Raniero Cantalamessa, Marie Un miroir pour lÉglise, Éd. Desclée de Brouwer, 1992, p. 75-82 (1e partie)
Mère de Dieu fut à lorigine un titre qui concernait davantage Jésus que la Vierge Marie. Pour Jésus ce titre atteste avant tout (
) quil est véritablement homme : " Pourquoi disons-nous que le Christ est homme, sinon parce quil est né de la Marie qui est une créature humaine ? " (Tertullien) Il est homme non seulement quant à son essence, mais aussi quant à son existence, car, de lhomme, il a voulu partager non seulement la nature comme telle mais aussi lexpérience. Il a vécu une vie humaine dans toute sa réalité concrète : " On parle toujours, dit Dieu, de limitation de Jésus Christ. Qui est limitation, la fidèle imitation de mon fils parmi les hommes
Mais enfin il ne faut pas oublier. Que mon fils avait commencé par cette singulière imitation de lhomme. Singulièrement fidèle. Qui elle, fut poussée jusquà limitation parfaite. Quand si fidèlement, si parfaitement il imita de naître. Et de souffrir. Et de vivre. Et de mourir. " (Péguy) Laspect le plus difficile à accepter de cette imitation de lhomme de la part du Christ fut, à lorigine, dêtre conçu et de naître dune femme. À lun des hérétiques (
) qui frissonnait à lidée dun Dieu " coagulé dans lutérus, enfanté dans la douleur, lavé, emmailloté ", notre Tertullien répondait : " Cest que le Christ a aimé lhomme, et avec lhomme il a aimé aussi sa manière de venir au monde. " Cet objet naturel de vénération ajoutait-il en sadressant à lhérétique qui est la naissance dun homme et la douleur dune femme dans lenfantement, tu le méprises ; et pourtant comment es-tu né ?
En second lieu, le titre de " Mère de Dieu " atteste que Jésus est Dieu. Si Jésus nest pas vu simplement comme un homme, fût-il le plus grand des prophètes, mais comme Dieu, alors seulement il est possible dappeler Marie " Mère de Dieu ". sinon on pourra appeler Marie Mère de Jésus, Mère du Christ, mais pas Mère de Dieu. Le titre " Mère de Dieu " est comme un indicateur et une sentinelle, chargée de veiller sur le titre de " Dieu " donné à Jésus, afin quil ne soit pas vidé de son sens. Le titre de Mère de Dieu nest plus justifié et devient même blasphématoire, dès quon cesse de reconnaître en Jésus le Dieu fait homme. À bien y penser, cest lunique titre qui peut empêcher toute ambiguïté sur la divinité de Jésus, car cest une sentinelle placée par la nature elle-même et non par la simple réflexion philosophique ou théologique (comme lest le titre homooùsios). On peut bien appeler Jésus Dieu et entendre par " Dieu ", comme il arrive malheureusement encore de nos jours, des réalités très différentes : Dieu par adoption, Dieu par inhabitation, Dieu par manière de parler. Dans ces cas, on ne peut plus continuer à appeler Marie Mère de Dieu. Elle nest Mère de Dieu que si Jésus est Dieu au moment même où il naît delle. Ce qui vient après ne regarde plus la mère comme telle. On ne peut pas dire que Marie est Mère de Dieu, si par " Dieu " on nentend pas ce que lÉglise a voulu dire à Nicée et à Chalcédoine.
Enfin, en ce qui concerne Jésus, le titre de Mère de Dieu atteste quil est Dieu et homme dans une même personne. Cest même la raison pour laquelle ce titre fut adopté par les Pères du concile dÉphèse. Il exprime lunité profonde entre Dieu e lhomme réalisée en Jésus ; il énonce la manière dont il a voulu unir à lui lhomme dans lunité la plus profonde au monde, lunité de la personne. Le sein de Marie disaient les Pères a été " lit nuptial " où se sont accomplies les noces de Dieu avec lhumanité, le " métier " où fut tissée la tunique de lunion, le laboratoire (ergastérion), où sopéra lunion de Dieu et de lhomme.
Si en Jésus lhumanité et la divinité nétaient unies que dune union morale et non personnelle, comme le pensaient les hérétiques condamnés à Éphèse, on ne pourrait appeler Marie Mère de Dieu, mais seulement Mère du Christ : Christotókos et non Théotókos. " Les Pères ne craignirent pas dappeler la Vierge " Mère de Dieu ", non pas certes parce que la nature du Verbe ou sa divinité avait eu par elle son origine, mais parce que cest delle que naquit son saint corps, doté dune âme raisonnable, auquel le Verbe est uni au point de former avec lui une seule personne. " (S. Cyrille dAlexandrie) De cette manière le titre de Mère de Dieu est une sorte de rempart qui soppose dune part à lidéologisation qui ferait de Jésus une idée ou un personnage, plus quune vraie personne, et dautre part à la séparation en lui de lhumanité davec la divinité, ce qui mettrait en danger notre salut. Marie est celle qui a ancré Dieu à la terre et à lhumanité ; celle qui, par sa divine et pleinement humaine maternité, a fait pour toujours de Dieu lEmmanuel, le Dieu-avec-nous. Elle a fait du Christ notre frère.
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