De plus il faut affronter le réalisme de tous les renoncements envisagés au fil des jours de la maladie, de tous ces projets faits ensemble et à présent brisés.
Mais le plus difficile à vivre, c'est le non-exaucement de la prière. J'ai prié, nous avons prié ensemble. Nous avons crié vers Dieu: "Écarte de nous cette coupe". Et même si nous ajoutions: "Que ta volonté soit faite", aujourd'hui me voici confrontée au non-exaucement de ma prière. Comment pourrai-je m'empêcher de dire au Seigneur: "Pourquoi Seigneur? Pourquoi?" Même sans une ombre de révolte, même dans une prière d'abandon aussi confiante que possible, me voici confrontée au mystère de cette sagesse de Dieu qui traverse la mort, mais qui passe par la mort. À ce moment-là, on ne peut que se tenir dans la foi nue, sans même essayer de comprendre le sens de cette blessure qui traverse le coeur?...
Puis, quand est passé le temps où on est submergé par les problèmes matériels, on se retrouve affrontée à la solitude. Solitude affective, certes... Mais plus profondément encore, on devient celle qui n'a plus de berger pour prendre soin d'elle. Alors vient la tentation de se refermer sur moi pour prendre soin moi-même de moi. Et beaucoup de ceux qui se disent des amis vont me le conseiller, sous prétexte qu'il faut bien vivre... Mais en réalité il n'y a d'issue qu'en disant au Seigneur: "Toi mon Dieu, qui a promis de prendre soin de la veuve et de l'orphelin, viens te faire toi-même mon berger, viens toi-même prendre soin de moi".
J'expérimente alors, très obscurément mais véritablement, comme une présence "fraternelle", discrète, près de moi, au nom du Seigneur. Dans la prière en particulier, ou dans l'Eucharistie, cette présence obscure semble se faire plus proche, comme si mon époux m'était envoyé pour m'aider, et quelquefois cela se traduit dans les situations les plus concrètes, les plus quotidiennes. Par la permission de Dieu, de petits signes sont donnés que la séparation n'est pas irréversible mais au contraire un chemin pour accéder en Dieu à une autre forme de communion, plus librement et plus intimement fraternelle. Il est difficile d'expliquer cela. Pourtant je rencontre beaucoup de veuves qui témoignent de cette même expérience.
Alors on commence à se rendre compte que le ciel n'est pas loin de la terre, que le voile qui sépare le monde visible et le monde invisible ne paraît épais que parce que nos yeux sont trop aveugles. On commence à percevoir quelque chose du mystère de la réalité de l'invisible, du mystère de la Communion des Saints, de l'Église vivante devant la Face de Dieu. Mystère de foi, certes, cependant parfois un éclair vient montrer que c'est réellement vrai. (à suivre)