Aujourd'hui (sinon dimanche prochain), en France et en Belgique, on célèbre la dédicace des églises dont on ignore la date de consécration.
À cette occasion je vous livre l'historique de la construction de l'église du Vert-Pré (Martinique) dont je suis actuellement le desservant, telle que parue dans un petit
bimestriel local qui n'existe plus, et qui était intitulé : Culture et Identité, Le Vert-Pré différemment..., février 1994.
Il faut savoir que notre hameau n'a pas toujours été ce qu'on peut en voir aujourd'hui, loin de là. Rappelons que dès la fin du 18° siècle (1793) le capitaine Vert-Pré avait donné son nom à notre futur village qui n'était alors qu'un lieu couvert de bois, difficilement accessible. Comme il dominait les environs, les militaires l'avaient fortifié pour se défendre plus facilement contre tout envahisseur. Le temps passa. En 1837 la Martinique fut divisée en communes et le Vert-Pré avaient commencé à s'y établir, construisant ça et là. On peut citer les Morinière, De Briand, Berthilde, Labonne, Limmois, Chatdenay-Rivauday, Lison, Leray, Alton, Bringhton, Maignan...
Parmi elles, trois noms se détachent pour entreprendre la construction d'une église qui va commencer en 1930. Monsieur Morinière qui travaille alors à l'usine (de sucre) du Robert et habite le Vert-Pré om il construira une distillerie dont les ruines sont encore visibles dans le "terrain des ananas". Deux Bretons, M. Leray, un pionnier de l'installation de l'école au Vert-Pré, et M. Maignan, propriétaire des terres où se dresse aujourd'hui l'église. Trois hommes, trois volontés de construire une église pour remplacer la petite chapelle de fortune que M. Maignan mettait à la disposition des fidèles de l'époque. En enffet, le dimanche il débarrassait son garage - qui se trouvait à l'emplacement actuel du cinéma - de sa tilbury, sorte de cabriolet tiré par deux chevaux, pour céder la place à l'abbé Aulra, premier prêtre détaché au Vert-Pré et qui logeait chez les Maignan.
Après quelques démarches vaines auprès de l'évêché par Leray pour obtenir une aide à la construction d'une église, ces hommes décident de prendre le taureau par les cornes et de se débrouiller tout seuls. Maignan offre gratuitement le terrain - une surface respectable et fort bien placée où on pourra par la suite édifier non seulement l'église mais aussi le presbytère et la salle paroissiale. Morinière va fournir les terrassiers et plus tard la charpente en fer. L'accès sera préparé par Leray avec ses élèves du CM2. Un dallage est alors construit que l'on peut parfois apercevoir sous la couche cimentée qui la recouvre. En effet, les pierres étant glissantes et les chutes nombreuses il a fallu prende la dure décision de revouvrir ce vestige du passé. Dommage !
Quant à la construction de l'église elle-même, elle fut le résultat d'une solidarité exemplaire comme malheureusement on n'en voit presque plus aujourd'hui au Vert-Pré. Il est vrai qu'à cette époque on s'entraidait sans calcul, sans arrière-pensées. Les pierres qui allaient servir à la construction étaient rassemblées dans chaque quartier. Puis le soir, quand la pile était devenue conséquente, tous les habitants - une cinquantaine environ - allaient les chercher pour les ramener, qui dans les mains, qui sur la tête, en chantant gaiement des cantiques religieux. C'était une immense procession d'hommes et de femmes, heureux de ce qu'ils faisaient, qui travaillaient jusqu'à épuisement de la pile. On passait alors à la pile du quartier suivant. Quels travaux d'Hercule quand on pense à la distance parcourue et aux sentiers boueux de l'époque !
Et les travaux avançaient. es charpentiers bénévoles s'attelaient pendant ce temps à la construction des bancs. Chaque place y serait marquée par une plaque au nom du fidèle. Et l'argent ? Eh bien, quelques rares personnes ont pu donner quelques francs et sous, mais il faut bien savoir qu'à l'époque on n'était pas riche à la campagne.
La construction de l'église allait s'achever en 1934. Elle fut malheureusement endeuillée par la mort d'un ouvrier, Ernest Birota, victime d'une chute mortelle au moment de l'installation du clocher.
Les premières messes célébrées par l'abbé Aulra n'eurent lieu que le dimanche. À ses côtés, un personnage haut en couleur pour l'aider dans sa tâche : le sacristain Lucien Dorival - homme à tout faire, il était à tour de rôle homme de ménage, sonneur de cloche, budeau à la tenue magnifique au cours de la messe et aussi chef de la chorale. Il faisait chanter les demoiselles Lison, Limmois, Chatenay, Pidéry et autres. Il fabriquait également les hosties comme de petits gâteaux secs dans u four à charbon. Letemps passa. Autour de l'église, de plus en plus fréquentée, les maisons commencèrent à se dresser. Les quartiers se peuplaient, les routes s'amélioraient. L'église avait sonné le grand rassemblement des hommes et l'édification d'un hameau qui ne faisait que prendre de l'ampleur.
Le temps a passé. Les générations ont changé et beaucoup ignorent aujourd'hui cette belle page d'histoire écrite par nos aînés. Saluons ici ensemble leur mérite et tâchons par nos efforts, comme eux, de contribuer au développement de notre village dans la solidarité et la convivialité.