Trois conseils pour bien voter, 577 cas de conscience
François de Lacoste Lareymondie
Notre participation à la vie politique de la nation ne s’est pas arrêtée au soir du second tour de l’élection présidentielle. Elle se poursuit avec l’élection des députés dont les deux tours de scrutin vont se dérouler ces dimanches 10 et 17 juin. Elle comporte la même exigence, celle du service du bien commun de la société tout entière, clé de voûte de l’action politique. Le rythme particulier qu’impose le quinquennat présidentiel suivi du renouvellement de l’Assemblée nationale, avec l’effet dynamique du premier sur le second, ne dispense personne d’exercer son vote en prudence et en conscience dans un cas comme dans l’autre.
Voici trois critères de réflexion pour orienter son vote aux législatives :
- Choisir le législateur : respecter le caractère propre de cette élection
- Les principes non “négociables” : des finalités morales pour se déterminer
- La question des petits partis, leur utilité et leur légitimité
1/ Se conformer à l’objet de l’élection
De nouveau, nous avons à nous placer dans la perspective d’une exigence renouvelée à l’encontre d’une culture de mort omniprésente ; de nouveau, nous avons à harmoniser l’appel de notre conscience avec le réalisme de la décision la plus sage possible ; de nouveau, nous avons à éviter de succomber à deux tentations contradictoires mais également dangereuses : celle de la résignation fataliste, et celle de l’enfermement dans une opposition stérile.
Ce que nous avons dit précédemment, que la politique demeure l’art du possible, que le prophète et le roi ne se confondent pas, qu’il convient de distinguer les responsabilités de chacun, qu’enfin la démocratie doit demeurer à sa juste place, demeure vrai : c’est toujours cette même lumière qui éclaire notre vote ; mais en s’inscrivant dans le réel d’une situation concrète qui n’est pas la même qu’il y a six semaines.
En effet, l’objet du présent scrutin diffère du précédent. Après avoir élu le chef de l’État, élection nationale où la dimension personnelle du candidat revêtait une importance particulière, il s’agit à présent d’élire des députés dans le cadre de 577 circonscriptions. La différence tient à la fonction à laquelle aspirent les candidats qui se présentent à nos suffrages. Le Président de la République, au sommet de l’État, en incarne l’autorité, représente tous les Français et imprime au gouvernement ses grandes orientations. En revanche, le député est un parlementaire dont la première fonction, avec le vote des impôts et du budget de l’État, est de voter la loi.
Or voter la loi, c’est donner un cadre juridique aux comportements sociaux, fixer ce que la société, dans un temps et un lieu déterminés, tient pour concrètement bon ou mauvais ; exercice redoutable depuis que celle-ci s’est arrogée le droit de légiférer sur tout, y compris sur ses propres fondements qui devraient pourtant demeurer intangibles.
On aurait tort de croire à l’idée reçue selon laquelle les débats parlementaires constituent de simples formalités et les votes y sont automatiques. Bien plus qu’on ne le pense et qu’on ne le répète à l’envi, c’est sur les questions dites “de société”, précisément en raison de leur nature et des enjeux qu’elles comportent, que la liberté d’appréciation et de vote des parlementaires est la plus grande, que les marges de discussion et d’amendement sont les plus larges, et par conséquent que leur responsabilité est la plus engagée. C’est aussi sur ces matières qu’ils ont le plus besoin de savoir où se situent les points durs sur lesquels certains de leurs électeurs ne transigeront pas.
2/ Se déterminer à partir des “principes non négociables”
D’où l’importance qu’il convient d’accorder aux positions et déclarations de chaque candidat sur les grandes questions où se jouent les principes non “négociables” qui fondent toute vie en société (Cf. le Guide de l'électeur chrétien 2007). Ces principes ne sont pas des “impératifs catégoriques”, de type kantien, mais des finalités, au sens moral (premières dans l’ordre d’intention, dernières dans l’ordre d’exécution) :
- S’agissant de l’avortement, il faut admettre honnêtement qu’aujourd’hui, reconstruire une culture de vie passe d’abord par l’accueil des mères en difficulté et des enfants à naître, ainsi que par l’application concrète du droit à l’objection de conscience par le personnel de santé : jusqu’où les candidats sont-ils prêts à agir, ou à nous laisser agir, dans cette direction ?
- S’agissant de l’euthanasie, la plupart des candidats évitent d’aborder ce sujet et émettent des propos au mieux ambigus par lesquels ils démontrent d’abord leur méconnaissance mais aussi leur vulnérabilité aux sentiments passionnels ; l’intense travail pédagogique déjà engagé auprès des parlementaires doit être poursuivi afin d’éviter une remise en cause de la récente “loi Léonetti” qui, en l’état actuel des choses, offre un point d’équilibre acceptable (malgré ses ambiguïtés).
- S’agissant de la bioéthique, les lois actuelles (qui sont provisoires) seront remises en chantier dès 2009 ; là encore, l’action possible relève de la pédagogie, mais aussi du dévoilement de certaines réalités masquées par la propagande et les intérêts financiers, comme cela a été fait lors du dernier Téléthon.
- Sur le mariage et l’adoption au profit des couples homosexuels, en revanche, les positions sont souvent plus nettes en dépit de fréquentes équivoques, et appellent des clarifications rapides en raison des projets annoncés ; malgré le battage médiatique mais parce que celui-ci demeure décalé par rapport au sens commun et que la protection de l’enfance garde une capacité mobilisatrice, c’est une matière où le débat est encore ouvert et où l’on dispose d’une réelle capacité de mobilisation et de pression politiques : il est donc prioritaire, pour le présent scrutin, de se demander quels sont les futurs parlementaires qui y seront les plus sensibles et ceux qu’ils faut impérativement combattre.
- Sur l’école, n’est pas de médiocre importance la question de la plus ou moins grande liberté dont jouiront les parents : jusqu’où les candidats sont-ils prêts à s’engager pour promouvoir l’exercice de cette liberté ?
- Sur la liberté religieuse enfin, quoique sa contestation n’apparaisse ni directe ni ouverte, on doit considérer la façon dont les candidats se positionnent, notamment leur acceptation ou leur refus de l’intervention des autorités religieuses dans les questions morales, c’est à dire de leur droit d’enseigner.
En l’espèce, ce ne sont pas les propositions qui figurent dans les programmes des partis qui sont déterminantes. Bien plus importante est la position personnelle de chaque candidat, telle qu’elle transparait au travers de ses déclarations passées ou présentes, des votes qu’il a émis s’il a déjà siégé au Parlement, des liens qu’il a noués avec tel ou tel groupe de pression, ou des engagements qu’il a pris vis-à-vis de ceux-ci : ce sont eux qui conditionneront son comportement à l’Assemblée nationale.
Aussi, dans toute la mesure du possible c’est-à-dire en appréciant avec réalisme leurs chances d’être élus, doit-on favoriser les candidats dont on connaît la force des convictions et la capacité de résistance aux pressions des lobbies. Et doit-on symétriquement s’efforcer d’éliminer sans hésitation tous ceux, quel que soit le parti auquel ils appartiennent, dont on sait d’ores et déjà qu’ils pousseront à l’adoption de lois attentatoires aux principes non “négociables” ou qu’ils en voteront le projet s’il vient à être présenté. Quitte à laisser élire des candidats qui seraient plus éloignés de notre préférence naturelle mais dont l’élection éventuelle n’aurait pas la même portée : mieux vaut sans doute un opposant anonyme à l’actuelle majorité qu’un de ses membres que l’on sait très engagé en faveur de propositions mortifères ou militant aux côtés des lobbies gays. Quand on sait que dans certaines circonscriptions l’élection peut se jouer à quelques centaines, voire quelques dizaines de voix, le signal donné ne serait pas sans conséquence.
3/ Critères politiques subsidiaires : la place des partis
Au regard de ces repères essentiels, d’autres critères de jugement apparaissent tout à fait secondaires. On en mentionnera cependant trois, de nature strictement politique, qui peuvent s’avérer utiles lorsque l’on se trouve dans une situation où les premiers ne seraient pas discriminants.
- Les petites formations. En premier lieu on peut considérer l’équilibre général des forces politiques en présence et leur représentation à l’Assemblée nationale. Le scrutin uninominal ne favorise pas les petites formations : il a d’ailleurs été conçu pour cela, pour que le gouvernement dispose d’une majorité solide, et pour que l’alternance, condition du bon fonctionnement de la démocratie parlementaire, soit claire et efficace. Mais dès lors que cette majorité semble assurée, il peut apparaître opportun dans certains cas de donner une chance à des représentants d’autres formations dont la contribution à la vie politique française apparaîtrait en ligne avec les exigences fondamentales rappelées plus haut ou du moins utile à la réalisation du bien commun.
- Les partis nuisibles. En deuxième lieu, l’occasion se présente d’éliminer certaines formations qui détiennent encore des sièges de députés alors que leur poids dans la vie politique ne le justifie plus ou dont l’action s’avère gravement préjudiciable au pays : on pense notamment au Parti communiste, et à certains gauchistes élus sous couvert d’écologie, qui bloquent les évolutions de la vie politique française ou qui cherchent à entraîner notre pays sur une pente fatale. De fait, là où la compétition se joue entre formations du même camp, à gauche, en raison de la sociologie de la circonscription, il peut s’avérer utile et conforme au bien commun de chercher à inverser l’ordre d’arrivée au premier tour pour débloquer la situation.
- Les petits partis face au bien commun. Le troisième critère subsidiaire concerne la vie, ou plutôt la survie, des petits partis politiques. À la suite de divers avatars sur lesquels il n’y a pas lieu de revenir ici, leur financement public est aujourd’hui fondé sur les résultats qu’ils obtiennent au premier tour des élections législatives : la subvention annuelle qu’ils recevront de l’État pendant les cinq prochaines années sera calculée sur la base de 44 394 € par député élu et de 1,34 € par voix recueillie par les candidats qu’ils présentent, pourvu qu’ils soient plus de cinquante et que chacun d’eux obtienne au moins 1% des suffrages exprimés [1].
Ce mécanisme, bien que présentant un certain caractère d’objectivité, comporte un effet pervers : il favorise l’émiettement au point que, cette année encore, on dénombre environ 7 500 candidats, ce qui fait une moyenne de 13 par circonscription (avec des pointes à 19 ou 20 !). Faut-il s’y prêter et contribuer à la dispersion au détriment d’une structuration politique plus raisonnable ? La réponse ne saurait être univoque ; mais il convient d’en tenir compte, en s’interrogeant sur la contribution au bien commun de chacun des bénéficiaires potentiels.
Voter n’est ni simple ni anodin. Le faire de façon automatique en raison d’attaches partisanes ou par tendance naturelle constitue certainement la façon la plus critiquable d’opérer : ce serait faire l’impasse sur le discernement nécessaire. Il faut néanmoins souligner que ce discernement ne peut pas s’opérer de façon globale : les 577 circonscriptions dans les lesquelles les électeurs vont voter appellent autant d’appréciations. C’est à un examen cas par cas que chacun d’entre nous doit se livrer avant de mettre son bulletin dans l’urne.
[1] Cette année, rien que pour la métropole, 31 partis ou mouvements en bénéficient sur la base des élections de 2002.
■ LISTE indicative de députés sortants dangereux
■ LISTES indicatives de députés sortants courageux