Jésus a changé la face du monde, il continue de changer profondément des vies, des institutions, des situations. Il inspire, de manière sans cesse renouvelée, l'amour, la compréhension et le service des pauvres: "mes maîtres", disait saint Vincent de Paul, que le calendrier de la Révolution française honorait. En notre siècle, ce sont Mère Teresa de Calcutta, soeur Emmanuelle du Caire, et tant de soeurs de charité anonymes, portant l'habit ou non, c'est l'abbé Joseph Wrezinski, fondateur d'ADT Quart Monde, proposé pour le prix Nobel, pour avoir dévoilé et promu tout un nouveau secteur de pauvreté, ou l'abbé Pierre, numéro un des sondages de popularité, et des légions de religieux, moins connus et non moindres. Pour ceux-là et bien d'autres: savants, théologiens, penseurs, missionnaires ou même hommes politiques, comme Robert Schuman, dont la cause de béatification est en cours, Jésus est la Lumière, infiniment polyvalente, l'inspiration suprême, l'avenir sur la terre et au-delà.
Tous ces témoins disent, à la suite de Paul: "Pour moi, vivre, c'est le Christ" (Ph 1, 21).
Ils y trouvent joie et centuple, malgré l'exigence austère du don de soi, et de fréquentes "persécutions" (Mc 10, 30). Une femme du monde, longtemps brillante et superficielle, consacre désormais toute son activité, internationale et modeste, à répandre "la vraie vie en Dieu", que le Christ lui a fait découvrir de l'intérieur, malgré des persécutions inouïes. C'est un cas parmi des milliers. Depuis 2 000 ans, le Christ reste la figure majeure de l'humanité: celle qui fait couler le plus d'encre, et les Évangiles demeurent le best-seller numéro un depuis l'invention de l'imprimerie.
C'est surprenant, car Jésus n'est qu'un charpentier de village, issu d'une province particulièrement méprisée. Il a exercé son métier sans éclat, jusqu'à 30 ans passés, et ne s'est déclaré prophète que durant les deux dernières années de sa vie. Il n'a rien écrit, et sa carrière fut un échec retentissant: elle aboutit à la mort la plus honteuse et la plus horrible qui soit, la Croix, sans même qu'il appelât à la révolte. Il a même fait rentrer au fourreau l'épée d'un de ses disciples (Mt 26, 52). Il n'a pas voulu triompher, ni connaître la gloire humaine. Ce contraste épaissit son mystère.
Iconoclasme
Il est donc affligeant, non seulement pour des chrétiens, mais pour tout esprit sérieux, que cette existence d'une rare plénitude soit systématiquement caricaturée, désintégrée, réduite à rien, par de puissants mécanismes de rejet, si efficaces que la moitié des Français doutent de sa réalité, selon les sondages, devenus la nouvelle norme de la médiocrité ambiante. Jésus ne serait peut-être qu'un rêve, un produit culturel issu de la subjectivité.
D'où vient le succès des détracteurs ?
Si Jésus ne mérite que cette condescendance et ces constats de nullité, pourquoi donc les fossoyeurs et les caricaturistes du Christ font-ils des best-sellers?
Cela tient-il à des actions occultes? En partie, sans doute. Mais le fond du problème, c'est que Jésus Christ appartient aux racines humaines et divines de l'humanité: "Lui par qui tout a été fait" (Jn 1, 3). Même ceux qui ne savent rien de lui en gardent une nostalgie secrète. Et parfois copient sa Sainte Face, comme firent à grande échelle les hippies. Comme tout homme, ils attendent obscurément un Sauveur. Ils pressentent que c'est lui, ils en ont une nostalgie secrète, et Jésus se vend bien. Les médias le savent et recourent à ce pactole permanent.
Mais l'autre cause du succès des iconoclastes est plus subtile. Jésus attire, mais il irrite aussi, il fait peur. Car si c'était vrai, ça changerait la vie. L'Amour avec un grand A fait peur. On préfère exorciser cette inquiétude, en réduisant le Christ à la portion congrue: à une image. Cela soulage les consciences. Le profit est d'autant plus assuré que le livre paraît nouveau, inédit, et prétend livrer "enfin" la réalité sur Jésus: une vérité floue et sans conséquence, qui se prévaut de la science, de la psychanalyse, de l'ésotérisme.
De là, tant de livres dont les auteurs (souvent ex-prêtres ou chrétiens plus ou moins apostats) exorcisent la nostalgie du paradis perdu et de leur ferveur passée, réduite à une illusion de jeunesse. Ils justifient plus largement l'apostasie passive et tranquille de notre temps. Plusieurs de ces ouvrages sont des auto-psychanalyses d'un idéal rejeté, qui réduit Jésus à un produit stérile, médiocre ou pervers.