René Laurentin, Je crois en Dieu, Fayard, 1995, p. 177-182 (1e partie)
La Communion des saints à laquelle nous professons de croire, est l'explication profonde du mot Église.
L'Église est l'union parfaite : la co-union (c'est presque un pléonasme), la solidarité intime qu'infuse l'Amour divin dans le Corps du Christ. Concrètement c'est " le bonheur pour les frères d'habiter ensemble " (Ps 133, 1).
Qu'est-ce que l'Église en effet ? Tant de gens, si divers et pécheurs, qui sont néanmoins le Corps du Christ : un en Lui par l'Esprit-Saint. La forme extérieure et juridique de cette unité, la ferme organisation de l'Église romaine, n'est qu'une expression de cette unité, car si le Corps mystique du Christ " subsiste dans l'Église romaine " (a précisé le concile Vatican II), il la déborde. L'Esprit-Saint agit au-delà de ce Corps, visible et organisé, quoique avec de moindres moyens de grâces, chez les chrétiens séparés par le schisme, et même chez les hommes de bonne volonté qui, pour des raisons matérielles ou psychologiques, n'ont pu connaître le vrai Dieu en Jésus-Christ ni Jésus-Christ comme Incarnation du vrai Dieu. L'Amour divin fonde l'Église mais il est sans frontière.
L'Église est Communion avant d'être hiérarchie, a souligné Vatican II : la hiérarchie est un humble service de la Communion. Si l'Église est visible, insistait le Concile, c'est comme visibilité de l'invisible, témoignage de l'Amour.
L'unité profonde des membres différents et parfois disparates, vient de l'intérieur : de l'Amour que Dieu infuse comme une sève, comme le sang qui irrigue le corps, comme l'âme, qui maintient l'unité dans la diversité des organes, malgré les agressions des maladies et les divisions psychiques de chaque homme. C'est pourquoi l'unité de l'Église et la Communion des saints se perçoivent mieux de l'intérieur, dans les vrais saints et, par eux, se réalisent.
Ceux qui sont parvenus à l'union parfaite avec Dieu, souvent humbles et cachés, non seulement vivent cette unité solidaire et le lien avec le pape, mais ils portent intensément, de l'intérieur, le malheur du monde. Ils continuent " l'admirable échange " par lequel le Christ, Dieu trois fois saint, " s'est fait péché pour nous ", comme dit l'apôtre Paul (2 Co 5, 21) en assumant le poids de tous les péchés : un terrible échange, car les pécheurs s'étourdissent et se distraient du malheur réel d'être séparés de Dieu, et bien des saints, après le Christ, portent en eux cette souffrance. Ils vivent la déréliction des pécheurs comme abandonnés de Dieu (Mc 15, 34), car ils vont vers Dieu et intercèdent comme revêtus de cette lèpre du monde, et rongés par elle.
On le comprend, l'unité de l'Église est imparfaite ici-bas, obscurcie par le péché et par les divisions qui en résultent ; et les tentations du démon attisent tous ces maux, ils se reflètent comme une tristesse, voire comme une grimace sur l'image de l'Église visible. Cela requiert toujours davantage d'amour, d'abnégation, d'intercession, dans la solidarité rédemptrice, que l'Esprit-Saint intensifie pour submerger le péché du monde.
Au seuil du Ve siècle, la Communion des saints paraissait tellement évidente que cette formule du Symbole des Apôtres n'a pas été reprise dans le Credo de Nicée-Constantinople. Elle a son importance aujourd'hui.
Dans l'histoire, la Communion des saints a été diversement comprise, selon les optiques différentes des Grecs et des Latins.
1. L'Église orientale la voyait du point de vue de Dieu même : la commune participation aux biens qu'Il donne à son Église. C'était une vision objective, verticale et descendante. La communion se définissait par les dons de Dieu, les sacrements, ces moyens essentiels de grâce, principalement le Corps et le Sang du Christ, le culte qui rassemble les chrétiens. Bref, les dons visibles d'où la grâce découle infailliblement mais librement.
2. L'Église d'Occident a valorisé l'aspect terrestre et visible : le fruit de ces mêmes dons, la solidité organique de cette " société parfaite " et, en même temps, l'union de ceux que Paul appelle tout uniment les " saints " : il désignait ainsi les chrétiens des communautés primitives, généralement fervents et saints, malgré les accidents que révèlent les épîtres, non sans une insistance, parfois excessive, sur l'unité juridique et visible, qui est aussi un fruit de l'Esprit.
Cette union des chrétiens est très importante et, hélas, sans cesse menacée par les divisions, car le tentateur attaque en priorité ce don d'union et de paix qui est le grand désir de don du Christ : " Qu'ils soient un comme nous sommes Un " (Jn 17, 22). Il fomente, il attise les causes de divisions qui ne manquent pas entre les hommes : tous les griefs, toutes les critiques, toutes les antipathies, toutes les incompréhensions, les gênes aussi et les nervosités. Les chrétiens devraient être assez pénétrés de Dieu et du don de Dieu pour que ces pulsions divergentes, hostiles, agressives, soient toujours surmontées dans les curs.
Hélas, notre Église de France est évidemment plus divisée aujourd'hui qu'avant le Concile. À droite comme à gauche, les chrétiens ont réinventé leur identité selon un éventail élargi, qui a souvent perdu ses attaches avec l'axe central : Dieu, sa Révélation, la Tradition vivante.
À gauche, les chrétiens se sont dispersés, ils ont disparu dans la sécurité, la modernité, les engagements politiques. Ils ont souvent perdu la prière et la messe.
À droite, ils se sont concentrés sur des valeurs objectives et parfois agressives, dans une religion close ; et certains ont fait schisme. Davantage ont gardé la prière mais perdu le sens des engagements dans la société d'aujourd'hui.
Trop de chrétiens se sont enfermés dans leurs choix, leurs créativités différentes, divergentes, souvent contraires. Leurs illères les empêchent de voir le bien chez les autres. Ils condamnent à l'emporte-pièce ceux qui sont différents. Nous avons beaucoup à faire pour vivre et revaloriser la Communion des saints, à la fois :
La communion objective aux merveilleux dons de Dieu (y compris Dieu Lui-même source de tous biens) ;
Et la communion bienveillante des personnes, la communion avec le monde d'aujourd'hui qu'il faut sauver.
Sachons discerner le bien qui est en chacun, quitte à combattre l'erreur et le mal, mais avec la charité fraternelle et le doigté nécessaire. (À suivre)
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