Thomas REEVES, journaliste,
"In Presidential Elections, Morality is Relevant".
Sous sa forme victorienne, anglaise et protestante, ou celle, plus ancienne et française, du jansénisme, le puritanisme a contaminé aussi la morale des pays de notre Europe. Jésus avait énoncé une liste de fautes et, pour reprendre les termes mêmes de l'évangile, de desseins pervers, où figuraient le vol, le meurtre et la diffamation, bref, les diverses formes de l'injustice. Le puritanisme, lui, préfère se focaliser sur le "péché de la chair". Ainsi la recherche inquiète des "fautes contre la pureté" a-t-elle marqué durablement l'atmosphère de nos collèges ; en leur offrant un idéal impraticable, elle détourna de la foi des générations entières d'adolescents et de jeunes gens.
Vint un moment, point si éloigné du nôtre, où la conscience moderne se révolta contre cette comptabilité des scrupules. Les confessionnaux se vidèrent. Comme les extrêmes engendrent toujours les extrêmes, le puritanisme d'antan se convertit en une utopie inverse, celle d'une libération totale. La sexualité avait-elle été culpabilisée ? Eh bien, on allait la délivrer de ses entraves morales ! Au tournant des années 1960, la "génération des fleurs" préférait l'amour à la guerre, et proposait la jouissance à tout un chacun comme alternative à son mal de vivre ! Gare à tous ceux qui prétendaient enrayer cette révolution des moeurs, ou seulement la mettre en doute ! Gare aux tenants des morales institutionnelles ! Le travestissement du puritanisme en son opposé exact, le laxisme, ne pouvait que déboucher sur une mise en procès de l'Église. Le ressentiment se fit général. Livres, articles de presse, émissions de télévision : la dénonciation de la morale chrétienne, ou, plus exactement, de la morale chrétienne familiale et sexuelle est devenue un lieu commun des idées à la mode et du prêt-à-penser du moment. On la juge archaïque et inhumaine, cette morale des sens, et on la soupçonne même de dissimuler, sous l'actuel pontificat1, une sorte d'intégrisme qui n'ose pas s'avouer.
Ce ressentiment avait été évoqué déjà dans la seconde conférence de l'année dernière : "La splendeur du Temple". D'une certaine manière, ces deux conférences se répondent et se complètent.
Ainsi s'expliquait sans doute la mauvaise humeur du curé devant les aubes blanches de ceux qui allaient professer leur foi. Elle ne faisait que traduire, me semblait-il, la gêne de nombreux chrétiens envers une morale de la sexualité et de la vie affective, et plus généralement envers une morale du corps humain, où ils ne se reconnaissent guère, alors que l'Église prétend y répercuter les appels mêmes du Christ et donner à y suivre l'exemple des communautés apostoliques.
Le Nouveau Testament assure qu'il n'existe au fond que trois attitudes morales fondamentales : la charité, ou l'amour de Dieu et du prochain, l'orthodoxie, c'est-à-dire la rectitude de la foi, et la pureté du coeur, entendue comme une rectitude sexuelle. La morale évangélique forme un tout ; chacune de ces attitudes se trouvent placée dans un état de dépendance envers les autres. Que l'une vienne à faiblir, ou à manquer, et les deux autres s'en trouvent menacées, sinon paralysées. Cf. Rm 1, 24-25 ; Ga 5, 19-22 ; 2 Co 6, 17 ; 1 Tm 1, 5 ; 2 Tm 2, 22 ; 1 P 1, 22.
Entre l'excès et le défaut, entre le puritanisme et le laxisme, entre l'inquiétude morbide et l'indifférence satisfaite, il existe bien un juste milieu, une voie médiane et heureuse : c'est celle de la pureté. Dès que le Christ est né, le mot a dû être prononcé quelque part et pour toujours, par un berger peut-être, un habitant de Bethléem, ou une femme qui accouchait la Vierge, on ne sait. Mais une fois proféré, il ne devait plus s'effacer. La pureté s'est faite chair. Elle a visité la terre, elle a visité les hommes. Mieux que quiconque, elle sait de quoi est fait le coeur humain.
Marguerite DURAS, "Le nombre pur".
À suivre
1. De Jean-Paul II