"LE TROISIÈME JOUR", qui achève cette semaine bienheureuse (Jn 2, 1), les voici à Cana de Galilée. Ces bons marcheurs n'ont mis que trois jours pour plus de 100 km. C'est là que va surgir le premier événement de la vie de Jésus.
"Le troisième jour", donc, les six arrivent à Cana de Galilée:
Invitation et frutration
Marie n'était pas seule de la fête. Les "frères" de Jésus (ses cousins...) avaient été invités, eux aussi, par les amis de Cana (Jn 2, 12): sans doute "Jacques et Joset, Simon et Jude" (Mt 13, 55; Mc 6), les deux premiers étant les fils d'une autre Marie, peut-être parente de Joseph, qui suivra Jésus dans son ministère en Galilée (Mc 15, 40), et "toutes ses soeurs" (Mt 13, 55). Il était donc bien naturel d'inviter aussi Jésus, qui arrivait de chez le prophète Baptiste. Mais comment a-t-on invité ses compagnons de fraîche date? Sans doute dans l'ambiance d'une hospitalité campagnarde au coeur large. D'ailleurs, l'un d'eux, Nathanaël, était "de Cana en Galilée" (Jn 21, 2), et Philippe était de ses amis. Il était difficile de détailler. Tout le groupe est donc invité, et la fête bat son plein.
Les noces sont l'heure de la générosité. Ces gens ont beaucoup économisé pour de beau jour. C'est l'heure du partage. Les maîtres de maison ne lésinent pas. Mais l'arrivée des six jeunes gaillards, à qui trois jours de marche ont creusé l'appétit et la soif, accélère le tarissement des provisions.
En bonne ménagère, Mare s'en aperçoit la première. Elle est assise près de Jésus, qu'elle est si heureuse de retrouver! Elle a compassion des hôtes qui vont perdre la face devant leurs invités frustrés. Nul n'est plus doué qu'elle pour la compassion:
- Ils n'ont plus de vin:
Jésus répond:
- Qu'y a-t-il de toi à moi, femme?
Mon heure n'est pas encore venue (Jn 2, 2-4).
Rien d'idyllique dans la réponse de Jésus. Elle n'est pas simplement interrogative, elle est triplement négative.
- La locution sémitique qui se traduit littéralement: "Quoi à toi et à moi?" fréquente dans la Bible, écarte une demande importune; c'est la formule que les démons emploieront, par la bouche des possédés, pour sommer Jésus de s'éloigner! (Mc 1, 24).
- La deuxième partie de la réponse de Jésus est encore plus formellement négative. "L'heure de Jésus", c'est sa mort: heure glorieuse selon le quatrième Évangile, car c'est l'heure du don total. Jésus entrevoit déjà cette heure. Il a peu de temps pour réaliser sa mission. Or l'éclat des miracles va durcir l'opposition et hâter la fin. Il ne veut pas devancer le temps: "L'heure n'est pas encore venue."
- Enfin Jésus dit à Marie: "femme". De la part d'un fils à sa mère, l'appellation est insolite. C'est "Mère" qu'il aurait dû dire, normalement, selon la coutume (1 Rois 2, 20 et Jr 15, 10). Cela convenait d'autant mieux ici, que le 4e Évangile ne désigne jamais Marie par son nom, mais toujours formellement comme "la Mère de Jésus". Elle est avec le disciple , un des deux grands anonymes de l'Évangile selon Jean. L'appellation, apparemment distante, semble référer Marie à Ève: "la femme" de la faute originelle, et à la prophétie de Gn 3, 15 adressée au Tentateur: "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme... " non point Ève sa complice, mais la nouvelle Ève: Marie, à qui on doit la "Descendance" (dynastque) ennemie du serpent.
Bref, d'un bout à l'autre, la réponse de Jésus sonne comme une prise de distance et un refus.
Et pourtant, guidée par l'Esprit, Marie comprend que sa suggestion n'a pas été vaine. À notre étonnement, elle fait confiance à son Fils qui l'a repoussée. Mais n'a-t-il pas sa part de responsabilité dans la confusion de ces pauvres gens, dont le coeur accueillant avait été plus large que les moyens réunis pour la fête? Marie voit les tonneaux vides et les gens déçus devant la pénurie soudaine. Elle voit aussi les cuves qui sont là, non pour la fête, mais "pour la purification légale des Juifs".
Elle voit aussi les serviteurs, inquiets et désemparés devant la pénurie. Elle leur montre Jésus, pensif:
C'est ce qu'elle ne cesse de dire aux hommes jusqu'à ce jour.