Se convertir, c'est trouver Dieu, dit-on encore. Dans la Bible, sûrement pas, car les prophètes prêchent la conversion à des hommes qui sont imbus de l'existence du divin au point de le voir partout, et ils la prêchent à Israël lui-même, qui pourtant vénère le vrai Dieu. Tu me diras que cette époque est terminée depuis longtemps dans nos pays industrialisés, car, de nos jours, le converti est l'homme qui découvre soudain l'existence d'un Dieu jusque là nié résolument, voire récusé farouchement. On trouve en effet des athées passionnés. Soit, te répondrai-je. Pourtant, la conversion s'adresse aussi aux croyants. Elle s'adresse aux chrétiens eux-mêmes.
Le croyant, en effet, même s’il est loyal, s’il prie, n’est pas encore entré dans la Révélation judéo-chrétienne. Il peut être déjà monothéiste et se trouver violemment surpris un jour par le Dieu de la Bible: on peut en effet n’admettre qu'un seul Dieu sans être chrétien, comme Mohammed (et même sans avoir de religion, comme Voltaire!). Ne te trompe pas, ami. Dans le texte sacré, Yahweh ne se contente pas d'exister comme un Objet, comme 1’Etre suprême de Rousseau: on le découvre comme un Amour en pleine action. «Je suis», cela veut dire: «Je suis là, et un peu là!». De plus, chez les prophètes, Dieu n’est pas un au sens arithmétique comme dans le Coran: il est unique non sous le rapport de la quantité mais sous le rapport de la qualité. Il n'y a u'un seul Adonaï parce qu'il n'y a qu'un seul Epoux pour son peuple, un seul Amour qui a fait ses preuves. En d'autres termes, le monothéisme juif est monogame: il affirme le caractère absolument unique d'une Tendresse toujours en exercice. Yahweh ne craint pas les idoles comme des divinités concurrentes: il craint l'erreur au sujet de la relation. Que l'on soit polythéiste ou monothéiste, on peut se tromper tout autant sur les intentions de Dieu: la vraie foi c’est de comprendre que Dieu a un cœur et qu’il s’en sert pour faire alliance avec nous. Le converti, c'est l'homme qui fait cette découverte, même s'il est déjà croyant. Il pourra garder de la reconnaissance pour la religion dont il vient, mais il sera quand même ébahi par la nouveauté chrétienne. Il ne dira pas, comme les gens superficiels, que c'est tout pareil. En d'autres termes, la conversion n'est pas seulement le passage de l'incroyance à la croyance: c'est la découverte de Dieu tel qu'il se montre et se donne. On dit souvent: le vrai Dieu, pour l'opposer aux faux dieux, mais, en réalité, ce qui doit être vrai, ce n'est pas Dieu, c'est la connaissance que nous en avons. Quand il prie, le païen de bonne foi atteint certainement Dieu lui-même, Dieu en personne, mais la connaissance qu'il en a est inexacte. Le but de l'évangélisation, c'est de partager aux hommes la révélation que Dieu fait de lui-même en Jésus, car il lui plaît d'être ainsi connu et aimé: après le mal qu'il s'est donné pour nous dévoiler son Amour, ne va pas dire que c'est un détail inutile et même gênant. Ne va pas reprocher à Dieu de s'être montré anti-œcuménique en se révélant à son peuple! N'ajoute pas que, d'ailleurs, cette révélation ne change rien du tout: ce serait monstrueux.
Tu vois ainsi que la conversion se propose au chrétien lui-même, au chrétien que tu es et qui, par ignorance, par paresse ou par gentillesse, croit bon de tout mélanger. Si 81 % des Français se disent catholiques, 26% seulement croient en un Dieu personnel; le plus grand nombre admet un esprit cosmique, ou quelque chose d'approchant, et il y a beaucoup de jeunes dans cette fourchette; d'autres avouent qu'ils ne savent pas bien en qui ils croient, sans pourtant nier qu'il y ait un Etre supérieur. On n'a donc jamais fini de convertir l'idée qu'on se fait de Dieu. Le seuil à franchir, c'est de passer du divin requis (wanted), du portrait-robot, au Quelqu’un rencontré. Et, même si l'on récite le Credo avec conviction, si1'on croit à la Trinité, si l'on ne conteste aucunement les données de la foi catholique, il y a encore place pour ces moments de lumière où la théorie descend soudain dans le cœur et devient chaleureuse. De même, on peut admettre sans broncher les exigences de la morale chrétienne et les pratiquer de son mieux, sans pour autant s’en trouver réjoui. Je le dis souvent: on peut faire le bien sans amour, ou aimer sans folie. On peut aussi faire le mal à l'occasion. Autant d'invitations à se convertir.
Pour vous, les jeunes, qui avez tendance à pratiquer la double appartenance, ou à recourir à des religions d'appoint pour «boucher les trous», la conversion doit être franche. Vous devez apercevoir ce qui est franchement incompatible avec la foi évangélique (la réincarnation par exemple). Vous devez choisir la prière chrétienne, et pas n'importe quel état d'âme vague à souhait. Ce n'est pas de l'intolérance envers les autres: c'est de la cohérence avec vous-mêmes. Vous devez renoncer à toutes les formes de superstition qui envahissent l’opinion et qui contredisent singulièrement la prétention qu'a l'homme moderne d'être rationnel et raisonnable. Il existe, certes, des athées, mais le néo-paganisme me semble nettement plus dangereux. Il se fait pressant et envahissant quand arrive le malheur. Le contemporain le plus sensé court alors dans toutes les directions, lance ses appels aux quatre vents et se saisit de tout ce qui lui tombe sous la main. Recherchant les causes de ce qui lui arrive de pernicieux, il en devient animiste et flaire partout des mauvais esprits à l'œuvre. A moins que, dans l'enquête policière qu'il mène rondement, il ne se tourne un jour avec colère vers un Jupiter responsable en direction duquel il lève un poing vengeur. Mais quelle ressemblance peut-il y avoir entre ce Despote barbu que l'on exhume pour l'occasion, et le Dieu des Béatitudes, qui ne nous a certes pas fait des promesses mirifiques pour la durée de notre vie Terrestre? Comment pourrions-nous, sans un ridicule achevé, nous insurger contre un Dieu sacrifié qui a porté le mal dans sa chair? N'y a-t-il pas maldonne? A moins de lui reprocher sa faiblesse même comme une indignité!