Thérèse de Lisieux, uvres complètes, Éd. du Cerf - Desclée De Brouwer, p. 280-283
Depuis que jai deux frères et mes petites surs les novices, si je voulais demander pour chaque âme ce quelle a besoin et bien le détailler, les journées seraient trop courtes et je craindrais fort doublier quelque chose dimportant. Aux âmes simples, il ne faut pas de moyens compliqués, comme je suis de ce nombre, un matin, pendant mon action de grâces, Jésus ma donné un moyen simple daccomplir ma mission. Il ma fait comprendre cette parole des Cantiques : " Attirez-moi, nous courrons à lodeur de vos parfums. " Ô Jésus, il nest donc même pas nécessaire de dire : En mattirant, attirez les âmes que jaime. Cette simple parole : " Attirez-moi " suffit. Seigneur, je le comprends, lorsquune âme sest laissée captiver par lodeur enivrante de vos parfums, elle ne saurait courir seule, toutes les âmes quelle aime sont entraînées à sa suite ; cela se fait sans contrainte, sans effort, cest une conséquence naturelle de son attraction vers vous. De même quun torrent se jetant avec impétuosité dans locéan entraîne après lui tout ce quil a rencontré sur son passage, de même, ô mon Jésus, lâme qui se plonge dans locéan sans rivages de votre amour attire avec elle tous les trésors quelle possède
Seigneur, vous le savez, je nai point dautres trésors que les âmes quil vous a plus dunir à la mienne ; ces trésors, cest vous qui me les avez confiés, aussi jose emprunter les paroles que vous avez adressées au Père Céleste le dernier soir qui vous vit encore sur notre terre, voyageur et mortel. Jésus, mon Bien-Aimé, je ne sais pas quand mon exil finira
plus dun soir doit me voir encore chanter dans lexil vos miséricordes, mais enfin, pour moi aussi viendra le dernier soir ; alors je voudrais pouvoir vous dire, ô mon Dieu : " Je vous ai glorifié sur la terre ; jai accompli luvre que vous mavez donnée à faire ; jai fait connaître votre nom à ceux que vous mavez donnés : ils étaient à vous, et vous me les avez donnés. Cest maintenant quils connaissent que tout ce que vous mavez donné vient de vous ; car je leur ai communiqué les paroles que vous mavez communiquées, ils les ont reçues et ils ont cru que cest vous qui mavez envoyée. Je prie pour ceux que vous mavez donnés parce quils sont à vous. Je ne suis plus dans le monde ; pour eux, ils y sont et moi je retourne à vous. Père Saint, conservez à cause de votre nom ceux que vous mavez donnés. Je vais maintenant à vous, et cest afin que la joie qui vient de vous soit parfaite en eux, que je dis ceci pendant que je suis dans le monde. Je ne vous prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal. Ils ne sont point du monde, de même que moi je ne suis pas du monde non plus. Ce nest pas seulement pour eux que je prie, mais cest encore pour ceux qui croiront en vous sur ce quils entendront dire.
Mon Père, je souhaite quoù je serai, ceux que vous mavez donnés y soient avec moi, et que le monde connaisse que vous les avez aimés comme vous mavez aimée moi-même. "
Oui, Seigneur, voilà ce que je voudrais répéter après vous, avant de menvoler en vos bras. Cest peut-être de la témérité ? Mais non depuis longtemps vous mavez permis dêtre audacieuse avec vous, comme le père de lenfant prodigue parlant à son fils aîné, vous mavez dit : " Tout ce qui est à moi est à toi. " Vos paroles, ô Jésus, sont donc à moi et je puis men servir pour attirer sur les âmes qui me sont unies les faveurs du Père Céleste. Mais, Seigneur, lorsque je dis quoù je serai je désire que ceux qui mont été donnés par vous y soient aussi, je ne prétends pas quils ne puissent arriver à une gloire bien plus élevée que celle quil vous plaira de me donner, je veux demander simplement quun jour nous soyons tous réunis dans votre beau Ciel. Vous le savez, ô mon Dieu, je nai jamais désiré que vous aimer, je nambitionne pas dautre gloire. Votre amour ma prévenue dès mon enfance, il a grandi avec moi, et maintenant cest un abîme dont je ne puis sonder la profondeur. Lamour attire lamour, aussi, mon Jésus, le mien sélance vers vous, il voudrait combler labîme qui lattire, mais hélas ! ce nest pas même une goutte de rosée perdue dans locéan !
Pour vous aimer comme vous maimez, il me faut emprunter votre propre amour, alors seulement je trouve le repos. Ô mon Jésus, cest peut-être une illusion, mais il me semble que vous ne pouvez combler une âme de plus damour que vous nen avez comblé la mienne ; cest pour cela que jose vous demander daimer ceux que vous mavez donnés comme vous mavez aimée moi-même. Un jour, au Ciel, si je découvre que vous les aimez plus que moi, je men réjouirai, reconnaissant dès maintenant que ces âmes méritent votre amour bien plus que la mienne, mais ici-bas je ne puis concevoir une plus grande immensité damour que celui quil vous a plu de me prodiguer gratuitement sans aucun mérite de ma part.
Ma Mère chérie, enfin je reviens à vous, je suis tout étonnée de ce que je viens décrire, car je nen avais pas lintention, puisque cest écrit il faut que ça reste, mais avant de revenir à lhistoire de mes frères, je veux vous dire, ma Mère, que je napplique pas à eux, mais à mes petites surs, les premières paroles empruntées à lÉvangile : Je leur ai communiqué les paroles que vous mavez communiquées, etc
car je ne me crois pas capable dinstruire des missionnaires, heureusement je ne suis pas encore assez orgueilleuse pour cela ! Je naurais pas davantage été capable de donner quelques conseils à mes surs, si vous, ma Mère, qui me représentez le bon Dieu, ne maviez donné grâce pour cela.
Cest au contraire à vos chers fils spirituels qui sont mes frères que je pensais en écrivant ces paroles de Jésus et celles qui les suivent " Je ne vous prie pas de les ôter du monde
je vous prie encore pour ceux qui croiront en vous sur ce quils entendront dire. " Comment en effet pourrais-je ne pas prier pour les âmes quils sauveront dans leurs moissons lointaines par la souffrance et la prédication ?
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