Lors d'une nuit comme celle-ci - la nuit de Noël - nous risquons de vivre un déséquilibre, une disproportion entre sentiments et paroles, entre ce que nous portons à l'intérieur et le peu que nous parvenons à exprimer, entre tout ce qui nous voudrions dire et ressentir pour nous rapprocher de la grandeur du mystère et ce que nous disons en réalité, ce que nous vivons vraiment.
Cette disproportion devient même source d'embarras ou de gêne, comme l'indiquent nos formules de souhait et la façon dont nous échangeons les cadeaux. Nous multiplions les adjectifs pour essayer d'exprimer des sentiments que nous n'arrivons pas tout à fait à éprouver; nous parlons de voeux sincères, cordiaux, très cordiaux, fervents, très fervents; les superlatifs trahissent la précarité des émotions, la distance qui sépare les paroles des sentiments qu'on voudrait réellement communiquer. Nous formulons de très beaux voeux de santé, de paix, de bonheur, mais il n'est pas rare que la langue trahisse la conscience que nous avons de la nature éphémère de ces belles paroles.
En somme, nous avons l'impression embarrassante de donner dans un formalisme verbeux. Et nous nous demandons d'où vient cette tension, typique des grandes célébrations, entre le besoin anxieux de formuler des voeux et d'exprimer des sentiments puissants, et, à l'inverse, la retenue, voire la peur qui nous pousse à douter de la sincérité ou même de la courtoisie de ces formules.
Certains se sont résignés et voient dans l'échange des cadeaux quelque chose de purement rituel, ou alors un désir nostalgique de retour à l'enfance, une façon de retrouver l'innocence perdue, la simplicité ancienne de l'âge où quelqus marrons grillés, un panier de mandarines et les personnages de la crèche suffisaient à provoquer notre ravissement.
Aujourd'hui, même si nous sommes un peu différents, nous voulons encore échanger des voeux et des cadeaux; mais nous sentons que le coeur ne suit pas et que les mots ne sonnent pas juste. Comme adultes nous nous sentons un peu perdus, peut-être même un peu frustrés, et nous avons peur de contaminer nos enfants en les exposant à cette surconsommation de mots et de sentiments. Et si nous essayons de les aider à vivre Noël, nous le faisons gauchement, en les comblant de tant de cadeaux qu'ils n'arrivent même plus à y prendre plaisir.
Et pourtant, malgré tout, nous ne nous résignons par complètement à cette dévaluation des sentiments, nous comprenons qu'il faudrait retrouver la joie de quelque chose qui soit vrai, simple, authentique. C'est probablement aussi pour cela que nous sommes venus à l'église, avec une lueur d'espoir cachée, peut-être, sous la cendre de la fatigue et de la désillusion; nous voudrions qu'il se passe quelque chose, que le mystère se révèle à nous, nous voudrions retrouver l'innocence et la simplicité de l'enfance.