Les quelques phrases qui, dans la première lettre de Pierre, parlent des pierres vivantes, s’insèrent de la sorte dans une histoire qui vient de loin et elles expriment le nouveau tournant que la foi chrétienne a fait prendre à cette histoire. Pour ouvrir à la compréhension de la présence de Dieu dans le monde, de son habitation parmi les hommes et donc de son Église, qui se fait entendre ici, je voudrais au moins éclairer quelque peu deux étapes du chemin qui y conduit.
Prenons d’abord aux débuts de la construction du Temple en Israël. Au terme de nombreux combats, David a enfin assuré la sécurité de son royaume. Sa royauté n’est pas contestée, il habite un palais en bois de cèdre. Israël a dépassé le temps de son nomadisme, de son errance, de son apatridie et il est maintenant bien établi dans le pays de la promesse. Mais après comme avant, comme aux jours de son errance dans le désert, son Dieu habite sous la tente – il est resté pour ainsi dire un apatride, un Dieu nomade. David a conscience de la contradiction, du caractère anachronique de cette situation, où deux étapes culturelles coexistent – Dieu est abandonné à l’étape du nomadisme et il faut qu’il rejoigne maintenant la situation nouvellement acquise. Il veut construire pour Dieu une maison digne de lui et le prophète Nathan l’y encourage tout d’abord. Mais Dieu ne tarde pas à s’adresser à Nathan en ces termes : « Est-ce toi qui me bâtiras une Maison pour que je m’y installe ? (…) Le Seigneur t’annonce que le Seigneur te fera une maison » (2 S 7, 5-11). Ces versets annoncent une rupture et un retournement dans l’histoire religieuse de l’humanité dont la véritable portée ne se révélera que plusieurs siècles après. Dans le principe, le tournant est déjà accompli ici, tournant qui coûtera tout de même par la suite la Passion de Jésus, le Fils. Ce n’est pas l’homme qui bâtit une maison pour Dieu, c’est Dieu qui bâtit une maison pour l’homme. C’est Dieu lui-même qui préside à la construction du bâtiment de Dieu.
Les versets suivants de la prophétie de Nathan disent clairement en quoi consiste cette maison construite par Dieu : elle est faite d’hommes. Elle consiste en ce que la royauté est garantie pour toujours à la maison de David. Elle sera châtiée en raison de ses péchés, mais elle ne sera pas détruite : elle demeure par-delà tous les naufrages. Dieu la construit et la reconstruit. Sa maison, qui devient la propre construction de Dieu, est éternelle. Se dessinent ici pour la première fois les traits de ce fils de David, qui, à travers la souffrance, a raison de tous les péchés du monde et en qui le pouvoir de la grâce, plus fort que le péché, devient présence vivante. Ce n’est pas David, mais bien Dieu qui construit. Dans sa bienveillance à toute épreuve, à travers et par-delà tous les ravages du péché, il construit une royauté : il règne lui-même, il habite lui-même parmi les hommes. Dieu reste le sans-demeure, pour qui toute construction faite de pierres est trop exiguë et qui trouve cependant place dans l’homme même. Son « inhabitation » s’accomplit dans la grâce, qui édifie. L’unité des deux Testaments est sans doute rarement aussi palpable que dans cette scène audacieuse de la prophétie de Nathan. Restitué dans cette perspective centrale, le Temple de Salomon, avec toutes les constructions ultérieures, n’est qu’un « entre-deux » pour reprendre un mot de Paul.
Un verset de la prophétie de Nathan se réfère certainement aussi à ce Temple : nous laisserons ouverte ici la question de savoir si ce verset relève d’une rédaction théologique ultérieure – comme le supposent d’éminents exégètes de l’Ancien Testament – ou s’il fait partie du texte primitif. Par son contenu il se situe en tout cas un peu en marge de l’intention première du Prophète, il renvoie à une solution intermédiaire, qui apparaissait incontournable, mais qui doit rester solution intermédiaire et ne doit pas devenir l’objet de la promesse. On ne peut pas simplement domicilier Dieu humainement, dans une nouvelle étape culturelle, comme s’il lui fallait suivre l’homme pas à pas dans son évolution. L’absence de domicile des années de nomadisme l’a mieux exprimé que l’établissement de la culture supérieure, qui voulait l’enfermer dans les limites humaines.