Après les opinions contraires à la prière du fait du hasard ou de la nécessité qui régneraient dans le monde, voici une troisième façon de voir, en somme assez naturelle : ceux qui admettent que les affaires humaines sont soumises à la Providence sans être toutefois sujettes à la nécessité, mais qui, comme par voie de conséquence, estiment que les dispositions de la Providence sont variables et peuvent être modifiées par les prières et les différentes actions du culte divin. Dans la Prima Pars, qu. 23, 8 et 116, 3 et dans la Somme contre les Genitls, au ch. 96, saint Thomas nous livre le nom des tenants de cette opinion qu'il reprend à Grégoire de Nysse, en réalité à Nemesius (De homine, c. 36) : la secte des Égyptiens ou les sages égyptiens estimaient que le destin, le "fatum", comme ils appelaient la Providence divine, peut être changé par les prières, les incantations, les sacrifices. Saint Thomas ajoute que certains textes de l'Écriture semblent appuyer cette opinion d'un changment dans les desseins de Dieu opéré par la prière, comme la supplication d'Ézéchias malade qui obtient un sursis de quinze années malgré la parole du prophète :
Ainsi parle Yahvé. Mets ordre à ta maison, car tu vas mourir, tu ne vivras pas (Isaïe 38, 1-5).
Également dans Jérémie (18, 7-10) :
Une fois je décrète, sur une nation et un royaume, que je vais arracher, renverser et exterminer : mais si cette nation, contre laquelle j'ai parlé, se convertit de sa méchanceté, alors je me repens du mal que j'avais résolu de lui infliger... (Contra Gentes, I. III, c. 96).
Il n'est évidemment pas nécessaire de recourir à des opinions anciennes pour penser que la prière puisse modifier les desseins de Dieu. Cette façon de voir est si naturelle que saint Thomas va s'en servir pour former unes des branches du dilemme d'où il va partir dans sa position du problème de l'utilité de la prière : ou la prière modifie les desseins de la Providence et elle est utile, ou elle ne change pas les desseins de la Providence et elle ne sert à rien.