Pour ceux que cela intéresse et qui veulent travailler un peu la question, regardons rapidement les différents "commencements".
Le "commencement" de la Genèse (...): "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." (Gn 1, 1) Je note cet autre "commencement", un très beau passage du Livre des Proverbes, où il est dit (c'est la Sagesse qui parle):
avant ses oeuvres les plus anciennes.
Dès l'éternité je fus fondée,
dès le commencement, avant l'origine de la terre.
Quand l'abîme n'était pas, je fus enfantée,
quand n'étaient pas les sources jaillissantes.
Avant que fussent implantées les montagnes,
avant les collines, je fus enfantée..." (Pr 8, 22-25)
La liturgie applique ce texte à Marie. C'est étonnant! Nous n'aurions pas découvert cela par nous-mêmes, mais la liturgie, c'est l'Église, et c'est l'Église en tant qu'elle est l'Épouse du Christ, donc en tant qu'elle est mue par l'Esprit Saint. Elle découvre que celle qui est là, au point de départ, c'est Marie, chef-d'oeuvre de Dieu, celle qui est avant toute autre créature. Avant tout le reste, Marie a été "pensée" par Dieu. Le secret profond de toute la création, c'est Marie, et le secret du coeur de Jésus, c'est Marie. Elle est au coeur de toute l'économie divine. Pour le comprendre, nous devons souvent relire ce texte du Livre des Proverbes.
Puis, il y a l'autre "commencement", au début de l'Évangile de saint Jean (Jn 1, 1), celui que nous voyons maintenant; il y en a un autre dans la Première Épître de saint Jean (1 Jn 1, 1), et enfin il y a la vision de l'Apocalypse (...°, et qui est le commencement à partir de la Croix (Ap 19, 11-16).
Le premier, celui du Prologue de l'Évangile de Jean, c'est la naissance du Verbe, une naissance éternelle. Le Verbe se manifeste à nous à la Croix, et il devient pour nous source de vie, il est le "Verbe de vie, car la vie s'est manifestée" (1 Jn 1, 1-2), elle s'est manifestée par la mort. C'est par la mort que la vie s'est manifestée à la Croix, et à la Croix Marie est née. C'est la naissance de Marie, la naissance de la nouvelle Ève (comme l'ont très vite vu les Pères de l'Église) de la Femme qui est née à partir de la blessure du coeur de l'Agneau, dans la grande extase d'amour du Christ crucifié. C'est à la Croix que Marie est née, et elle est la créature par excellence, le fruit par excellence de la Croix, le "premier-né" du Fils. Il y a le premier-né du Père, et il y a le premier-né du Fils; et le premier-né du Fils, c'est-à-ire du "Verbe de vie", c'est Marie. Et puisqu'en Marie tout est repris, le "commencement" de la Croix reprend celui de la création.
Une théologie de l'économie divine, c'est-à-dire une théologie de la pédagogie de Dieu, doit être très attentive à ces différents "commencements". L'un est éternel (Prologue); l'autre, c'est la reprise de tout à partir de la blessure du coeur de l'Agneau, qui ne détruit en rien l'oeuvre de la création mais la reprend totalement. C'est pourquoi, dans la lumière de la Croix, nous voyons le mystère de la création (Genèse).
Qu'il y ait trois "commencements", c'est normal, car tout est trinitaire dans l'Écriture, et c'est toujours le mystère de la Très Sainte Trinité qui donne la dernière lumière sur tout. Tant que nous n'avons pas atteint le mystère de la Très Sainte Trinité, nous n'avons pas vraiment un regard théologique. C'est cela qui est le grand critère. Selon les Pères de l'Église et selon saint Thomas, tant que nous n'avons pas un regard trinitaire, nous n'avons pas non plus un regard théologique. Aujourd'hui on fait de la théologie de tout, on ne fait pas seulement la théologie du travail, on fait la théologie de la détente, du repos, la théologie des loisirs, bref la théologie de tout, et de ce fait, on ne sait plus ce qu'est la théologie. La théologie est le regard trinitaire sur toute chose. Nous entrons dans le regard de la Très Sainte Trinité, c'est notre privilège. Le privilège du chrétien, c'est de pouvoir regarder toute chose dans la lumière de la Très Sainte Trinité, c'est-à-dire dans la lumière du Verbe de Dieu, puisque la théologie est l'anticipation de la vision béatifique. Nous savons qu'un jour nous verrons tout en Dieu, et que notre intelligence sera illuminée par le Verbe de Dieu lui-même. C'est cela, la vision béatifique. Et par notre foi, qui est essentiellement contemplative parce que toute tendue vers la vison béatifique, nous pouvons anticiper ce regard. Nous l'anticipons dans la prière, dans notre désir de contemplation; et grâce à la théologie, nous pouvons expliciter ce regard contemplatif. N'est-ce pas là la signification ultime de la théologie? Quand elle ne va pas jusque là, il y a quelque chose qui lui manque. Et si elle vient à oublier cela, elle fera de la partie le tout, et risquera alors de s'enfermer sur elle-même et de perdre la luminosité.