1. Violence et douceur mêlées
Contraste saisissant chez Jean entre la virulence et la douceur de ses propos. Il fait trembler et espérer en même temps. Sa parole est tonitruante et en même temps apaisante. La violence d'abord:
Il ne se perd pas en périphrases interminables. Il va droit au but. Il lance des flèches contre ceux dont la carapace ne semble connaître aucune faille:
Il n'y va pas de main morte! À tout prix, il faut arracher à l'enfer possible les plus endurcis, les arracher aux griffes du Mauvais! Ou simplement secouer leur léthargie, les réveiller de l'anesthésie, guérir leur amnésie.
Écho anticipé de la voix du plus doux des enfants jamais né de la femme:
Qui aujourd'hui ose crier aux pornotrafiquants et pornocrates de tous poils - la plus diabolique des mafias - ce que ce prophète et précurseur de Jean-Paul II, au siècle dernier, osait crier aux mafieux en plein fief sicilien:
La parole du Précurseur est cinglante comme le fouet qui renversera leur odieux commerce et chassera les marchands hors du Temple. Son seul but: briser les défenses des plus endurcis. Aussi réalise-t-il le mot du Serviteur dans sa charte de vie:
Oui, comme la Parole de Dieu, la parole de Jean est...
Pour arracher à l'indifférence, il y faut une virulence. Pour échapper à l'accoutumance au mal, il y faut la violence de l'amour.
Mais en même temps, quelle tendresse! En contrepoint aux paroles si dures et tranchantes, voici les paroles les plus douces qui soient sur l'Agneau, l'Époux et l'Épouse, sur grandir et s'effacer. Mais n'anticipons pas, nous les recueillerons plus tard! En fait, Jean est énergique et violent avant la Rencontre avec l'Agneau, doux et apaisé après. (Franco Zeffirelli l'a très bien fait ressortir dans son film: Jésus de Nazareth.)
Ce sont les hommes du désert qui ont les plus violentes audaces, mais aussi les plus grandes tendresses. On retrouve ces mêmes contrastes chez un Jean Chrysostome, un Colomban, un Bernard de Clairvaux.
N'ont-ils pas approché d'un Dieu qui est Feu dévorant, et en même temps reposé leur tête sur la potrine de l'Agneau?
2. Une parole d'autorité
Bien sûr, beaucoup de paroles de Jean se retrouvent chez les prophètes, mais elles sont clamées à frais nouveaux, avec une audace extrême. Il parle avec autorité. Ses réponses sont immédiates, sans réplique. Son ton est personnel et ferme. En parfait contraste avec la manière louvayante des scribes et des pharisiens.
Cette assurance prend racine de ce qu'il entend sans cesse en lui-même cet envoi sur les routes de mission:
Son audace lui vient de son coeur d'enfant. Il a la témérité du prophète parce qu'il a la simplicité de l'enfant:
On peut appliquer au Précurseur ce qui sera dit du Rédempteur:
Et encore:
3. Des questions suscitées
Il n'impose pas, il propose et, pour cela, pose les vraies questions. Il éveille le désir. Il interpelle. Il suscite les questions les plus profondes du coeur.
En l'entendant, les différents groupes s'interrogent: "Que devons-nous faire maintenant?" Au matin de la Pentecôte, la brûlante prédication de Pierre suscitera une question indentique:
Cela prouve que la parole de Jean parvient aussi à traverser les armures des plus blindés.
4. Une désarmante humilité
Il parle avec une humilité sans nom. Il récuse tout titre, refuse toute admiration, réfute toute méprise. La commission d'enquête des hautes autorités religieuses le soumet à un examen canonique:
Réponse du tac au tac:
(Dans son admirable ouvrage: Jésus, le Maître de Nazareth, Nouvelle Cité (1999), le Père Alexander Men pense que Jean aurait subi cet interrogatoire à Jérusalem (p. 76). Il évoque aussi la non-violence de Jean, en contraste saisissant avec cette époque saturée de bains de sang (pp. 63-64).
Il ne nie pas. Il confesse: "Non, je ne suis pas le Christ!"
- Non, je ne le suis pas!
- Es-tu le prophète?
- Non!
Il tremble qu'on le prenne pour qui il n'est pas. Les titres qui sont les siens, non seulement il ne les revendique pas, mais il ne s'y réfère pas. Il ne se dit pas lui-même Témoin de la Lumière. Seul titre qu'il se reconnaisse: la voix! Seulement la voix! Rien de plus! et encore ne le fait-il qu'en citant Isaïe, comme pour bien montrer qu'il n'invente rien.
La justesse de ses réponses impressionne. Pourtant ses enquêteurs ne comprennent rien, aussi il leur décoche une ultime flèche:
Jean, le plus pauvre, le plus petit, applique humblement la correction fraternelle aux grands et aux puissants.
5. Une libérante pauvreté
C'est la prédication à l'état pur: seulement sa voix toute nue soutenue par son regard. Seulement ses gestes, son comportement, son attitude. Il est ce qu'il est. Mais il n'accomplit aucun signe, prodige ou miracle.
"Signes, prodiges et miracles" seront les traits caractéristiques des Apôtres, dixit Paul (2 Co 12, 12; He 2, 4). Et les Actes le confirment (2, 22; 4, 30); 5, 12; 6, 8; 14, 3; 15, 12). Mais Jean, ce n'est pas les Apôtres. Les Actes n'ont pas commencé. La Pentecôte n'a pas encore déclenché les temps nouveaux.
La foule fera le rapprochement avec Jésus qui, lui, accomplit signes, prodiges et miracles pour attester la présence du Royaume déjà là. Jean, lui, ne fait qu'annoncer la venue de ce Royaume, et c'est pourquoi sa prédication est certes dans la puissance de l'Esprit, mais non pas dans celle des signes de compassion que seront les miracles de Jésus.
Parce que Jean est un pauvre, sa parole est libre. Il peut dire à chacun sa vérité. Il n'a rien à perdre. Il n'est ligoté ni par le pouvoir, ni par l'argent, ni par l'ambition. Sa pauvreté rend sa parole royalement libre. Il n'a peur de personne. Il peut dire à chacun ses quatre vérités. Il n'est pas démagogue pour un sou: il est pédagogue!
Il doit avoir souffert de voir son message mal accueilli, repoussé, refusé par les lévites et les prêtres qui, les premiers, auraient dû le recevoir. Effectivement, là est la plus grande douleur de l'apôtre: voir son message refusé par ces coeurs fermés. Avoir peut-être l'impression d'un échec, d'avoir parlé dans le désert...
Oui, par tout ce qu'il est, Jean est un pauvre qui appelle à la pauvreté. Être pauvre de tout, sauf de l'essentiel! Se vider pour se trouver. S'humilier pour recevoir. S'appauvrir pour accueillir.