On nous annonce périodiquement que les jeunes redécouvrent le sens de la chasteté ; c'est vrai, certes, pour tel ou tel, mais
pour l'immense majorité ? Avant que je ne passe plusieurs mois en Californie, on m'avait assuré que quelques groupes, encore minoritaires, se réclamaient là-bas d'une "new chastity" ; je n'y ai
rien vu de semblable. Depuis que S. Paul prêchait la chasteté à ses très charnels Corinthiens, elle n'a jamais cessé d'étonner.
"Bien plus, l'amour entre l'homme et la femme n'est plus un simple analogue de l'amour divin, puisque le Christ de
l'Ascension permet d'élever pour toujours la misérable chair humaine, et à travers elle toute la nature, à un statut divin. (
...) Dans une seule et même parole, Jésus, en élevant la sexualité à
l'amour, en la rendant capable d'amour comme la nature est capable de grâce, élève l'union des sexes dans le mariage à la suite du célibat consacré ; leur lieu commun se trouve
être leur bien commun : l'amour-agapè, dont la marque commune est l'indissolubilité, le non-retour dans l'acte de se donner. Il devient aussi essentiel d'accéder à la sainteté dans l'un et
l'autre de ces états de vie dont chacun devient signe dans la perspective de l'autre, alors que la renonciation au lien sexuel est le signe eschatologique du Royaume, l'union conjugale est le
signe de ce que ce Royaume réalise : la divinisation de l'humanité-épouse par son incorporation au Christ".
Philippe CORMIER, "Ce mystère est grand".
Notre corps est un temple, écrivait S. Paul (1 Co 6, 19), où rayonne une présence
qui n'est autre que celle de l'Esprit Saint. Si le corps est ainsi habité, il est une manière chaste de l'appréhender par son visage et de se placer sous son regard. C'est ce visage qui
m'introduit à la présence intérieure et m'invite à nouer un dialogue avec elle. Dans sa beauté, mais aussi dans ses misères, le corps humain transpire le mystère. Tout ce qui touche au corps est
donc grave.
"Le corps humain n'est pas seulement le champ de relations de caractère sexuel mais il est, en même temps, le moyen pour
l'homme de s'exprimer totalement, d'exprimer sa personne, qui se révèle à travers le langage du corps. Ce langage a une importante signification interpersonnelle, surtout
lorsqu'il s'agit des rapports entre l'homme et la femme".
JEAN-PAUL II, 22 août 1984.
Sur ce point la morale chrétienne et la mentalité séculière s'affrontent aujourd'hui
rudement. La culture dominante, celle que véhiculent les "media", par exemple, les magazines à la mode ou les auteurs à succès, nous présente l'image d'une sexualité inoffensive, souriante,
légère et transparente, comme dans un roman de Milan Kundera, affranchie et sans risque, déculpabilisée enfin. La gravité chrétienne se trouve aux antipodes de cette légèreté. La chair humaine,
dit Dieu, porte à jamais la trace de l'incarnation de mon Verbe. Le coeur humain, dit Dieu, a été visité une fois pour toutes par mon Fils, visité et purifié, visité et libéré. Le corps humain,
dit Dieu, est devenu le temple de mon propre Esprit et rien, jamais rien, ne devra ternir sa gloire et son éclat. Car la gravité chrétienne ne renvoie pas d'abord à la pesanteur du péché, mais à
celle de la grâce, et la chasteté en est la traduction morale.
"Les civilisations traditionnelles avaient trois types de raisons de prendre au sérieux les relations sexuelles : la
perspective procréatrice (
...), le lien à l'institution (
...) et le caractère sacré (
...). Qu'est-il advenu aujourd'hui de ces trois raisons ? Les méthodes modernes de régulation des
naissances ont écarté la première, le libéralisme la deuxième et la sécularisation la troisième. (
...) L'ultime refuge de la gravité, dans une telle culture, est le risque des maladies
sexuellement transmissibles, du sida en particulier. Mais quelle image de la sexualité est à la fois induite et suggérée par la plupart des campagnes de prévention du sida (
...) ? Tout se passe
comme si le problème qu'elles tentaient de résoudre était le suivant : comment diffuser un message de gravité sans remettre en cause d'un iota l'image, elle-même devenue sacrée, de la sexualité
légère et libérée héritée des années soixante ? L'appel à la modification des comportements porte alors sur un seul point, un seul geste, la pose d'une membrane de caoutchouc. C'est
ainsi que le préservatif devient un objet symbole, et le verbe se préserver tout un programme. De quoi, finalement, faut-il se préserver ? Dans le même mouvement, de l'enfant,
de la maladie, de la mort et, plus fondamentalement, de l'inconnu qui est en l'autre".
Xavier LACROIX, "Le corps et l'esprit".
Se comprendre pour se maîtriser, se maîtriser pour harmoniser tout son être selon
une juste mesure des besoins et des désirs, c'est bien, c'est nécessaire, mais c'est encore insuffisant. On ne se construit pas pour soi-même, mais pour mieux se donner en vérité. Se garder pour
pouvoir répondre de soi. Se garder pour aimer. L'intégrité pour l'intégrité. L'intégrité de la vie placée au service de l'intégralité du don : voilà ce à quoi tend la vertu de chasteté.
Maintenir intactes, par la maîtrise de soi, les forces de vie qui ont été déposées en nous, pour que, le moment venu, nous nous adonnions entièrement et sans réserve, sans retenue, que dis-je ?,
sans mesure, au régime de l'amour auquel nous sommes appelés. La chasteté fait de nous des sacrements. Elle nous transforme en signes sensibles de l'amour de Dieu. Ceux qui habitent notre vie
affective ou croisent le chemin de notre existence devraient éprouver en nous, par nous, quelque chose de la tendresse même du Christ. Il n'y a d'amour que l'amour pur.
"Le pur c'est celui qui fait preuve de désintéressement, celui qui se donne tout entier à une cause, sans y chercher ni
l'argent ni la gloire, celui qui s'oublie et qui se compte pour rien, comme disait Fénelon, et cela confirme que la pureté, dans tous ces cas, est le contraire de l'intérêt, de
l'égoïsme, de la convoitise, de tout le sordide du moi. On remarquera en passant qu'on ne peut aimer purement l'argent, et cela en dit long sur l'argent, et sur la pureté ".
André COMTE-SPONVILLE, "Petit traité des grandes vertus".
Les enfants frémissaient d'impatience. Là-bas, du fond du sanctuaire, une voix se
fit entendre : "Ils ont revêtu l'aube blanche en signe de pureté". Leur aube est blanche parce qu'elle a été "blanchie dans le sang de l'Agneau", explique la voix du Vieillard dans le livre de
l'Apocalypse (Ap 7, 14). Ce blanc-là ne renvoie plus à l'innocence charnelle, mais à la couleur du ciel, selon l'Écriture, et à la victoire du Christ. Blanc du baptême, blanc de la première
communion, blanc du mariage et blanc du linceul : à chacune des grandes étapes de notre vie, nous revêtons le Christ (Rm 13, 14 ; Ga 3, 27). "Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu",
proclamait-il dans la sixième de ses béatitudes, la plus solennelle de toutes (Mt 5, 8). "Aimer purement, c'est consentir à distance", écrivait encore Simone Weil. Oui, demain, nous verrons Dieu
en face à face, mais dès maintenant le coeur pur voit selon Dieu. Il juge tout à la lumière de Dieu. Si simple est la vie quand on y vit de Dieu.
Les idées heureuses, Vertus chrétiennes pour ce temps, Cerf 1996, p. 63-67