LOUIS DOUMAIN, prêtre du diocèse de Viviers, fut requis pour l'Allemagne au titre du STO, le 8 juillet 1943, et embarqué à une trentaine de kilomètres de Leipzig, afin d'y travailler dans une usine de produits chimiques. Une religieuse de la communauté de Bitterfeld se rappelle :
« Lorsqu'il vint, je fus bouleversée. Il nous dit qu'il était au camp de Marie et qu'il allait être employé à un travail de terrassement, qu'il y aurait trois équipes avec un roulement de trois semaines [...], qu'il viendrait selon les possibilités de son travail. En fait, il est venu chaque jour. La sainte messe, c'était son heure. Il était tellement chétif et fragile que ça nous faisait pitié. Et puis un jour il ne vint pas. Nous aurions voulu avoir de ses nouvelles, savoir ce qui était arrivé : personne ne put nous le dire! »
Ce que n'avaient pas su ces religieuses, c'était la cause de sa disparition subite. En effet, il s'agissait des conséquence d'une messe clandestine que le prêtre avait célébrée en septembre 1944, dans un bois des environs de Bitterfeld, pour ses camarades du STO. À la sortie du bois, le groupe est interpellé par des policiers. Ils lui font ouvrir la valise-chapelle, la confisquent, arrêtent le prêtre et quelques camarades. Au poste de police, la Gestapo propose à LOUIS DOUMAIN de le libérer s'il s'engage à ne plus dire la messe pour les Français. Le « petit chétif » s'indigne: « Mais c'est justement pour cela qu'on m'a fait prêtre! » Un policier commente: « Il a l'apparence d'un mouton peureux. Quand on lui parle de la messe, c'est un lion! »
Pour cette messe et pour cette réponse, LOUIS DOUMAIN fut envoyé en camp d'extermination. Quelques semaines plus tard, il y mourait, âgé de 24 ans. » (Rapporté par Charles Molette)
Le sourire resplendissant des agonisants
« Un de nos camarades français de Dachau a osé écrire que ces dures années furent pour nous des années exaltantes. Ah, qu'il avait raison de le proclamer! Laissez-moi ici baisser la voix, parler sur le ton de la confidence : pour un laïc chrétien, n'est-ce pas une promotion inouïe que de se voir indigne, promu au rôle d'un Tarcisius?
« Nous sommes pourtant quelques-uns à avoir connu cet honneur insigne, auprès duquel tous les autres - tous - apparaîtront à jamais pitoyables. La prière de l'homme à son Dieu, qu'll croit, qu'il sait, qu'il sent présent sous les voiles eucharistiques, ne se peut guère exprimer qu'en langage d'orateur ... Mon sentiment ne se peut formuler autrement que par la magnifique incantation du Commun des fidèles : Pange, lingua gloriosi / Corporis mysterium ...
« A vrai dire, je ne suis même plus tellement sûr, si grande était notre détresse d'alors, qu'il soit venu à l'esprit de le murmurer tout bas, cet hymne eucharistique, quand j'allais porter le viatique au sinistre REVIER (infirmerie des détenus, d'où les prêtres étaient impitoyablement chassés). C'est après coup que j'ai réalisé ce que je qualifierai de performance.
« Mais ce dont je me souviendrai jusqu'à mon dernier jour, c'est le sourire resplendissant, le visage rayonnant d'une joie qui n'était déjà plus la nôtre, des agonisants auxquels j'allai glisser entre les lèvres l'hostie consacrée que m'avait généreusement confiée le prêtre-ami, le complice. » (Edmond Michelet au Congrès eucharistique de Munich, septembre 1960)
Mille kilomètres pour une Eucharistie!
Au Cambodge, il y a quelques années, alors que les structures d'Eglise avaient été détruites, je m'étais rendu près de la frontière avec deux prêtres des Missions étrangères, qui avaient écrit à une paroisse lointaine que la messe serait célébrée tel jour, à tel endroit, près de tel arbre. À cinq heures du soir, nous avons vu sortir de la forêt sept chars à bœufs. Ils étaient une vingtaine de chrétiens à avoir parcouru cinq cents kilomètres à travers les forêts minées, occupées par des armées en guerre. Ds sont repartis avec des sacs en plastique pleins d'hosties qui seraient le pain de leur route et qu'ils distribueraient en rentrant à plusieurs communautés chrétiennes dispersées. Au total : mille kilomètres pour une Eucharistie!