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Publié par Walter Covens

       LA FOI ET LA RAISON sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité. C'est Dieu qui a mis au cœur de l'homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L'aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même (cf. Ex 33, 18; Ps 27 [26], 8-9; 63 [62], 2-3; Jn 14, 8; 1 Jn 3, 2).

1. En Orient comme en Occident, on peut discerner un parcours qui, au long des siècles, a amené l'humanité à s'approcher progressivement de la vérité et à s'y confronter. C'est un parcours qui s'est déroulé — il ne pouvait en être autrement — dans le champ de la conscience personnelle de soi: plus l'homme connaît la réalité et le monde, plus il se connaît lui-même dans son unicité, tandis que devient toujours plus pressante pour lui la question du sens des choses et de son existence même. Ce qui se présente comme objet de notre connaissance fait par là-même partie de notre vie. Le conseil Connais-toi toi-même était sculpté sur l'architrave du temple de Delphes, pour témoigner d'une vérité fondamentale qui doit être prise comme règle minimum par tout homme désireux de se distinguer, au sein de la création, en se qualifiant comme " homme " précisément parce qu'il " se connaît lui-même ".

       Un simple regard sur l'histoire ancienne montre d'ailleurs clairement qu'en diverses parties de la terre, marquées par des cultures différentes, naissent en même temps les questions de fond qui caractérisent le parcours de l'existence humaine: Qui suis-je? D'où viens-je et où vais-je? Pourquoi la présence du mal? Qu'y aura-t-il après cette vie? Ces interrogations sont présentes dans les écrits sacrés d'Israël, mais elles apparaissent également dans les Védas ainsi que dans l'Avesta; nous les trouvons dans les écrits de Confucius et de Lao Tseu, comme aussi dans la prédication des Tirthankaras et de Bouddha; ce sont encore elles que l'on peut reconnaître dans les poèmes d'Homère et dans les tragédies d'Euripide et de Sophocle, de même que dans les traités philosophiques de Platon et d'Aristote. Ces questions ont une source commune: la quête de sens qui depuis toujours est pressante dans le cœur de l'homme, car de la réponse à ces questions dépend l'orientation à donner à l'existence.

2. L'Église n'est pas étrangère à ce parcours de recherche, et elle ne peut l'être. Depuis que, dans le Mystère pascal, elle a reçu le don de la vérité ultime sur la vie de l'homme, elle est partie en pèlerinage sur les routes du monde pour annoncer que Jésus Christ est " le Chemin, la Vérité et la Vie " (Jn 14, 6). Parmi les divers services qu'elle doit offrir à l'humanité, il y en a un qui engage sa responsabilité d'une manière tout à fait particulière: c'est la diaconie de la vérité. D'une part, cette mission fait participer la communauté des croyants à l'effort commun que l'humanité accomplit pour atteindre la vérité et, d'autre part, elle l'oblige à prendre en charge l'annonce des certitudes acquises, tout en sachant que toute vérité atteinte n'est jamais qu'une étape vers la pleine vérité qui se manifestera dans la révélation ultime de Dieu: " Nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d'une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu " (1 Co 13, 12).

3. L'homme possède de multiples ressources pour stimuler le progrès dans la connaissance de la vérité, de façon à rendre son existence toujours plus humaine. Parmi elles ressort la philosophie, qui contribue directement à poser la question du sens de la vie et à en ébaucher la réponse; elle apparaît donc comme l'une des tâches les plus nobles de l'humanité. Le mot philosophie, selon l'étymologie grecque, signifie " amour de la sagesse ". En effet, la philosophie est née et s'est développée au moment où l'homme a commencé à s'interroger sur le pourquoi des choses et sur leur fin. Sous des modes et des formes différentes, elle montre que le désir de vérité fait partie de la nature même de l'homme. C'est une propriété innée de sa raison que de s'interroger sur le pourquoi des choses, même si les réponses données peu à peu s'inscrivent dans une perspective qui met en évidence la complémentarité des différentes cultures dans lesquelles vit l'homme.

       La forte incidence qu'a eue la philosophie dans la formation et dans le développement des cultures en Occident ne doit pas nous faire oublier l'influence qu'elle a exercée aussi dans les manières de concevoir l'existence dont vit l'Orient. Tout peuple possède en effet sa propre sagesse autochtone et originelle qui, en tant que richesse culturelle authentique, tend à s'exprimer et à mûrir également sous des formes typiquement philosophiques. Que cela soit vrai, on en a pour preuve le fait qu'une forme fondamentale de savoir philosophique, présente jusqu'à nos jours, peut être identifiée jusque dans les postulats dont s'inspirent les diverses législations nationales et internationales pour établir les règles de la vie sociale.

4. Il faut en tout cas observer que derrière un mot unique se cachent des sens différents. Une explicitation préliminaire est donc nécessaire. Poussé par le désir de découvrir la vérité dernière de l'existence, l'homme cherche à acquérir les connaissances universelles qui lui permettent de mieux se comprendre et de progresser dans la réalisation de lui-même. Les connaissances fondamentales découlent de l'émerveillement suscité en lui par la contemplation de la création: l'être humain est frappé d'admiration en découvrant qu'il est inséré dans le monde, en relation avec d'autres êtres semblables à lui dont il partage la destinée. Là commence le parcours qui le conduira ensuite à la découverte d'horizons toujours nouveaux de connaissance. Sans émerveillement, l'homme tomberait dans la répétitivité et, peu à peu, il deviendrait incapable d'une existence vraiment personnelle.

       La capacité spéculative, qui est propre à l'intelligence humaine, conduit à élaborer, par l'activité philosophique, une forme de pensée rigoureuse et à construire ainsi, avec la cohérence logique des affirmations et le caractère organique du contenu, un savoir systématique. Grâce à ce processus, on a atteint, dans des contextes culturels différents et à des époques diverses, des résultats qui ont conduit à l'élaboration de vrais systèmes de pensée. Historiquement, cela a souvent exposé à la tentation de considérer un seul courant comme la totalité de la pensée philosophique. Il est cependant évident qu'entre en jeu, dans ces cas, une certaine " superbe philosophique " qui prétend ériger sa propre perspective imparfaite en lecture universelle. En réalité, tout système philosophique, même toujours respecté dans son intégralité sans aucune sorte d'instrumentalisation, doit reconnaître la priorité de la pensée philosophique d'où il tire son origine et qu'il doit servir d'une manière cohérente.

       En ce sens, il est possible de reconnaître, malgré les changements au cours des temps et les progrès du savoir, un noyau de notions philosophiques dont la présence est constante dans l'histoire de la pensée. Que l'on songe, à seul titre d'exemple, aux principes de non-contradiction, de finalité, de causalité, et de même à la conception de la personne comme sujet libre et intelligent, et à sa capacité de connaître Dieu, la vérité, le bien; que l'on songe également à certaines normes morales fondamentales qui s'avèrent communément partagées. Ces thèmes et d'autres encore montrent que, indépendamment des courants de pensée, il existe un ensemble de notions où l'on peut reconnaître une sorte de patrimoine spirituel de l'humanité. C'est comme si nous nous trouvions devant une philosophie implicite qui fait que chacun se sent possesseur de ces principes, fût-ce de façon générale et non réfléchie. Ces notions, précisément parce qu'elles sont partagées dans une certaine mesure par tous, devraient constituer des références pour les diverses écoles philosophiques. Quand la raison réussit à saisir et à formuler les principes premiers et universels de l'être et à faire correctement découler d'eux des conclusions cohérentes d'ordre logique et moral, on peut alors parler d'une raison droite ou, comme l'appelaient les anciens, de orthòs logos, recta ratio.


Fides et Ratio, 1-4
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