préétabli. L’Église s’en tient au fait que sa présence dans le monde fleurit et subsiste comme reconnaissance de la présence et de l’action du Christ.
Dans notre plus récente actualité ecclésiale, cette perception de ce qui constitue la source de l’Église semble parfois s’obscurcir pour beaucoup de chrétiens et une sorte de renversement paraît se produire: de reflet de la présence du Christ (qui, avec le don de Son Esprit, édifie l’Église), on passe à une perception de l’Église comme une réalité qui s’emploie matériellement et idéalement à attester et réaliser par elle-même sa présence dans l’histoire.
De ce second modèle de perception de la nature de l’Église, qui n’est pas conforme à la foi, découlent des conséquences concrètes.
Si, comme il le faut, l’Église se perçoit dans le monde comme reflet de la présence du Christ, l’annonce de l’Évangile ne peut s’effectuer que dans le dialogue et dans la liberté et doit renoncer à tout moyen de coercition aussi bien matériel que spirituel. C’est la voie indiquée par Paul VI dans sa première encyclique "Ecclesiam suam"¸ publiée en 1964, qui exprime parfaitement le regard que le Concile porte sur l’Église.
Le regard que le Concile a porté sur les divisions entre chrétiens et ensuite sur les croyants des autres religions reflétait lui aussi la même perception de l’Église. Ainsi la demande de pardon pour les fautes des chrétiens, demande qui a étonné et fait discuter au sein du corps ecclésial quand elle fut présentée par Jean Paul II, est parfaitement en accord avec la conscience de l’Église décrite jusqu’à présent. Si l’Église demande pardon ce n’est pas pour se conformer aux usages du monde mais parce qu’elle reconnaît que les péchés de ses enfants obscurcissent la lumière du Christ qu’elle est appelée à laisser se réfléchir sur son visage. Tous ses enfants sont des pécheurs appelés par l’action de la grâce à la sainteté. Une sanctification qui est toujours un don de la miséricorde de Dieu, lequel désire qu’aucun pécheur – aussi horrible soit son péché – ne soit entraîné par le Malin sur la voie de la perdition. On comprend ainsi la formule du cardinal Journet: l’Église est sans péché mais non sans pécheurs.
Le référence à la vraie nature de l’Église comme reflet de la lumière du Christ a aussi des implications pastorales immédiates. On enregistre malheureusement dans le contexte actuel la tendance de certains évêques à exercer leur magistère à travers des déclarations faites dans les media, dans lesquelles sont souvent fournies des prescriptions et des indications sur ce que doivent ou ne doivent pas faire les chrétiens. Comme si la présence des chrétiens dans le monde était le produit de stratégies et de prescriptions et ne naissait pas de la foi, c’est-à-dire de la reconnaissance de la présence du Christ et de son message.
Peut-être, dans le monde actuel, serait-il plus simple et réconfortant pour tout le monde d’écouter des pasteurs qui parlent à tout le monde sans donner la foi comme présupposée. Comme l’a reconnu Benoît XVI dans son homélie à Lisbonne, le 11 mai 2010, "souvent nous nous préoccupons fébrilement des conséquences sociales, culturelles et politiques de la foi, escomptant que cette foi existe, ce qui malheureusement s’avère de jour en jour moins réaliste".
(Traduction française de "30 Jours")
UN BON LIVRE ET DEUX CATÉCHISMES À CONFRONTER
par Francesco Arzillo
La parution du livre de Pietro Cantoni "Réforme dans la continuité. Vatican II et l’anticonciliarisme" est un événement qui mérite d’être signalé avec éloge. Il s’agit, en effet, d’un exemple de rigoureux exercice d’une "herméneutique de la continuité" : excellent remède contre la maladie que constitue la "polarisation" existant dans l'opinion publique ecclésiale, telle qu’elle se manifeste principalement dans des débats publics alimentés par des minorités "engagées" mais très peu présents dans la vie des catholiques de paroisse moyens, c’est-à-dire de la grande majorité des fidèles.
Guidé par Cantoni dans la lecture de quelques-uns des plus célèbres passages controversés des textes conciliaires, le lecteur non théologien va découvrir que ceux-ci, en fin de compte, ne contiennent rien qui ne puisse être lu et expliqué à la lumière de la Tradition et de la grande théologie de l’Église, y compris saint Thomas.
On note avec regret que cette attitude a pu être interprétée – par certains – comme une sorte de défense a priori de Vatican II, qui porterait préjudice au juste engagement contre les excès et les dysfonctionnements d’une partie de la théologie et des pratiques postconciliaires.
Mais, par ailleurs, comment un catholique pourrait-il ne pas défendre un concile œcuménique ? Sur quelle source théologique ou magistérielle une telle attitude pourrait-elle s’appuyer ? Un catholique pourrait-il sélectionner les enseignements des pasteurs en choisissant ce qui lui paraît le meilleur en fonction de sa propre sensibilité et de ses tendances culturelles ou religieuses ?
On attend encore que la grande portée du concile Vatican II soit explorée à fond dans sa richesse multiforme, qui pose certainement des problèmes d’interprétation mais qui suscite aussi des espoirs et des incitations à chercher une compréhension toujours meilleure du mystère de la foi chrétienne.
Mais, dans tout cela, quel est le rôle du simple fidèle ? On ne peut certainement pas attendre de lui qu’il s’inscrive à l’un des partis théologico-liturgico-ecclésiaux présents sur la place publique et qu’il en partage les caractères spécifiques et les présupposés souvent unilatéraux et pleins d’a priori.
On ne peut pas non plus souhaiter raisonnablement que le simple fidèle soit conduit, par exemple, à sous-estimer la Messe de Paul VI par rapport à la Messe de saint Pie V ou inversement ; ou encore à sous-estimer sainte Edith Stein par rapport à sainte Thérèse d'Avila ou inversement. Cela reviendrait à priver l’Église de la dimension étendue dans les siècles de la catholicité et à céder à la conception crypto-apocalyptique de la rupture qui se serait produite à l’époque moderne (quelles que soient la datation et la lecture, positive ou négative, que l’on veut donner de cette rupture).
On a surtout l’impression que le monde traditionaliste ne se rend pas compte du fait qu’adhérer – même sous la forme d’une opposition – à la conception de la modernité comme rupture représente une forme évidente de subordination idéologique par rapport à l'adversaire, dont on finit par accepter le présupposé de départ.
Cela donne envie de suggérer, à cet égard, un exercice plus simple que celui qui est réservé aux théologiens. Nous suggérons de lire, par exemple, au moins quelques parties du Catéchisme de saint Pie X en parallèle avec le "Compendium" de Benoît XVI.
Une telle lecture permet de faire des découvertes enthousiasmantes. Elle fait voir clairement non seulement qu’il n’y a aucune contradiction entre les deux catéchismes, mais que les contenus des deux textes s’éclairent réciproquement en un enrichissement qui est circulaire mais non autoréférentiel, parce qu’il est orienté vers le référent ultime, qui est le Saint Mystère dans sa réalité objective et transcendante.
Bien évidemment, cela ne signifie pas ne pas voir les problèmes – graves aussi – qui se posent à l’époque actuelle, parmi lesquels figure notamment le problème des carences en termes d’épistémologie et de contenu que connaissent les théologies les plus répandues (c’est là une question qui fera l’objet d’une enquête approfondie dans un livre du prêtre et philosophe Antonio Livi à paraître prochainement).
Mais cela signifie voir ces problèmes dans la juste lumière, autrement dit, en dernière analyse, les voir dans l’Esprit qui anime l’Église mère et maîtresse et qui n’a pas cessé de la soutenir, même à l’époque contemporaine : l’Esprit de Jésus-Christ, qui est avec nous "tous les jours, jusqu’à la fin du monde" (Mt 28, 20).
La revue qui a publié l'intervention du cardinal Cottier :
> 30 Jours
http://www.30giorni.it/index_l4.htm
Un commentaire de Brunero Gherardini à propos des critiques formulées par Pietro Cantoni :
> Risposta a don Cantoni : fra teologia e amarezza
http://www.unavox.it/ArtDiversi/DIV206_Interv_Gherardini_su_Cantoni.html
Une interview de Gnocchi et Palmaro à propos de leur nouveau livre :
> Concilio Vaticano II: il mito di un "superdogma" da cui uscire
http://blog.messainlatino.it/2011/09/intervista-gnocchi-e-palmaro-sul-loro.html
Le discours prononcé par Benoît XVI le 22 décembre 2005 qui a lancé la discussion relative à l'herméneutique du concile :
> "Messieurs les Cardinaux..."
http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2005/december/documents/hf_ben_xvi_spe_20051222_roman-curia_fr.html
Sur www.chiesa et sur le blog "Settimo cielo", la discussion est en cours depuis plusieurs mois. Y sont intervenus à de nombreuses reprises Francesco Agnoli, Francesco Arzillo, Inos Biffi, Giovanni Cavalcoli, Stefano Ceccanti, Georges Cottier, Roberto de Mattei, Massimo Introvigne, Agostino Marchetto, Alessandro Martinetti, Enrico Morini, Enrico Maria Radaelli, Fulvio Rampi, Martin Rhonheimer, Basile Valuet, David Werling, Giovanni Onofrio Zagloba.
Voici, dans l’ordre, les précédents chapitres de la discussion, sur www.chiesa :
> Les grands déçus du pape Benoît (8.4.2011)
> Les déçus ont parlé. Le Vatican répond (18.4.2011)
> Qui trahit la tradition ? Le grand débat (28.4.2011)
> L'Église est infaillible mais Vatican II ne l'est pas (5.5.2011)
> Benoît XVI "réformiste". La parole est à la défense (11.5.2011)
> Liberté religieuse. L'Église avait-elle raison même quand elle la condamnait? (26.5.2011)
> Un "grand déçu" rompt le silence. Par un appel au pape (16..6.2011)
> Bologne parle: la tradition est aussi faite de "ruptures" (21.6.2011)
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1348361?fr=y
Et aussi, sur le blog SETTIMO CIELO :
> Francesco Agnoli: il funesto ottimismo del Vaticano II (8.4.2011)
> La Chiesa può cambiare la sua dottrina? La parola a Ceccanti e a Kasper (29.5.2011)
> Ancora su Stato e Chiesa. Dom Valuet risponde a Ceccanti (30.5.2011)
> Padre Cavalcoli scrive da Bologna. E chiama in causa i "bolognesi" (31.5.2011)
> Può la Chiesa cambiare dottrina? Il professor "Zagloba" risponde (6.6.2011)
> Tra le novità del Concilio ce n'è qualcuna infallibile? San Domenico dice di sì (8.6.2011)
> Esami d'infallibilità per il Vaticano II. Il quizzone del professor Martinetti (27.6.2011)
http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2011/06/27/esami-dinfallibilita-per-il-vaticano-ii-il-quizzone-del-professor-martinetti/
> Il bolognese Morini insiste: la Chiesa ritorni al primo millennio (15.7.2011)
http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2011/07/15/il-bolognese-morini-insiste-la-chiesa-ritorni-al-primo-millennio/
> La Tradizione abita di più in Occidente. Padre Cavalcoli ribatte a Morini (27.7.2011)
http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2011/07/27/la-tradizione-abita-di-piu-in-occidente-padre-cavalcoli-ribatte-a-morini/
> Rampi: come cantare il gregoriano nel secolo XXI (3.8.2011)
http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2011/08/03/rampi-come-cantare-il-gregoriano-nel-secolo-xxi/
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.