Ainsi entendu, le thème de l'imitation joue un rôle principal dans la spiritualité chrétienne, rappelant le précepte supérieur du Sermon sur la montagne : "Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait (en aimant jusqu'à vos ennemis)" (Mt 5, 48). Il peut embrasser la vie entière des croyants : imitation de Dieu et du Christ, puis imitation apostolique et fraternelle jusque dans le travail quotidien qui accompagne l'annonce de l'Évangile. Imitation aussi large que l'Église, atteignant jusqu'aux païens par le témoignage de la foi et des oeuvres.
1. L'imitation procède de la foi au Christ
Le premier point que Paul nous indique dans ces textes est décisif : l'imitation dont il parle procède immédiatement de la foi au Christ. La formule qui introduit le thème de l'imitation est bien dans le style très dense de l'Apôtre. Traduisons littéralement : "Nous souvenant de vous, de l'oeuvre de la foi et du labeur de l'agapè et de la patience de l'espérance de notre Seigneur Jésus Christ en présence de notre Dieu et Père" (1 Th 1, 3).
La mention du Christ concerne l'ensemble : à la source de l'imitation se tiennent, en un seul jaillissement, la foi au Christ, l'amour du Christ, l'espérance dans le Christ. Paul précise ensuite : telle est la foi de l'Évangile qu'il a prêché et qui agit avec la puissance de l'Esprit Saint, faisant de lui le serviteur de tous.
Le rapport entre la foi et l'imitation évoque la relation du disciple au maître : le disciple se met à l'école du maître en accordant foi à son enseignement et en suivant son exemple. Ainsi le Christ apparaît-il sous la figure du Maître qui enseigne ses disciples par sa parole et par ses actes, comme dans le Sermon sur la montagne. La foi de l'écoute se prolonge dans la docilité de l'imitation.
Cette représentation traditionnelle est certainement exacte ; mais elle ne suffit pas, à elle seule, à rendre compte de ce qu'il y a de nouveau dans le rapport au Christ instauré par la foi. On pourrait, en effet, n'y voir rien de plus que la soumission à un sage, à un éducateur modèle.
Dans la 1re lettre aux Corinthiens, S. Paul place l'imitation dans le cadre d'une liaison plus riche que la relation pédagogique : le rapport unique de paternité dans le don de la foi qui l'unit aux chrétiens de Corinthe : "Auriez-vous des milliers de pédagogues dans le Christ, que vous n'avez pas plusieurs pères ; car, c'est moi qui, par l'Évangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus. Je vous en prie donc, montrez-vous mes imitateurs" (1 Co, 4, 15-16). On a pu remarquer, à ce sujet, que Paul ne se propose lui-même en modèle qu'aux communautés qu'il a fondées : Thessalonique, Corinthe, Philippes, les Galates (4, 12). Ailleurs il parle de l'imitation de Dieu et du Christ. Nous devons donc chercher dans la foi et dans les relations qu'elle crée la racine de l'imitation évangélique.
2. La foi comme source de la morale
C'est dans les épîtres aux Romains et aux Corinthiens que S. Paul nous expose le plus clairement le bouleversement qu'opère la foi au Christ dans le domaine de la vie morale où se réalise l'imitation. Ayant démaqué avec vigueur l'échec de la morale juive qui aboutit à l'hypocrisie, et de la morale grecque qui conduit à la corruption, l'Apôtre dresse en face d'elles la morale évangélique : elle naît de la foi au Christ crucifié, devenu pour nous le dispensateur de la justice et de la sagesse de Dieu. Rejetée comme une folie et un scandale par les sages et les puissants, la Parole de l'Évangile pénètre au plus profond de coeur de l'homme, au-delà des idées et des sentiments, pour y changer la source même de lagir moral : à l'assurance de l'homme en lui-même qu'engendre l'orgueil, elle substitue la foi au Christ, humble et obéissant jusqu'à la Croix, mais devenu, par la résurrection, le donateur d'une vie nouvelle dont l'origine est en Dieu. Ainsi l'imitation commence-t-elle dans la foi même : elle est une humble remise de soi au Christ humilié pour nous et exalté pas Dieu. "Tandis que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse, nous prêchons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs comme Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu " (1 Co 1, 22-24).
En plaçant ainsi la foi à l'origine de la morale évangélique, S. Paul lui confère une caractéristique unique en son genre : la personne même du Christ devient le foyer de la vie des croyants. Par le moyen de la foi s'établissent des liens vitaux entre le Maître et les disciples. Par le baptême qui les associe à la mort et à la résurrection de Jésus, les disciples reçoivent un être nouveau à l'origine d'une vie qui formera en eux un "homme nouveau" et que Paul caractérisera comme une "vie dans le Christ", une "vie avec le Christ". Ils pourront redire avec l'Apôtre : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi... Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et sest livré pour moi" (Ga 2, 20-21).
S. Paul y ajoutera la comparaison de l'Église avec le corps et les membres, dans lesquels circule un même sang qui les assimile les uns aux autres. Il placera cette vue au début de sa catéchèse morale pour bien montrer la dimension christologique et ecclésiale de la vie chrétienne, avec les vertus quelle met en oeuvre. "À plusieurs, nous ne formons qu'un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres" (Rm 12, 5). "... en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir à ne faire plus qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ " (Ép 4, 12-13).
S. Jean, quant à lui, exposera cette communication de vie à l'aide de la comparaison si expressive de la vigne et des sarments qu'alimente une même sève : "Je suis la vigne ; vous êtes les sarments. Qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire" (15, 5).
Telle est la nouvelle base que reçoit l'imitation : elle ne reproduit plus un modèle extérieur, mais procédant d'une union vitale avec le Christ, réalisée par la foi, elle se présente comme une conformation nécessaire pour ceux qui deviennent les membres de son Corps.