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Publié par Walter Covens

(Note: une erreur s'est produite lors de la mise en ligne de cet article. C'est la raison pour laquelle les internautes qui sont abonné(e)s à la Newsletter et qui sont averti(e)s dès la publication de chaque post ne trouverons que demain le passage reçu dans leur boîte électronique et qui fait suite à celui-ci. Qu'ils (elles) veuillent bien m'en excuser...)

    Sur le point d'être absous, la rencontre avec Dieu apparaît tout autre que ce qu'elle est d'habitude. Par l'absolution Dieu vient en aide au pécheur, et pour qu'il puisse s'apercevoir de cette aide, il fait entendre les paroles de l'absolution. Le pécheur est délivré de ses chaînes, c'est en homme libre qu'il se tient devant Dieu, tout autrement que dans l'état du péché. La distance entre lui et Dieu s'est entièrement modifiée, car à ce moment précis, il est uniquement animé par une déférence pleine d'amour.

    Dieu, dans sa vie une et trinitaire, est éternel. L'homme est un être passager. Mais au moment de l'absolution, Dieu répand sur lui un souffle de son éternité. La liberté que l'homme acquiert ainsi a son origine dans l'amour éternel, et grâce à cet amour, il est de nouveau capable d'aimer, non seulement de manière plus libre, mais aussi de manière plus absolue dans la totalité de son état qui est à Dieu, qui a été créé par Dieu, que Dieu maintient dans la pureté et qu'il purifiera de nouveau s'il le faut. Dans cet état, tout est revêtu d'une clarté qui a son origine dans la vie éternelle.

    Si l'homme retombe dans le péché, la distance sera marquée par la crainte, mille choses se glissent alors entre le pécheur et Dieu. Dans la période qui sépare deux absolutions, le pécheur peut faire bien des expériences qui le séparent de Dieu, limitent sa liberté, pèsent sur sa foi et lui cachent la vie éternelle comme derrière un rideau. L'absolution enlève ce rideau pour celui qui est prêt à s'agenouiller devant Dieu pour se repentir et s'accuser de ses fautes. Les deux choses se font dans un événement unique: le rideau est enlevé par l'absolution et l'homme entièrement disponible s'y attend et éprouve quelque chose de l'éternité, une expérience qu'il ne fait qu'à cet instant précis. La bonté éternelle de Dieu, sa miséricorde et son amour sont de nouveau disponibles pour lui pécheur, lui sont envoyés par Dieu comme une nouvelle fois pour l'atteindre et le ramener vers lui.

    Après cela, l'homme retourne à sa vie de tous les jours. S'il a essayé de se confesser correctement, il a vu pour un instant sa propre vie et son entourage dans une lumière nouvelle. Il reprend ses occupations avec une espérance neuve qui garde l'empreinte de l'absolution reçue. Et cela non seulement de manière qu'il repense à la pureté de l'absolution comme à un pays merveilleux redevenu accessible; mais Dieu, par l'absolution, a effectivement mis à sa disposition une obéissance efficace dans cette pureté, et c'est ce trésor qu'il lui faudra s'approprier. Et si par rapport à sa vie, il se trouve confronté à de nouvelles questions, tous ces problèmes soulevés par la confession trouveront leur solution en Dieu, tout disposé à la communiquer. Et toujours cette solution consistera dans un: plus d'amour! Un amour qui ne soit pas inerte, l'amour même du Dieu Trinité dans son échange auquel, par l'absolution, l'homme participe efficacement. Il ne reste qu'à se demander comment l'homme se servira de cet amour qu'il a reçu. Et par la manière dont il s'en sert, cette pureté et cet amour seront confirmés. Si l'homme gardait jalousement cet amour, avec le sentiment qu'il n'est destiné qu'à lui, il se tarirait rapidement. Mais s'il en pénètre le secret - qui est d'être utilisé et donné -, cet amour restera vivant en lui. Ce n'est que s'il est dilapidé que ce trésor demeure intact, que cet amour garde la force du miracle d'origine opéré dans l'absolution. Un miracle qui se poursuit, qui s'enchaîne. Dès que les chaînes du péché sont brisées, ce sont les chaînes et les enfilades de la grâce qui commencent. Et si les possibilités du péché sont nombreuses et s'enchaînent, les possibilités de la grâce sont bien plus nombreuses encore et s'étendent sur les perspectives de l'éternité.

    Lors de sa vie parmi nous, le Fils constate combien il faut de temps pour que quelque chose au moins de la parole de Dieu ait des effets durables. Il le fait voir dans la parabole du semeur. Combien de conditions doivent être remplies pour que la semence germe. Ce n'est qu'une parabole, et il sait ce que les siens, qui l'ont entendue, en ont fait: très peu de choses. Sa parabole n'a pas réussi à faire de ses auditeurs de la bonne terre, en les obligeant à préparer les conditions voulues.

    C'est ainsi qu'en partant de l'idée de cette parabole, il a institué les sacrements. Ils ont tous un caractère absolu, ils opèrent quelque chose d'absolu et d'infiniment total qui vient de Dieu et qui, à cause de son caractère divin, est incomparable. Peut-être le Seigneur aurait-il pu instituer la confession de telle manière qu'elle nous aurait délivré uniquement de ce que le péché a d'intolérable, de ce qui dépasse pour nous la mesure du tolérable. L'homme aurait alors gardé un reste de sa vie passée, de son péché passé ; il aurait reçu une lumière en vue de l'avenir. Au lieu de cela, le Seigneur nous fait, par son sacrement, le don d'un renouvellement total, d'un pardon divin qui enlève tout. L'homme qui après sa confession retombe dans le péché n'ajoute rien à ce qui existait déjà, il commence à nouveau avec le péché. Mais - et ceci est capital- il a déjà commencé auparavant la vie sans péché. S'il réfléchit au don qui lui est fait, au moment de l'absolution, pour toute sa vie future, il comprendra qu'il est devenu cette bonne terre, que tout fardeau lui a été enlevé, que son âme est devenue pure et que c'est la paresse seule, sa tiédeur et peut ­être son attachement au péché qui de nouveau ont fait de lui un pécheur.

    Si l'on va jusqu'au bout de la réflexion sur la grâce de l'absolution, on voit clairement ce qu'on pourrait en faire. Il suffirait de contempler l'amour de Dieu, la grâce, les paroles du Seigneur pour avoir en soi tout ce qu'il faut pour répondre au Seigneur. Les soucis et les peines de chaque jour ne sont pas enlevés, mais bien le péché et la servitude qu'il entraîne. Délivré de la sorte, on pourrait chaque fois faire un pas décisif vers le Seigneur. Il ne faudrait pas se contenter de dire la prière de la pénitence et s'en tenir là, mais se livrer à nouveau au Seigneur avec une âme purifiée. Lui donner en ce moment de dégagement la chance d'agir en nous totalement. Des jours et des semaines après, lorsque la vie quotidienne nous aura de nouveau «désillusionnés», nous nous souviendrons peut-être de cet abandon, comme d'un moment de griserie, d'une attaque par surprise, et nous penserons ne pas avoir été dans un état «normal». Mais il se pourrait aussi que l'on considérât cet état de délivrance du péché comme l'état le plus normal, et la décision que nous avons prise dans la hâte du moment, comme la plus vraie, de sorte qu'elle devrait être le pôle vers lequel convergent tous les autres moments de notre vie. Si on l'admet réellement comme centre, il sera possible d'orienter toute sa vie d'après lui. Il suffirait de détruire l'image du «convenable» que nous avions jusqu'ici devant les yeux, sans la remplacer par une autre, et de persévérer dans le oui et dans l'offrande faite au Seigneur, en le priant de nous accepter tout entiers et de nous former. S'il faut, se reconfesser assez rapidement pour consolider cet état de pureté qui suit la confession. Se persuader qu'on peut être cette bonne terre dans laquelle la semence de Dieu tombe et germe. Une terre qui ne se complaît pas en elle-même, mais qui tout simplement est ouverte et disponible. C'est l'œuvre du sacrement et non de la «bonne volonté». Le semeur lui-même a préparé la terre qu'il pourra ensemencer avec succès.

    L'état qui suit la confession est aussi celui qui permet le mieux de gagner des indulgences: l'homme est purifié, intérieurement uni au Seigneur, et répond sans difficultés aux intentions et aux prescriptions de l'Église.

    Le péché, sa genèse et ses effets peuvent être l'objet d'une conversation mondaine; s'il s'agit d'un péché personnel, on a presque toujours tendance à l'embellir. On en parle peut-être pour se divertir, pour expliquer quelque chose ou se donner de l'importance, à l'occasion aussi, pour qu'une fois les choses soient dites. Plus ou moins consciemment, on attache de l'importance aux réactions de ses interlocuteurs : ce qu'on vient de raconter perd chez eux de son importance ou en gagne, ou bien on en parle pour avoir un point de comparaison: un tel porte tel jugement, tandis que moi j'en porte un autre. Cet entretien avec d'autres personnes peut aussi avoir lieu pour mettre fin à un dialogue intérieur entre soi et son propre péché, et dont on ne savait pas bien si c'était un monologue ou un dialogue.

    Dans la confession chrétienne, à cause de l'objectivité sacramentelle, tout ce qui porte à l'embellissement, à la comparaison, tout ce qui est avide de réactions est supprimé. Le pénitent peut préparer sa confession, savoir exactement comment il formulera son aveu, même avec quelle voix il le prononcera, à quel endroit il fera un arrêt significatif, il peut l'apprendre par cœur - et pourtant, au moment où il le prononcera, son aveu aura une résonance toute différente. Car à présent c'est le confesseur qui écoute et transmet à Dieu, en réponse à son exigence. On le fait entrer dans le cadre des commandements immuables, qui depuis longtemps font partie de la tradition et de la pratique de l'Église et donnent au péché son caractère objectif. Il se présente à nous comme le péché du premier couple humain dans le jardin, avec une clarté inéluctable, tel qu'il est, et non autre, rien ne peut l'embellir, il est impondérable pour l'homme, et incalculable dans ses effets ultimes. Cela crée de nouveaux rapports entre le pénitent et son confesseur, mais ceux-ci aussi sont inconcevables, car ils sont comme le reflet d'un rapport déterminé entre Dieu et le pécheur. Dans sa relation avec le confesseur, Dieu occupe exactement la place qu'il veut occuper et qui est marquée, une fois pour toutes, par la croix. Le pécheur occupe un point central qui se trouve en lui-même et pourtant n'est pas produit par lui seul, point central qui de son côté illumine bien des choses incalculables elles aussi. C'est un foyer vers lequel convergent les rayons de toutes ses situations et de tous ses actes du passé, ses motifs, les circonstances de sa vie; et cependant tous ces éléments psychologiques ne permettent pas de l'évaluer, parce que partout la grâce agit et transmue les valeurs de manière inconcevable. Ainsi est-il impossible au pécheur de savoir où il en est vraiment. La lumière de la grâce, qui dès le début a éclairé tout son passé et qu'il perçoit maintenant dans la confession, lui a enlevé des mains ses dernières normes. D'une part, tout son passé avec son poids écrasant apparaît dans cette lumière, mais là où il faudrait en tirer les conséquences, la lumière de la grâce elle-même surgit, qui veut absoudre, et qui pourtant au moment où l'on prépare l'aveu, peut prendre un aspect presque angoissant, parce qu'elle fait apparaître la confession comme une nécessité contraignante et inéluctable. Comme une exigence inexorable, parce que moi pécheur, je dois m'engager sur le chemin de la grâce. Je ne peux pas me perdre dans mon passé, qui ne subsiste plus que sous forme d'exigence: il faut s'en confesser.

    C'est dans cette exigence que le pécheur rencontre la vérité. Lui qui a vécu avec son passé, qui jusqu'ici croyait savoir qui il était, il a reçu un nouveau visage, un visage qui n'est pas nouveau pour lui seul, mais aussi pour son entourage qui n'est pas assuré de le reconnaître puisqu'il n'est pas sûr de pouvoir reprendre ses occupations et les conditions de sa vie passée: tout ce qui aurait dû constituer son avenir d'homme. Ce qui actuellement est à moi n'est certainement pas ce qui était une fois à moi. Que je ne me reconnaisse plus moi-même, je peux encore l'admettre, mais que les autres ne me reconnaissent plus, qu'ils doivent constater que jusqu'alors j'ai vécu au milieu d'eux avec un masque, sous lequel ils continueront à me chercher, parce qu'il fait partie de moi, alors que maintenant je pense leur montrer mon vrai visage, celui d'un chrétien sauvé, voilà ce qui, dans la confession, est le plus difficile. En raison de la libération de ma faute, je me trouve pris dans la confusion d'être un autre que celui qu'on croit. Et comment moi, pécheur, saurais-je vivre comme un enfant de la grâce ? Ah ! si seulement tout autour de moi devenait neuf ! Si je pouvais partir pour un pays étranger et vivre au milieu d'étrangers! Mais cette faveur ne m'est pas accordée. Là où j'étais, je dois rester. Seulement il me faut maintenant faire mienne la parole: « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi », parole qui m'a attendu depuis deux mille ans. Ma confession n'est-elle pas une imprudence monstrueuse? Désormais tout sera surprise. Mais cette surprise ne part pas de moi, elle jaillit de la parole du Seigneur que le prêtre prononce dans son ministère, surprise qui s'empare de moi, puis de toute l'Église confessante qui au début de la messe dit le Confiteor, et de moi et de l'Église se transmet au monde qui nous entoure et qui, incrédule, branle la tête ou peut-être tout doucement commence à croire.

La confession, Éd. Lethielleux, Collection Le Sycomore, 1981, p. 177-182
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