Et elle conteste l'une de nos attitudes fréquentes, qui se veut prière, mais qui réduit Dieu au silence pour laisser nos paroles s'épancher. Ainsi, la prière chrétienne est avant tout écoute: elle n'est pas tant l'expression du désir humain d'auto-transcendance, mais plutôt l'accueil d'une présence, la relation avec un Autre, qui nous précède et nous fonde.
Pour la Bible, Dieu n'est pas défini en termes abstraits d'essence, mais en termes relationnels et dialogiques: il est avant tout celui qui parle, et ces paroles originelles de Dieu font du croyant un appelé à écouter. Le récit de la rencontre de Dieu avec Moïse au buisson ardent (cf. Exode 3,1-14) est emblématique: Moïse s'approche pour voir l'étrange spectacle du buisson qui brûle sans se consumer, mais Dieu voit qu'il s'était approché pour voir et l'appelle depuis le buisson, interrompant son approche. Le domaine de la vision est celui de l'initiative humaine qui pousse l'homme à réduire la distance d'avec Dieu, c'est le domaine du protagonisme humain, c'est une escalade de l'homme vers Dieu; en revanche, le Dieu qui se révèle fait entrer Moïse dans la dimension de l'écoute et maintient entre Dieu et l'homme une distance qui ne doit pas être franchie afin qu'il puisse y avoir relation: «N'approche pas d'ici!» (Exode 3,5). Et ce qui était un spectacle étrange devient pour Moïse une présence familière: «Je suis le Dieu de ton père» (Exode 3,6). A Prométhée, qui gravit l'Olympe pour dérober le feu, s'oppose Moïse, qui s'arrête devant le feu divin et écoute la Parole.
À partir de cette écoute originelle et génératrice, la vie et la prière de Moïse seront deux aspects inséparables de l'unique responsabilité de réaliser la parole écoutée.
Dans l'écoute, Dieu se révèle à nous comme une présence antécédente à tout effort de notre part pour la comprendre et la saisir. Ainsi, le vrai orant est celui qui écoute. Pour cette raison, «l'écoute vaut mieux que le sacrifice» (1 Samuel 15,22), c'est-à-dire qu'elle vaut mieux que tout autre rapport entre Dieu et l'homme, qui reposerait sur le fragile fondement de l'initiative humaine. Si la prière est un dialogue qui exprime la relation entre Dieu et l'homme, l'écoute est ce qui introduit l'homme dans la relation, dans l'alliance, dans l'appartenance réciproque: «Écoutez ma voix, alors je serai votre Dieu et vous serez mon peuple» (Jérémie 7,23). Nous comprenons alors pourquoi toute l’Écriture est traversée par le commandement de l'écoute: c'est grâce à l'écoute que nous entrons dans la vie de Dieu, mieux, que nous permettons à Dieu d'entrer dans notre vie. Le grand commandement du Shema' Israël (Deutéronome 6,4-13), dont Jésus confirme qu'il est central dans les Écritures (Marc 12,28-30), dévoile que de l'écoute («Écoute, Israël») naît la connaissance de Dieu («le Seigneur est un») et de la connaissance, l'amour («tu aimeras le Seigneur»). L'écoute est donc une matrice génératrice, c'est la source de la prière et de la vie en relation avec le Seigneur, c'est le moment auroral de la foi (fides ex auditu: Romains 10,17), et donc aussi de l'amour et de l'espérance.
L'écoute est génératrice: nous naissons de l'écoute. C'est l'écoute qui introduit dans la relation de filiation avec le Père; et ce n'est pas un hasard si le Nouveau Testament indique que c'est Jésus, le Fils, Parole faite chair, qui doit être écouté: «Écoutez-le!» dit la voix de la nuée, sur le mont de la Transfiguration (Marc 9,7). En écoutant le Fils, nous entrons dans la relation avec Dieu et nous pouvons nous adresser à lui dans la foi en disant: «Abba» (Romains 8,15; Galates 4,6), «Notre Père» (Matthieu 6,9). En écoutant le Fils, nous somme engendrés comme fils. Par l'écoute, la Parole efficace et l'Esprit recréateur de Dieu pénètrent dans le croyant et deviennent en lui principe de transfiguration, de conformation au Christ.
Voilà pourquoi il est essentiel pour le croyant d'avoir «un cœur qui écoute» (1 Rois 3,9). C'est le cœur qui écoute à travers l'oreille! Car selon la Bible, l'oreille n'est pas simplement l'organe de l'audition, mais le siège de la connaissance, de l'intellect; elle se trouve donc en rapport étroit avec le cœur, le centre unifiant qui embrasse la sphère affective, rationnelle et volitive de la personne. Écouter signifie pour cette raison posséder «sagesse et intelligence» (1 Rois 3,12), discernement («Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Églises», Apocalypse 2,7).
Si l'écoute est si centrale dans la vie de foi, elle nécessite alors vigilance: il faut faire attention à ce que l'on écoute (Marc 4,24), à qui l'on écoute (Jérémie 23,16; Matthieu 24,4-6.23; 2 Timothée 4,3-4), à comment on écoute (Luc 8,18). C'est-à-dire qu'il faut donner une primauté à la Parole sur les paroles, à la Parole de Dieu sur les multiples paroles humaines, et qu'il faut écouter avec un «cœur bon et généreux» (Luc 8,15). Comment écouter la Parole? L'explication de la parabole du semeur (Marc 4,13-20; Luc 8,11-15) nous l'indique. Il faut savoir intérioriser, sinon la Parole reste inefficace et ne produit pas le fruit de la foi (Marc 4,15; Luc 8,12); il faut donner du temps à l'écoute, il faut persévérer en elle, sinon la Parole reste inefficace et ne produit pas le fruit de la solidité, de la fermeté et de la profondeur de la foi personnelle (Marc 4,16-17; Luc 8,13); il faut lutter contre les tentations, contre les autres «paroles» et les «messages» séduisants de la mondanité, sinon la Parole se fait étouffer, elle reste stérile et ne parvient pas à porter le fruit de la maturité de la foi du croyant (Marc 4,18-19; Luc 8,14). Et sans cette écoute, il n'y aura pas non plus de prière!