8. Reprenant presque littéralement l'enseignement donné par la Constitution Dei Filius du Concile Vatican I et tenant compte des principes proposés par le Concile de Trente, la Constitution Dei Verbum de Vatican II a continué le processus séculaire d'intelligence de la foi et a réfléchi sur la Révélation à la lumière de l'enseignement biblique et de l'ensemble de la tradition patristique. Au premier Concile du Vatican, les Pères avaient souligné le caractère surnaturel de la révélation de Dieu. La critique rationaliste, qui s'attaquait alors à la foi en partant de thèses erronées et très répandues, portait sur la négation de toute connaissance qui ne serait pas le fruit des capacités naturelles de la raison. Ce fait avait obligé le Concile à réaffirmer avec force que, outre la connaissance propre de la raison humaine, capable par nature d'arriver jusqu'au Créateur, il existe une connaissance qui est propre à la foi. Cette connaissance exprime une vérité fondée sur le fait même que Dieu se révèle, et c'est une vérité très certaine car Dieu ne trompe pas et ne veut pas tromper.
9. Le Concile Vatican I enseigne donc que la vérité atteinte par la voie de la réflexion philosophique et la vérité de la Révélation ne se confondent pas, et que l'une ne rend pas l'autre superflue: " Il existe deux ordres de connaissance, distincts non seulement par leur principe mais aussi par leur objet. Par leur principe, puisque dans l'un c'est par la raison naturelle et dans l'autre par la foi divine que nous connaissons. Par leur objet, parce que, outre les vérités que la raison naturelle peut atteindre, nous sont proposés à croire les mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus s'ils ne sont divinement révélés ". La foi, qui est fondée sur le témoignage de Dieu et bénéficie de l'aide surnaturelle de la grâce, est effectivement d'un ordre différent de celui de la connaissance philosophique. Celle-ci, en effet, s'appuie sur la perception des sens, sur l'expérience, et elle se développe à la lumière de la seule intelligence. La philosophie et les sciences évoluent dans l'ordre de la raison naturelle, tandis que la foi, éclairée et guidée par l'Esprit, reconnaît dans le message du salut la " plénitude de grâce et de vérité " (cf. Jn 1, 14) que Dieu a voulu révéler dans l'histoire et de manière définitive par son Fils Jésus Christ (cf. 1 Jn 5, 9; Jn 5, 31-32).
10. Les Pères du Concile Vatican II, fixant leur regard sur Jésus qui révèle, ont mis en lumière le caractère salvifique de la révélation de Dieu dans l'histoire et ils en ont exprimé la nature dans les termes suivants: " Par cette révélation, le Dieu invisible (cf. Col 1, 15; 1 Tm 1, 17), dans son amour surabondant, s'adresse aux hommes comme à des amis (cf. Ex 33, 11; Jn 15, 14-15) et est en relation avec eux (cf. Ba 3, 38), pour les inviter à la vie en communion avec lui et les recevoir en cette communion. Cette économie de la Révélation se réalise par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles, si bien que les uvres, accomplies par Dieu dans l'histoire du salut, manifestent et corroborent la doctrine et les réalités signifiées par les paroles, et que les paroles, de leur côté, proclament les uvres et élucident le mystère qui y est contenu. Par cette révélation, la vérité profonde sur Dieu aussi bien que sur le salut de l'homme se met à briller pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation ".
11. La révélation de Dieu s'inscrit donc dans le temps et dans l'histoire. Et même l'incarnation de Jésus Christ advient à la " plénitude du temps " (Ga 4, 4). Deux mille ans après cet événement, j'éprouve le besoin de réaffirmer avec force que, " dans le christianisme, le temps a une importance fondamentale ". En lui, en effet, vient à la lumière toute l'uvre de la création et du salut et surtout est manifesté le fait que, par l'incarnation du Fils de Dieu, nous vivons et nous anticipons dès maintenant ce qui sera l'accomplissement du temps (cf. He 1, 2).
  La vérité que Dieu a confiée à l'homme sur lui-même et sur sa vie s'inscrit donc dans le temps et dans l'histoire. Il est certain qu'elle a été prononcée une fois pour toutes dans le mystère de Jésus de Nazareth. La Constitution Dei Verbum le dit clairement: " Après avoir, à maintes reprises et sous bien des formes, parlé par les prophètes, Dieu, "en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils" (He 1, 1-2). Il a, en effet, envoyé son Fils, à savoir le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu'il habitât parmi les hommes et leur fît connaître les profondeurs de Dieu (cf. Jn 1, 1-18). Jésus Christ donc, Verbe fait chair, envoyé "comme homme vers les hommes", "prononce les paroles de Dieu" (Jn 3, 34) et achève l'uvre de salut que le Père lui a donnée à faire (cf. Jn 5, 36; 17, 4). C'est pourquoi lui-même qui le voit, voit aussi le Père (cf. Jn 14, 9) , par toute sa présence et par toute la manifestation de lui-même, par ses paroles et ses uvres, par ses signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d'entre les morts, enfin par l'envoi de l'Esprit de vérité, achève la Révélation en l'accomplissant ".
  L'histoire constitue pour le peuple de Dieu un chemin à parcourir entièrement, de façon que la vérité révélée exprime en plénitude son contenu grâce à l'action constante de l'Esprit Saint (cf. Jn 16, 13). C'est encore une fois ce que dit la Constitution Dei Verbum quand elle affirme que " l'Église, tandis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu ".
12. L'histoire devient donc le lieu où nous pouvons constater l'action de Dieu en faveur de l'humanité. Il nous rejoint en ce qui pour nous est le plus familier et le plus facile à vérifier parce que cela constitue notre cadre quotidien, sans lequel nous ne pourrions nous comprendre.
  L'incarnation du Fils de Dieu permet de voir se réaliser la synthèse définitive que l'esprit humain, à partir de lui-même, n'aurait même pas pu imaginer: l'Éternel entre dans le temps, le Tout se cache dans le fragment, Dieu prend le visage de l'homme. La vérité exprimée dans la révélation du Christ n'est donc plus enfermée dans un cadre territorial et culturel restreint, mais elle s'ouvre à quiconque, homme ou femme, veut bien l'accueillir comme parole de valeur définitive pour donner un sens à l'existence. Or tous ont dans le Christ accès au Père; en effet, par sa mort et sa résurrection, le Christ a donné la vie divine que le premier Adam avait refusée (cf. Rm 5, 12-15). Par cette Révélation est offerte à l'homme la vérité ultime sur sa vie et sur le destin de l'histoire: " En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbeincarné ", affirme la Constitution Gaudium et spes. En dehors de cette perspective, le mystère de l'existence personnelle reste une énigme insoluble. Où l'homme pourrait-il chercher la réponse à des questions dramatiques comme celles de la souffrance, de la souffrance de l'innocent et de la mort, sinon dans la lumière qui vient du mystère de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ?