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Publié par Walter Covens

       À partir du chapitre 6 on entre dans les grandes luttes, qui durent jusqu’au chapitre 12. Là je comprends le raisonnement de mon professeur d’exégèse qui disait : " Surtout ne cherchez pas d’ordre dans saint Jean " ; parce que là, du chapitre 6 au chapitre 12, on est vraiment dans un désordre extraordinaire ! Il est très difficile d’y trouver un ordre. Et progressivement je l’ai découvert, en me posant la question : " Pourquoi les luttes ? quelle est la finalité des luttes ? " Si Dieu permet les luttes, c’est pour des présences plus grandes, c’est cela qui est étonnant. Ici, c’est très net : à travers ces luttes se révèlent sept grandes modalités de la présence de Jésus qui se donne à nous. Il y a là comme une théologie des présences du Christ. J’irai assez vite, parce que si j’entrais dans les détails ce serait très long ! (…)

       La lutte permet la présence parce qu’elle supprime tout le conditionnement habituel, le petit " cocon " dans lequel on est. Tout le monde est d’accord là-dessus : quand les gens sont trop bien, quand il y a trop de bien-être, le conventionnel domine, et il n’y a plus de présence directe. On respecte les conventions, et on les respecte tellement bien qu’on n’en sort jamais. La lutte vient briser tout cela. C’est bien connu : dès qu’il y a une guerre les gens redeviennent pieux et se mettent à prier ! Parce que cela secoue tout. Dès qu’il y a, à Paris, une grève de métro ou autre, immédiatement les gens se parlent et s’aident ! Parce qu’il y a lutte, immédiatement on parle à des gens auxquels on n’aurait jamais parlé autrement. Quand vous êtes en détresse parce que vous n’avez plus de véhicule, vous faites du stop et les gens vous prennent. Et en voiture il y a une présence, on n’est plus dans le conventionnel…

       Le début du chapitre 6 rapporte le miracle de la multiplication des pains qui, je crois, se situe au terme de la première année de Jésus. Le " printemps " de la vie apostolique de Jésus représente toutes les victoires de Jésus. Et, fruit de toutes ces victoires, cinq mille hommes se mettent à le suivre ! Et comme il y a toujours beaucoup plus de femmes, on en compte peut-être dix mille ; et parce que c’est un pays où il y a beaucoup d’enfants, on en compte sans doute quinze mille ! On voit cette foule qui suit Jésus, et Jésus qui semble ne pas penser du tout à ce qu’il va faire pour nourrir tout ce monde… Mais les Apôtres, à la fin de la journée, commencent à avoir faim ! Ce n’est pas très drôle de ne pas avoir mangé durant toute la journée et de voir que Jésus n’a pas du tout l’air de s’en inquiéter. Philippe et André ne sont-ils pas un peu tentés (voir Jn 6, 7-8) ? Vraiment Jésus n’a pas de sens politique, il n’a aucun sens du gouvernement, il faudra remédier à cela ! En tout cas, ils avaient louchés sur les provisions du petit garçon qui avait cinq pains d’orge et deux poissons. Évidemment, ils n’avaient pas osé mettre la main dessus ; mais dès que Jésus s’arrête et dit : " Qu’allons-nous faire ? ", ils répondent : " Le petit enfant qui est là a des provisions ! " On voit la scène : ils avaient bien repéré cela !

       Ce miracle de la multiplication des pains est étonnant. On assiste là à un grand triomphe du Christ, une gloire, quelque chose de merveilleux. Jésus les fait asseoir et leur donne des petits pains et du poisson frais autant qu’ils en veulent. N’ayant pas mangé de toute la journée ; ils en mangent beaucoup, le plus qu’ils peuvent, tout leur soûl ; puis on ramasse les miettes : douze corbeilles ! Alors ils veulent proclamer Jésus roi, mais Jésus s’en va, " tout seul " (Jn 6, 15).

       C’est la première brisure, et c’est très significatif. Jusque-là Jésus est très proche de tous ; tandis que là, une première séparation se fait. Les Apôtres ont été très proches de la foule, ils ont été eux-mêmes pris par cette grande montée de messianisme temporel : on va proclamer Jésus roi, on n’aura plus à travailler, tous les jours on aura des petits pains frais ! Jésus n’a qu’à bénir : c’est très facile. C’est merveilleux d’avoir un roi qui a ce pouvoir étonnant… Et les Apôtres ont été contaminés. La spiritualité du contact, c’est bon, mais il faut faire attention. Ils ont été contaminés, et Jésus est parti tout seul, il ne les a même pas rappelés à lui.

       Revenus à eux-mêmes, les Apôtres, durant la nuit, partent vers Capharnaüm, la ville de Jésus (cf. Mt 9, 1). C’était en effet la ville de Pierre, et Jésus n’avait pas d’autre lieu pour lui. Pierre lui offrait sa maison, et comme Jésus y avait guéri sa belle-mère (Lc 4, 38-39), il devait y être bien reçu ! Les Apôtres le savaient et donc, instinctivement, ils vont directement à Capharnaüm, en barque. Une tempête secoue le lac, et voilà que, durant la nuit, Jésus les rattrape ; et dès que Jésus est là, présent, immédiatement ils touchent le bord.

       Saint Jean signale ces trois signes successifs – la nourriture, la présence, et l’efficacité –, signes de pédagogie divine qui préparent le grand discours sur le Pain de vie que Jésus va donner dans la synagogue de Capharnaüm. Là, en effet, il est rejoint par la foule qui, au lieu de chercher la vérité, court après Jésus simplement pour avoir du pain à satiété, et donc ne plus travailler. Mais Jésus n’aime pas favoriser la paresse, alors il les corrige en leur disant une phrase extrêmement importante qui est une grande lumière pour la théologie du travail : " Travaillez, non pour la nourriture périssable, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme (Jn 6, 27). " Et cette nourriture que donnera le Fils de l’homme, Jésus lui-même le dit d’une façon prophétique : ce sera sa chair donnée en nourriture et son sang donné en boisson.

- Qu’est-ce que cela veut dire, pour nous, travailler pour cette nourriture ?
- Cela veut dire que le chrétien doit travailler pour le mystère de l’Eucharistie. Le chrétien offre le pain et le vin, " fruit du travail des hommes ", et ce fuit du travail des hommes est transformé dans le corps et le sang de Jésus. Le travail du chrétien est sanctifié par l’Eucharistie, et c’est par l’Eucharistie qu’il peut y avoir une unité profonde entre sa vie de prière et sa vie de travail.

       Ce qui est sûr, c’est que cette rencontre à Capharnaüm va être l’occasion d’un très grand discours, où Jésus se présente : " Je suis le Pain de vie (Jn 6, 34). " C’est bien une présence de Jésus, et d’un caractère tout à fait nouveau. Jamais, dans l’Ancien Testament, Yahvé ne s’est présenté comme le Pain de vie. Il a donné la manne, mais la manne était un cadeau de Dieu, ce n’était pas Dieu lui-même. Ici, Jésus dit : " Je suis le Pain de vie. " Il est donc la nourriture de chacun d’entre nous. Il avait voulu cette longue marche la veille pour qu’on redécouvre le sens du pain ; et il avait donné ce pain miraculeux, gratuitement, pour que l’on comprenne ce qu’est le bon pain, le vrai pain. Et le lendemain, il dit : " Je suis le Pain de vie. " Là il fait appel à la foi ; on passe de l’activité charismatique du Christ à l’aspect doctrinal et contemplatif. L’aspect charismatique, tout le monde le reçoit, et on proclame Jésus roi ; mais on risque alors de tomber dans un messianisme temporel. Le lendemain, Jésus veut au contraire les conduire vers un mystère beaucoup plus profond, une connaissance beaucoup plus intime de lui-même : " Je suis le Pain de vie. " C’est Jésus qui montre ce qu’il est, profondément, à ces hommes qui l’ont suivi.

       Ensuite, Jésus prophétise : " Ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment une boisson. " Mais quand Jésus commence à prophétiser de cette manière, en annonçant qu’il va donner sa chair en nourriture et son sang en boisson, alors s’est trop fort : à partir de ce moment-là, beaucoup, après avoir murmuré, vont se séparer de lui (Jn 6, 66). C’est la première séparation à l’intérieur des disciples, au moment où Jésus prophétise un très grand mystère d’amour, le mystère par excellence : sa chair va être donnée en nourriture et son sang va être donné comme boisson. Cela, c’est impossible ! Beaucoup de Juifs qui sont là rejettent cela, et Jésus les laisse partir. Puis il se retourne vers les Apôtres et leur rend leur liberté : " Voulez-vous partir, vous aussi ? " Pierre, alors, s’engage au nom des Douze : À qui riions-nous ? " Mais parmi les Douze il y en a un qui refuse. Jésus ne le nomme pas, pais il dit : " au milieu de vous il y a un démon " (Jn 6, 70) ; c’est la seule chose que Jésus dise. Judas aurait dû partir avec tous ceux qui quittaient le Christ, mais il est resté. Saint Jean nous signale donc là que, sans doute dès la deuxième année de la vie apostolique de Jésus, il y a au milieu des Apôtres un démon. Et Jésus a continué de vivre avec eux comme s’il avait pleine confiance en eux, alors qu’il savait qu’au milieu d’eux il y avait un démon…


Les trois sagesses , Fayard 1995, p. 447…452
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V
Merci mon Père pour  ce  partage sur la lutte qui permet la présence. C'est une vraie lumière que vous m'apportez même si souvent je l'ai pensé dans mes différents combats. Je confirme vos écrits                    Cette lecture est très enrichissante et encore merci au Seigneur pour ce mode d'évangélisation.                                                                              Que le Seigneur vous bénisse et vous garde   Jocelyne
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M
Cher Père,<br /> Je découvre votre Blog qui est vraiment magnifique. Je vous mets de ce pas en lien sur le mien!
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W
Quand j'aurai un petit moment, j'irai aussi me promener sur le vôtre.
D
vous devriez créer un site de théologie;de tous les évangélistes c'est st jean que je cerne le moins bien;mais c'est en le lisant et le relisant que l'on rencontre toute sa richesse;la parole divine ne s'explique qu'avec l'amour
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W
Voir l'homélie de demain dimanche...
D
l'Evangile de Jean me déboussole parfois par sa structure;cependant c'est en le lisant et le relisant que l'on y découvre toute sa richesse;bon article vous devriez tenir un site relatif à la théologie
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W
Écriture et théologie s'appellent mutuellement, sans oublier la philosophie.