S. Thomas More, La tristesse du Christ, Éd. Pierre Téqui, 1990, p. 39-41
En dernier lieu, comme rien na échappé à sa prescience éternelle, il a prévu la variété dans lÉglise, son corps mystique, la variété, dis-je, des tempéraments chez ses membres. Et bien que, pour supporter le martyre, la nature ne puisse rien sans la grâce, puisque selon la parole de lApôtre, " personne ne peut dire : Jésus est Seigneur, sinon dans lEsprit ", Dieu naccorde cependant pas sa grâce aux hommes pour supprimer momentanément les fonctions et les obligations de la nature, mais ou bien il donne à la nature de se mettre au service de la grâce initiale et la bonne action se produira avec dautant plus daisance ou bien, au cas où la nature serait portée à résister, vaincue cependant et domptée par la grâce, son mérite dans laction sera dautant plus recommandable que laction était plus difficile.
Aussi, prévoyant quils seraient nombreux ceux qui, ayant un corps plus délicat, connaîtraient une terreur extrême devant tout risque de tourment, afin que leur esprit ne seffondre pas en comparant leur âme timorée avec laudace des martyrs les plus vaillants, et que, dans la crainte dêtre vaincus par la force, ils ne se livrent pas spontanément, le Christ a voulu relever leur esprit par lexemple de sa souffrance, de sa tristesse, de son dégoût et de sa peur sans égale. Et, à qui connaîtrait ces faiblesses, il a voulu dire comme par la voix très parlant des faits : " Reprends courage, ô pusillanime ", ne perds pas espoir. Tu es rempli de crainte et de tristesse, tu es ébranlé par le dégoût et la peur devant le supplice que lon te prépare cruellement. " Aie confiance. Jai vaincu le monde ", moi qui plus que toi craignis outre mesure, qui éprouvé plus de tristesse, qui fus davantage en proie au dégoût et à lhorreur dans la perspective de la si atroce passion qui approchait. Laissons au brave ses mille martyrs au grand cur : quil se réjouisse de les imiter. Quant à toi, mon agnelet, tout timide et chancelant, sois heureux de mavoir pour unique berger et suis-moi, je suis ton guide. Tu te défies de toi : mets en moi ton espoir. Vois, je te précède sur ce chemin si effroyable. Saisis la frange de mon vêtement. Tu sentiras quil en émane une force de salut capable darrêter le flux de sang qui sécoule de ton esprit en vaines craintes ; elle rendra ton esprit plus allègre, car tu te souviendras que tu mets tes pas dans les miens à moi, qui suis fidèle, et ne souffrirai pas que tu sois tenté au-delà de te ce que tu peux porter, mais avec la tentation je te donnerai de pouvoir tenir bon, sans compter que " cette petite difficulté passagère produira en toi un immense poids de gloire ". " Les souffrances du temps présent sont, en effet, sans commune mesure avec la gloire future qui se révélera en toi ". Rumine ces pensées, et reprends courage. Quant à ces vains fantômes des ténèbres, effroi, tristesse, peur et dégoût, disperse-les par le signe de ma croix. Va de lavant dun pas assuré, traverse toutes les adversités, fidèle et confiant que si je combats pour toi tu seras victorieux, et, si cest moi qui te récompense, tu seras couronné des lauriers de la victoire.
Ainsi donc, parmi les autres raisons pour lesquelles notre Sauveur a daigné revêtir les dispositions de la faiblesse humaine, celle dont je viens de parler était unique et non sans intérêt, à savoir que, devenu faible avec les faibles, il pourrait guérir les autres faibles par sa propre faiblesse. Leur bien lui tenait tellement à cur que tout le déroulement de son agonie navait, semble-t-il, dautre but plus manifeste que doffrir au soldat craintif quil faut entraîner au martyre une technique pour le combat et une ligne de conduite pour la mêlée.
Car pour enseigner à lhomme assailli par la crainte dun danger imminent quil doit demander aux autres de veiller et de prier, tout en plaçant, de son côté, sa confiance en Dieu seul ; pour signifier en même temps quil " foulerait seul, sans compagnon, laustère pressoir de la croix ", ordonnant à ces mêmes trois apôtres quil avait emmenés avec lui, à lécart des huit autres, presque jusquau pied du Mont, de sarrêter là, de tenir bon et de veiller avec lui, lui-même sécarte deux " à la distance dun jet de pierre. "
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