Dans son évangile, S. Luc nous montre que la Passion de Jésus n'arrive pas comme une surprise. Depuis le chapitre 13 il laisse entendre ce qui attend Jésus à Jérusalem: tout le contraire d'un triomphe immédiat et facile.
32 Il leur répliqua: "Allez dire à ce renard: Aujourd'hui et demain, je chasse les démons et je fais des guérisons; le troisième jour, je suis au but.
33 Mais il faut que je continue ma route aujourd'hui, demain et le jour suivant, car il n'est pas possible qu'un prophète meure en dehors de Jérusalem.
34 Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes, toi qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n'avez pas voulu!
35 Maintenant, Dieu abandonne votre Temple entre vos mains. Je vous le déclare: vous ne me verrez plus jusqu'au jour où vous direz: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!
Hérode veut tuer Jésus. Jésus quitte la Galilée, qui est sous la juridiction d'Hérode. Veut-il échapper à la mort? Non, il marche vers Jérusalem. Il ne veut pas échapper à la mort, mais la mort ne le surprendra pas n'importe où, n'importe quand. Elle est librement acceptée au terme de sa mission de guérison (v. 32), à Jérusalem (v. 33) vers laquelle il marche filialement (cf. 9, 18-62) à la rencontre de son Père. Il n'est pas au pouvoir d'Hérode, le "renard" (animal chétif, par opposition au "lion"), de modifier d'un iota le dessein de Dieu ("il faut": v. 33), "l'enlèvement" de Jésus.
Mais on oublie si facilement. Et nous, comme Pierre, en suivant Jésus, on pense être parti pour une gloire facile et immédiate... Les illusions de nos désirs de bonheur et de succès humains prennent vite le dessus sur le réalisme évangélique. On aime Jésus, mais pas seulement lui. On lui fait confiance, mais pas seulement à lui. Tout notre malheur vient de là:
Le bon Pierre, aussi généreux que présomptueux dit à Jésus, en pensant au triomphe que Jésus venait de faire en arrivant au Temple de Jérusalem:
Une fois Jésus trahi par Judas et arrêté par les soldats du Temple, c'est une autre chanson:
Jésus venait de lui dire pourtant:
Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu sera revenu, affermis tes frères.
Peine perdue! Alors Jésus insiste:
Difficile d'être plus clair et plus précis. Peine perdue encore...
Que dire alors, aujourd'hui, vingt siècles plus tard, quand on lit ou quand on entend quelqu'un affirmer avec la plus grande assurance: "Je crois en l'homme!", ou quand on constate qu'il y a, encore maintenant, des chrétiens qui ont la prétention de "construire un monde meilleur", je me dis qu'on n'a toujours rien compris. L'enfant a l'excuse de l'inexpérience. Pierre a l'excuse d'être de la génération des premiers chrétiens - et d'avant la Pentecôte. Nous n'avons aucune des deux.
Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu sera revenu, affermis tes frères.
Jésus, lui, connaît notre faiblesse. Il n'est pas dupe quand nous lui faisons des déclarations de bonnes intentions.
Maintenant nous savons que tu sais toutes choses, et qu'il n'y a pas besoin de t'interroger: voilà pourquoi nous croyons que tu es venu de Dieu."
Jésus leur répondit : "C'est maintenant que vous croyez !
L'heure vient - et même elle est venue - où vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me laisserez seul ; pourtant je ne suis pas seul, puisque le Père est avec moi. (Jn 16, 29-33)
Il sait ce qu'il y a dans le coeur de l'homme. Saint Jean l'avait déjà noté dès le chapitre 2 de son évangile:
Mais Jésus n'avait pas confiance en eux, parce qu'il les connaissait tous
et n'avait besoin d'aucun témoignage sur l'homme: il connaissait par lui-même ce qu'il y a dans l'homme. (23-25)
"J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu sera revenu, affermis tes frères." Savons-nous à quel point notre fidélité (et notre relèvement après nos infidélités) est redevable de la prière de Jésus? Deux semaines durant, j'ai confessé à longueur de journée, ici et dans les paroisses environnantes. On se dit que s'il y a un moment propice pour un chrétien de montrer qu'il a perdu ses illusions sur ses vertus et ses mérites, c'est bien le moment où il a l'occasion de confesser ses péchés.
Pourtant, combien de fois n'ai-je pas eu à faire à des "pénitents" conscients de leur valeur et de leurs vertus, plus que de leur misère et de leurs péchés, à tel point que, parfois, je ne me suis pas cru autorisé à leur donner l'absolution. Comment pourrai-je, moi, donner l'absolution, si, selon toute évidence, le Seigneur lui-même n'a pas touché un pénitent venu non pas pour se confesser mais pour se vanter de lui et se plaindre des autres?
Actuellement, le démon essaie de faire croire à l'homme qu'il peut se sauver et qu'il n'a plus besoin du Christ. Lors de la première venue du Christ, il n'y a plus de place pour lui à Bethléem. Maintenant, c'est plus grave, car il n'y a plus de place pour le Christ en tant que Sauveur.
Quelle est la grande tentation aujourd'hui: croire que nous pouvons découvrir des méthodes qui nous permettront de nous sauver nous-mêmes. C'est terrible, parce que l'homme ne s'avoue plus pécheur, et donc, il ne peut plus recevoir la miséricorde de l'Esprit Saint et du Christ. Souvent, nous somme en face de cette tentation et nous ne la voyons pas. Nous nous y laissons prendre, en acceptant que quelqu'un d'autre que le Christ puisse nous sauver. (Père M.-D. Philippe)
Ce n'est qu'après son reniement que Pierre était mûr pour la miséricorde:
Il sortit et pleura amèrement.
Non, il n'est pas indispensable, pour recevoir l'absolution, de noyer le confesseur de ses larmes, mais un minimum de repentir est quand même requis. Il n'est pas nécessaire de trembler comme des feuilles devant Dieu, mais ne sommes-nous pas un peu trop rassuré à bon compte sur notre destinée éternelle, "puisque Dieu est miséricordieux"?
Comme Pierre, laissons Jésus poser son regard sur nous et pleurons nos péchés. Écoutons aussi la remontrance du "bon larron" qui dit à son comparse:
Et puis, pour nous, c'est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n'a rien fait de mal."
Le bon larron, lui qui n'était pas de ceux qui suivaient le Christ, et avant la Pentecôte, a su faire ce que Pierre n'a pas su faire. Il a su ne pas avoir honte de choisir ouvertement le Christ et prendre sa défense, non pas dans le succès triomphal de son entrée dans la ville, mais dans l'ignominie de son crucifiement hors de la ville. Lui, le bandit, il a su mettre sa confiance en Jésus, et en Jésus seul.
Et il disait: "Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne."
Jésus lui répondit : "Amen, je te le déclare: aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis."