Les Saints et la souffrance Et ici j'ai quelque chose à vous lire. C'est le Christ qui a révélé a monde la noblesse de la douleur. On vient de le faire remarquer:
Avant lui les hommes n'étaient capables de voir en elle que les tourments qu'elle leur impose. Elle n'était qu'un mal pour eux. Le bouddhisme se donnait pour fin de nous en délivrer en tuant le désir.
(Toute la souffrance vient du désir. Alors en tuant le désir vous tuez la souffrance, et aussi, bien sûr, la joie et la vie. Une sorte de chloroforme.)
Les stoïciens prétendaient en triompher dans une sagesse qui l'annihilait, qui niait la souffrance en se durcissant. Mais - et c'est une parole de Raïssa Maritai - "Nous ne nous mettons pas en boule comme Marc Aurèle le conseillait aux stoïciens pour offrir la moindre prise possible à la souffrance. Les chrétiens se mettent en croix et s'exposent à tous les coups."
C'est splendide.
Je termine en vous citant deux paradoxes sur la souffrance (Maritain, J., La philosophie morale, Paris 1960, pp. 570-571):
Quoi d'étonnant que les saints soient désireux de souffrir? La souffrance, parce qu'elle est pour eux signature de leur amour, et coopération à l'oeuvre de leur Bien-Aimé, est devenue pour eux le plus précieux des biens d'ici-bas.
Les voilà donc qui par une apparente contradiction rendent grâces à Dieu de tous les biens dont ils les comble et de toutes les protections, les consolations et les joies qu'il leur dispense, et lui rendent grâces en même temps de tous les maux et les afflictions qu'il leur envoie. Nous autres qui sommes méchants, est-ce que nous donnons une pierre à nos enfants quand ils nous demandent du pain? Et pourtant merci à Dieu quand il nous donne du pain, et merci à lui quand il nous donne une pierre et pire qu'une pierre.
Et voici le second paradoxe, toujours sur l'attitude des saints à l'égard de la souffrance:
Une autre apparente contradixition dans le comportement des saints. Ils désirent la souffrance comme le plus précieux des biens d'ici-bas. Après tout, c'est leur affaire, ou plutôt une affaire entre Dieu et eux. Mais les autres, ceux qu'ils aiment, et qui sont tous les hommes? Est-ce qu'ils ne vont pas désirer our eux aussi ce plus précieus des biens d'ici-bas? Pourtant ce n'est pas ce qu'ils font, ils passent leur temps à essayer de diminuer la souffrance des hommes, et de les guérir de leurs plaies.
La réponse, c'est que transfigurer la souffrance par l'amour, c'est Dieu seul qui peut le faire. Ce n'est pas eux.
De soi la souffrance est un mal. Comment donc la souhaiter à ceux qu'on aime? Savoir qu'elle unit au sacrifice de la croix (c'est pour nous, cela) "aide à s'y résigner, mais ne suffit pas à la fiare aimer ni désirer. Cela ne la trasvalue pas. S'il y a une transvaluation réelle et pratique, cela ne peut être que dans le feu de l'amour actuel, absolument incommunicable. Cela reste un secret fermé.
C'est Dieu qui peut transvaluer dans une vie d'homme la souffrance, la transvaluer au point de la rendre désirable: "J'ai désiré d'un grand désir manger cette pâque avec vous avant de souffrir."
Ainsi le saints voudraient garder pour eux seuls ce qu'ils tiennent pour le plus précieux des biens d'ici-bas. Singuliers égoïstes! Ils veulent la souffrance pour eux, ils ne la veulent pas pour les autres. Jésus a pleuré sur Lazare mort, et sur la douleur de Marthe et de Marie.
Cardinal Charles Journet, Dieu à la rencontre de l'homme, DDB - Éd. Saint-Paul, 1981, p. 123-126