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Praedicatho homélies à temps et à contretemps

Praedicatho homélies à temps et à contretemps

C'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Crédit peintures: B. Lopez


Jean-Louis Bruguès, Si simple est la vie (4e partie)

Publié par Walter Covens sur 1 Septembre 2012, 01:00am

Catégories : #la vache qui rumine (Années B - C)

22-T.O.B-jpg       Canaliser, ordonner et mettre en forme, apprivoiser plutôt que de mener à la cravache : tel est le rôle de la vertu. Entre la tristesse du débauché et l'atonie du "peine-à-jouir", il doit bien exister un juste milieu, une voie médiane entre le goinfre et l'anorexique. Entre les abîmes de l'excès et du défaut, se présente, en effet, une ligne de crête, pour parler comme Aristote, tandis que les auteurs chrétiens préfèrent évoquer une vole de perfection. C'est précisément cette vole qu'indique la vertu. Comprendre pour maîtriser : la pureté de coœeur devient alors tempérance.



"L'intempérance est plus blâmable que le déshonneur pour deux raisons : d'abord parce qu'elle contrarie le plus grandement la dignité humaine (…...). Ensuite, parce qu'elle est le plus contraire à l'éclat et à la beauté de l'homme, car c'est dans les jouissances sur lesquelles porte l'intempérance qu'apparaissent le moins les lumières de la raison qui donne à la vertu tout son éclat et toute sa beauté".
S. THOMAS, "Somme théologique".



       La vertu de tempérance maîtrise nos pulsions de vie en modérant nos désirs sensuels. Dans cette modération, il y a quelque chose que redoute l'hédoniste, le jouisseur ou, pour parler comme S. Paul, le "vieil homme" qui réside en nous. Il s'agit de renoncer, non pas au désir lui-même ce qui serait inhumain, mais à sa violence. Il s'agit de mourir à la violence du plaisir, à sa toute-puissance, diraient les psychologues. En 1934, le peintre René Magritte remplaçait le visage d'une femme par un buste. Quand l'oeil n'accroche plus qu'une poitrine et qu'un sexe, la violence n'est pas loin, rendue par l'inquiétante chevelure aux couleurs d'incendie. La jouissance aura un goût de mort, mort de la dignité humaine, et c'est tout naturellement que le peintre a intitulé cette oeœuvre "Le viol".

       Réaliste, la tempérance mesure nos désirs à l'aune des vrais besoin de notre corps. "De quoi as-tu réellement besoin, demande-t-elle ? Écarte tout désir qui te diviserait, toute satisfaction qui diminuerait l'estime que tu te portes à toi-même. "Nous avons les rêves plus grands que notre ventre, et nous reprochons absurdement au ventre ses petitesses" (André Comte-Sponville). "Choisis des plaisirs simples, contente-toi de peu". C'est par ce travail du désir sur lui-même que la tempérance devient ainsi le gage d'une jouissance plus pure et plus pleine. Maîtriser pour harmoniser, recommande la pureté du coeœur sous sa forme de tempérance, trouver la juste mesure jusque dans le plaisir.



Le rôle purificateur des vertus était un thème constant de la philosophie grecque d'inspiration platonicienne. Il allait nécessairement de pair avec une mise en accusation des plaisirs corporels, comme on peut s'en rendre compte dans ce commentaire du plus grand disciple de Platon : "C'est qu'assurément, suivant l'antique enseignement, la tempérance, le courage, toute vertu est une purification, et la sagesse même en est une. (...) Que serait, en effet, la tempérance véritable, sinon de ne pas avoir commerce avec les plaisirs du corps, de les fuir au contraire en tant qu'ils ne sont pas purs ni n'appartiennent a une chose pure ? Une fois purifiée, l'âme devient ainsi une forme et une raison, elle est totalement incorporelle et intellectuelle, elle appartient tout entière au divin" PLOTIN, "Sur le Beau").
On sait que cette philosophie influença la théologie chrétienne à ses débuts. On n'en tirera pas pour autant la conclusion qui voudrait que le plaisir ait toujours été suspect à la morale chrétienne. S. Thomas expliquait que le plaisir sexuel des premiers parents était plus intense avant la chute. À propos de la tempérance, il écrivait : "Tout ce qui contrarie l'ordre naturel est vicieux. Or, la nature a joint le plaisir aux activités nécessaires à la vie de l'homme. C'’est pourquoi l'ordre naturel requiert que l'homme se serve des plaisirs de ce genre (il s'agit des plaisirs de la table et de la vie sexuelle), dans la mesure où c'est nécessaire à son salut, soit pour la conservation de l'individu, soit pour la conservation de l'espèce."
("Somme théologique").

Il reste peu de chose de l'antique suspicion dans la théologie contemporaine, comme on le vérifiera avec les deux citations suivantes :
 

Or, dans plaisir, je ne me sens pas devenir ma propre origine. Il s'offre plutôt comme l'évidence de mon immédiateté fragile à mon corps, comme une réconciliation avec lui. C'est bien encore, pourtant, d'origine qu'il s'agit : celle de la coïncidence de moi-même avec mon corps donnée comme ne devant jamais passer. Plus exactement, il est ce en quoi j'existe : mon corps me devient un monde et une maison. Or, cela s'effectue à l'occasion d'un contact de mon corps avec ce qui n'est pas lui. Parfois de ce qui entre en contact avec mon corps, j'apprends que peut-être mon corps est pour moi".
Alain CUGNO, "Il promet ce qu'il donne".

"Le plaisir relève de la présence-à et tout le problème est de déterminer ce à quoi il est présence. Je dirais que le plaisir réside dans la conscience d'une forme et non d'un contenu, plus précisément dans la saisie de l’accord, de l’'unité se construisant à partir de la diversité, de la synthèse en train de s'opérer et comme résultat du processus synthétique. La soi-disant source du plaisir peut résider hors de moi comme en moi. Le plaisir, lui, résulte de la conscience d'une unité en train de se réaliser, c'est-à-dire essentiellement d'une unification".
Pierre-Philippe DRUET, "Désirer le plaisir ?".



      Mes étudiants me demandent souvent : la juste mesure, en quoi consiste-t-elle vraiment, et où la trouver ? Question inévitable et difficile. La juste mesure n'existe pas dans l'absolu et il revient à chacun de découvrir la sienne, selon son propre sens moral. Elle varie suivant les âges de la vie. On n'est pas tempérant à quatorze ans comme on peut l'être à vingt, ou à cinquante ou plus tard encore, ce que ne remarquait pas assez la morale chrétienne d'antan, même si les premières étapes, celles de l'enfance et de l'adolescence, restent les plus délicates, car c'est le plus souvent dans les excès que nous avons expérimenté nos propres limites. À chaque moment-clé de l'existence, il faudra renouveler nos arbitrages et inventer une nouvelle harmonie. La juste mesure varie encore selon les caractères et les personnes. Elle nous interdit de comparer la manière dont les individus la traduisent dans leurs actes. La tempérance de celui qui se contente d'une nourriture frugale n'est pas nécessairement supérieure, malgré les apparences, à celle du gourmet qui place la gastronomie au rang des beaux-arts, les Français en savent quelque chose.



"Par rapport à nous, j'appelle mesure ce qui ne compte ni exagération, ni défaut. (...) Tout homme averti fuit l'excès et le défaut, recherche la bonne moyenne et lui donne la préférence, moyenne établie non relativement à l'objet, mais par rapport à nous. (...) La vertu occupe une position de juste milieu entre deux extrémités fâcheuses, l'une par excès, l'autre par défaut. Elle est l'unique moyen de parvenir au bien ".
ARiSTOTE, "Éthique à Nicomaque"



Les idées heureuses, Vertus chrétiennes pour ce temps, Cerf 1996, p. 55-59

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