Cette seconde conférence du carême de Notre-Dame1 se situe dans le droit fil de la précédente2. Dimanche dernier, nous rappelions la condition originelle du baptisé, ce mendiant magnifique, cet être démuni, démuni et pourtant vainqueur, puisqu'il venait au monde porteur du caillou blanc, signe du triomphe du Christ sur la mort et les puissances du mal. Humilité, gratitude envers ceux de qui nous nous recevons, sens de l'honneur et de la dignité personnelle: les "vertus de l'estime de soi", aperçues au cours de cette première rencontre, étaient bien celles des commencements.
Après les fondements, l'édification; après l'estime, la construction de soi. Les vertus de la "construction de soi", sont de deux sortes : celles qui nous placent au service de la vérité et qualifient notre intelligence - nous les analyserons dimanche prochain et celles que l'"Imltation", dans la citation qui vient d'être faite, compare à deux ailes qui soulèvent l'homme. La simplicité et la pureté nous apprennent, en effet, à nous servir de notre propre coeur ; elles commandent ainsi à ce que, bien légèrement souvent, nous appelons la vie chamelle. Elles nous introduisent aux vertus de la vie affective.
Il me revient un souvenir. Les enfants frémissaient d'impatience. On les faisait attendre sur le parvis de l'église, avec les prêtres. Là-bas, au fond de l'édifice, près de l'autel, une religieuse expliquait à des parents qui manifestement pensaient à tout autre chose, le sens de la cérémonie: leurs enfants allaient professer leur foi chrétienne - jadis, on aurait parlé de communion solennelle ; ils allaient renouveler, mais cette fois-ci en leur nom propre, les promesses faites pour eux au moment de leur baptême. "Nous nous levons, concluait-elle, pour les recevoir. Ils ont revêtu l'aube blanche, image de la pureté". À ce mot, le célébrant principal bougonna : "Image de la pureté ? Qu'est-ce encore que cette niaiserie (je crois me rappeler qu'il avait employé un mot plus cru) ?". Le chant d'entrée ayant été entonné, le cortège se mit en marche...
sont éloignées des structures mentales modernes :
le propre et le sale, le sain et le malsain,
l'ordre et le désordre apparaissent aujourdhui
comme des catégories plus pertinentes
que le pur et l'impur".
Patricia HIDIROGLOU, "La laine et le lin".
" La pureté est impossible : on n'a le choix
qu'entre différentes sortes d'impuretés,
et c'est ce qu'on appelle l'hygiène.
Comment en ferait-on une morale ?
On parle de purification ethnique, en Serbie :
cette horreur suffit à condamner ceux qui s'en réclament ".
André COMTE-SPONVILLE, "Le pur amour".
Il est souvent question de pureté dans l'enseignement de Jésus. Ce fut même l'une des raisons qui conduisirent à son arrestation. Un certain jour, les scribes et les pharisiens de Jérusalem lui reprochèrent la conduite de ses disciples qui se présentaient à table sans avoir procédé aux rites traditionnels du lavement des mains. Sa réponse ne pouvait manquer de les scandaliser, car ils percevaient bien qu'elle marquait une rupture avec leur propre manière de faire. Jésus commence par déclarer que : "Rien de ce qui est extérieur à l'homme et qui entrerait par sa bouche ne saurait le souiller" (Mc 7, 15) ; rien n'est impur dans le monde matériel. Puis il ajoute : "C'est du dedans de l'homme que viennent toutes les impuretés que profère la bouche, c'est de son coeur que procèdent tous les desseins pervers". Il les énumère : "débauches, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil et déraison" (Mc 7, 2022). La rupture dénoncée par les scribes et les pharisiens consiste en ceci : avec le Christ, la pureté a cessé d'être rituelle, comme dans les religions primitives ou l'ancien Israël, pour devenir morale, c'est-à-dire moderne. Cette pureté servira désormais de fil conducteur pour nous introduire au plus profond de l'homme, en ce lieu intime et pourtant mystérieux, où débattent sa liberté et sa sensualité, où s'affrontent la chair et l'esprit, la pesanteur et la grâce, ce lieu que la Bible nomme le coeur.