Après avoir vu les caractéristiques et spécificités de la prédication de Jean, voyons-en maintenant le contenu. Quel est le message qu'il porte? Que dit-il exactement?
Tout d'abord le contenu éthique et moral. Comment accueillir Celui qui vient? Que faut-il faire pour s'y ouvrir et l'accueillir?
1. Se convertir rapidement
C'est-à-dire changer de drection, faire volte-face, opérer un retournement à 180 degrés. Regarder non plus le passé, mais l'avenir. Car le Royaume vient:
S'inscrivant dans le sillage de Jean, Jésus reprendra texto cette phrase-clé.
2. Se repentir profondément
Se convertir implique le repentir. Pour le provoquer, Jean dévoile le péché: et du peuple, et des personnes:
Là aussi, Jésus reprendra en écho après lui:
Ce sera encore le message de Pierre au matin de la Pentecôte. Le message des apôtres de la Miséricorde au long des âges, tant que le virus du péché continuera d'infecter le sang coulant dans les veines de l'humanité. Virus hélas génétiquement transmissible!
Avant la grande liturgie de la Parole du Verbe, avant l'Eucharistie de sa Pâque, Jean provoque le Confiteor qui ouvre chaque messe dans le rite latin. Il entonne les innombrables Kyrie eleison - Gospodi pomilouy àra' bock' hum! - qui ponctuent toute Divine liturgie orientale. (Dans le beau rite byzantin, avant de donner le Corps et le Sang du Seigneur, le prêtre sort de l'iconostase, s'incline devant son peuple et, humblement, mendie son pardon: "Frères, pardonnez au pécheur que je suis!") Il provoque le chant Agneau de Dieu qui précède et prépare chaque communion. (Balisant les ultimes années du siècle dernier, les innombrables demandes de pardon de notre Précurseur de Jean Paul II n'étaient qu'en vue de préparer la jubilation eucharistique du grand Jubilé.)
3. Désamorcer la colère
Ainsi pourra-t-on éviter cette colère qui est le reflet foudroyant de l'Amour et de la Sainteté de Dieu, incompatibles avec le mal. Elle évoque la colère de l'Agneau (cf. Ap 6, 16). elle évoque encore Jean (3, 36):
C'est la colère de Jésus à l'encontre des invités qui se dérobent (cf. Mc 3, 5), à l'encontre des marchands qui souillent la Maison de son Père. C'est l'expression se l'immense souffrance du Coeur brisé de Jésus devant l'endurcissement de ceux qui refusent sa Miséricorde.
4. Recevoir le pardon sincèrement
Au matin de la Pentecôte, Pierre ajoutera: "Et que chacun reçoive le pardon de ses péchés!"
Jean est en vérité l'apôtre du pardon. Te souviens-tu que son père, Zacharie, avait prophétisé au jour béni de sa naissance:
Le préparer comment? "Par la rémission de ses péchés". Jean ne dévoile la misère que pour offrir la Miséricorde. Il ne diagnostique le virus que pour offrir le vaccin.
Dès le premier verset de sa charte de vie, il y avait cette consigne:
Et quelle est très précisément cette consolation?
Et le pardon va être donné précisément par le baptême où les péchés sont effacés. Jean est serviteur des miséricordes du Père.
5. Se réconcilier authentiquement
Le pardon reçu est conditionné par le pardon donné. Refuser le pardon aux autres, c'est stériliser celui qu'on reçoit de Dieu.
Jean incite donc à la réconciliation avec Dieu, mais aussi à la réconciliation entre les humains. N'était-ce pas le message donné par l'Ange à Zacharie? Comme Élie ramenait les coeurs des enfants vers leurs pères, et donc aussi des pères vers leurs enfants, ainsi fera son enfant: réconcilier les familles, les générations. Au-delà: réconcilier les peuples et les nations.
Quelle actualité, en ce début de millénaire où tant de familles sont disloquées, tant de coeurs divisés, tant de pays déchirés, tant de peuples en guerre: tribales, nationales, continentales. Des tensions, dissensions, séparations, factions, déchirures, il y en a trop! Nous n'en pouvons plus! Vivement, urgemment les réconciliateurs à la Jean-Baptiste! (Au Rwanda, après l'atroce génocide - 800 000 vicitmes en quelques semaines -, des petites équipes de tout-jeunes sillonnent le pays, exhortant à la réconciliation. Après la suppliante exhortation d'un adolescent illettré, un passant vient lui remettre la grenade avec laquelle il allait se venger du meurtre de sa famille. En vérité, ce sont des petits Jean-Baptiste!)
6. Être vrai humblement
Avec Dieu. Avec les autres. Avec soi-même. Signer sa parole par des actes. Savoir s'engager. Ne pas tricher. Ne pas biaiser. Ne pas se leurrer. Ne pas s'illusionner. Ne se jouer ni de Dieu, ni d'autrui, ni de soi-même.
Être vrai avec soi-même signifie avoir un coeur de pauvre qui attend tout de la gratuité de Dieu.
On sent chez Jean une espèce d'opposition violente contre tout ce qui est hypocrite, double, faux. Comme Jésus, il ne supporte pas l'orgueil. Ces montagnes qui barrent la route à Dieu, il faut les niveler. Ces murs qui séparent du Royaume, il faut les abattre. Car ce Dieu qui vient, il est humble, pauvre, petit. Jean réalise à la perfection cette consigne de sa charte:
Et encore en finale de cette même charte:
7. Se recevoir gratuitement
C'est assez de dire la gratuité totale de Dieu: Dieu seul peut faire de vous ses enfants. Ce n'est pas une question de biologie, de gènes ou de chromosomes. Si le virus du péché des origines est génétiquement transmissible, la sainteté pas plus que l'immortalité ne le sont.
Il faut une sacrée audace pour oser dire cela. C'est aller à contre-courant de toute la mentalité ambiante! Prendre le contrepied de la notion de race élue. Autrement dit: ce n'est pas parce que vous êtes biologiquement fils d'Abraham que vous êtes pour autant enfants de Dieu! Ici, Jésus confirmera encore son Précurseur (cf. Jn 8, 32-55).
8. Porter du fruit concrètement
Il s'agit donc de porter du fruit, de dignes fruits de pénitence:
Encore là, un élément de la prédication de Jean qui sera repris par Jésus:
Ou bien, dans son ultime testament, à la dernière Cène, Jésus parlera du fruit de la vigne, vigne à émonder en vue d'un fruit qui demeure.
9. Partager efficacement
Partager: et le vêtement, et la nourriture. Bref, tout ce qui est de première nécessité. Ici encore, c'est ce que Jésus proposera à Zachée.
Tu as deux voitures? Deux maisons? Donne à celui qui n'en a meme pas une! Ton PNB dépasse les stricts besoins de ton peuple? Donne aux peuples de la souriante pauvreté, où les bambins crèvent de faim comme des chiens! Tu fais gueuleton sur gueuleton? Donne au SDF croupissant dans ta station de métro! Ta congrégation n'a plus besoin de son couvent? Donne à la nouvelle communauté qui s'en cherche un! Tu disposes de temps libre? Prête à autrui les talents que Dieu t'a confiés!
Ce que tu as en trop ne t'appartient pas, mais appartient de droit à celui qui en est dépourvu. Sinon tu es en état d'usurpation...
Jean Chrysostome et tant de Pères de l'Église feront leur ces invectives de Jean à l'adresse des nantis. Se situe dans le sillage de Jean: un Jean Paul II objurguant - dans la perspective du Jubilé - les nations riches à remettre la criminelle et écrasante dette des pays pauvres.
Ce joyeux partage, c'est ce que vivront les premières communautés de Jérusalem (cf. Ac 2, 4). N'était-ce pas déjà le livre de la Consolation qui disait:
Alors seulement:
Mais pour cela, il faut que "tu te prives pour l'affamé, que tu rassasies l'opprimé".
Jean présente ce partage comme un devoir de justice: se contenter du strict minimum pour pouvoir donner à autrui!
10. Être humble et doux respectueusement
Jean fait appel à la non-violence: évitez toute exaction, toute extorsion, toute pression! Ne brutalisez, ne molestez personne, jamais! Sous aucun prétexte! N'ayez jamais recours à la torture, jamais! À aucun prix!
Saisissant contraste avec une époque saturée de violences, de massacres, de bains de sang. Et que dire de la nôtre? Suite non-stop de guerres et de génocides!
C'est déjà en négatif la béatitude des doux. La suprême violence: celle de la douceur!
11. Demeurer dans le monde honnêtement
Ce conseil de rester dans le monde est d'autant plus saisissant qu'il est en contradiction avec l'attitude des Esséniens. En effet, pour ces "enfants de la lumière", le monde était condamné, damné. Il fallait s'en sortir au plus vite. Seuls les séparés, retirés au désert, seraient sauvés.
Jean, lui, ne condamne, n'excommunie personne, ne condamne aucun métier. Au contraire, il veut à tout prix sauver chacun et tous.
Loin de se désintéresser du sort final des "pauvres hères restés dans le monde", il veut que tous aillent au Ciel. Quelle que soit sa situation économique, sa position politique, sa profession, il veut que chacun rencontre son Sauveur. De quoi scandaliser les Esséniens! En même temps, ils devaient bien le respecter puisque - comme eux et même davantage - il pratique une austère ascèse, habite le désert, s'est dépouillé et s'est emparé de tout.
Mais voilà l'abîme qui les sépare: Jean n'est séparé de tous que pour être uni à tous. (C'est tout le thème aux mille harmoniques de mon troisième florilège: Les feux du désert (iii), Présence, Magermans B-5500 Andenne). Il ne vit la pénitence que pour ouvrir chacun à l'espérance...
12. Surtout: espérer ardemment
Enfin le point d'orgue de cet ensemble, c'est l'éspérance. C'est le coeur du message de Jean.
Jean apparaît par excellence comme le témoin de l'espérance. Pendant ses longues années au désert, il n'a vécu que d'espérance, on l'a vu. Mais voici qu'au bord du Jourdain, il transmet au peuple cette même espérance:
L'espérance engendre la pauvreté: la pauvreté du coeur. Celui qui ne vit que d'espérance a une âme de pauvre, toute ouverte, tout accueil à ce qui vient, à Celui qui vient. Il attend tout de l'Esprit Saint, Père des pauvres.
Tel est le contenu moral et éthique de la prédication de Jean.
Il est frappant de voir que Jésus reprend tout l'enseignement de Jean, mais évidemment en allant chaque fois plus loin. Jean amorce et Jésus reprend. Jean entonne et Jésus harmonise.
Mais quel est le contenu dogmatique et doctrinal de son enseignement? Pour quoi ou plutôt: à cause de Qui faut-il avoir de telles attitudes, de tels comportements?